« À l’époque, Fakir, c’était dur de le choper ! Si on le trouvait dans une manif, on était fins heureux, tiens ! » Attention, messieurs‑dames : Martine vous parle là d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui des premiers pas du canard, à l’aube des années 2000. Un bail qu’elle nous traîne autour !
L’exploité du mois : Martine, l'exploitée à plus de 50 %

« Sur Amiens, on n’en pouvait plus du maire, de Robien. Il avait foutu la culture à la poubelle. Avec nos trois mômes (on en a quatre aujourd’hui), on pouvait même plus aller voir un spectacle, c’était devenu trop cher. Et, donc, Fakir est arrivé, et ça nous a fait du bien de voir que d’autres pensaient comme nous... » à la même époque, Martine manifeste contre un projet de bétonisation du parc Saint‑Pierre. « On habitait depuis tout petits à Amiens‑Nord, et ce parc, c’était nos vacances, la piscine à 50 centimes l’entrée, ch’camion de frites, les grenouilles dans les marécages… Et ce jour‑là, on voit François qui vend son journal à la criée... » Traînée par sa copine Isabelle, Martine se retrouve dans la foulée à mettre le journal en question sous enveloppe, dans un garage. « On passait la soirée au pain – pâté – pinard, on connaissait personne au début, mais ça faisait carrément du bien d’être là ! »
Quinze ans plus tard, c’est ce même bien‑être qu’elle est revenue chercher chez nous. Avec les enfants, elle n’avait plus trop le temps de bénévoler. Jusqu’en 2018. « Je bossais dans un service d’aides à domicile mais j’ai été licenciée économique. Mes démarches, mes lettres de motivation, elles ont jamais abouti à un seul entretien. Normalement, en tant que travailleuse handicapée, je pouvais prendre ma retraite à 55 ans...
— Ah bon ? T’es handicapée ? Je savais pas…
— Bah oui, de naissance. Ma main gauche bouge presque pas. Bref, ma retraite, je l’ai demandée à 56 ans. Mais ils ont changé la loi, et du coup maintenant ils estiment que mon taux d’incapacité n’est pas assez élevé, pas à 50 %. Et pourtant, il s’aggrave, mon handicap. Pfff… C’est horrible. Ça te rend fou. Là, je vais avoir 60 ans, non seulement je ne travaille plus, mais en plus avec leur réforme, si elle est appliquée, je prends neuf mois de plus. Moralement, c’était dur. Je restais enfermée à la baraque. »
C’est Danièle, une autre de nos glorieuses exploitées qui la tanne : « Viens à Fakir, ça te fera du bien. » Elle hésite. « J’osais pas, avec ma main… Mais j’y suis retournée, et personne ne s’en est aperçu. Je classe les réabonnements, j’enregistre les chèques… Ça fait quatre ans, et c’est une histoire d’amour avec ce que représente ce journal. Quand je fais tous ces colis qu’on envoie partout dans le pays, ça me rappelle qu’il y a plein de gens qui pensent comme moi. C’est une bouffée d’oxygène. Et ça permet d’avoir une vie sociale, aussi. »
Tout en préservant sa vie de couple, en plus ! Car son homme, c’est Francis, un autre exploité du mois (voir le n°100), inséparables depuis quarante‑cinq ans. « On s’est connu, on avait 16 ans ! Du coup, j’ai pas eu le bac. C’est de la faute de Francis ! Tu penses, j’étais amoureuse de lui, alors on avait autre chose à foutre à cette époque, tous les deux ! Je dis souvent que mon seul diplôme, c’est mon handicap… »
Fakir, expert en reclassement professionnel et oxygénation des âmes !