n° 98  

L’exploité du mois : Martine sur tous les rings

Par Cyril Pocréaux |

« En pleine chorégraphie, dans un gilet jaune, flanquée de son éternel tee-shirt Fakir… »

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« Je te vois sur tous nos événements, du matin au soir, mais du coup, je me demande : c’est quoi ton boulot, en fait ?
 Je suis prof de boxe française.
 Hein ? »

Je me dis que j’ai mal entendu, mais non. Martine, 1,55 m sous la toise, épaisse comme un moineau au régime, ses cheveux blonds en pétard, Martine, notre co-préfète d’Ile-de-France, toujours accompagnée d’un grand sourire, Martine est une boxeuse ! « J’en faisais gamine, mais comme y avait pas de femmes en compétition, à l’époque, j’ai arrêté, vers 20 ans. Puis j’ai bossé comme secrétaire, mais j’ai été l’une des premières licenciées économiques du pays, en 1975 ! Après, j’ai été formatrice, j’ai travaillé dans une coopérative ouvrière, j’ai été élue déléguée syndicale…
 Et la boxe, alors ?
 Ben, j’ai passé mon bac à 27 ans, j’avais pas pu avant, une vie de famille compliquée, et puis j’entre à la fac de lettres. Et là, en maîtrise, j’apprends qu’ils avaient besoin de monde pour entraîner à la boxe. En deux ans, j’ai passé tous mes diplômes, et c’était parti ! Il a fallu s’imposer, dans ce milieu, c’était pas simple, il y a eu de la misogynie et de la provoc’ à mon encontre… Au final, je peux dire que j’ai été l’une des premières femmes de France à vivre de la boxe. »

Surtout, sa vie sur le ring lui laisse du temps pour tout le reste, de manifs en occupations. « La santé, l’éducation, la culture, je me sens concernée par toutes les luttes, je ne sais pas pourquoi. » On a bien une idée, nous… « Ma famille était apolitique, même si en banlieue rouge, on votait coco, mais j’ai toujours rôdé autour de gens qui pouvaient m’ouvrir l’esprit. » Et on la retrouve, quelques printemps plus tard (elle en compte 66, au passage), en pleine chorégraphie avec les Rosies d’Attac, dans un gilet jaune sur un rond-point, à occuper un théâtre, à défendre un hosto, flanquée de son éternel tee-shirt Fakir. « Je suis pour la convergence des luttes ! Fakir, j’y suis venue toute seule, en achetant une action LVMH pour l’Assemblée générale. Je ne connaissais personne ! »
Elle a vite appris. « Dès la première manif, j’arrive, on me donne des journaux et voilà, je vais vendre… J’aimais cette confiance, cette chaleur entre nous. » Quand le rédac’ chef envisage de partir en campagne, en 2017, il réunit les bénévoles parisiens dans le QG local - un bistrot à République – pour leur demander ce qu’ils en pensent. « J’ai trouvé qu’il y avait là un vrai respect, du partage. Mais mon grand regret, c’est de ne pas avoir pu faire la campagne : j’avais été opérée du genou, j’ai tout suivi à distance ! » Elle s’est rattrapée, depuis. « Oh, je fais pas grand-chose, non. Les ventes, les manifs, les actions pour Merci Patron et J’veux du soleil, la fête à Macron, la tenue des ronds-points, le procès des Goodyear et le 14 juillet l’année dernière… Mais depuis quelque temps, entre la crise sanitaire et les problèmes en manif, c’est quand même plus compliqué qu’avant d’être sur le terrain. » On se demande ce que ce serait, sinon…