n° 116  

Notre part de Magyd

Par Fabian Lemaire

« Je ferais bien l’article sur Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi. T’en dis quoi ? », m’avait lancé chef, comme ça, l’air de rien. Tu penses ! Bien sûr que j’en dis du bien ! Les frères Cherfi, Zebda, Mouss et Hakim, le Takticollectif et les motivés, Vitécrit, les livres, les films et les albums, et la scène : c’est une œuvre plurielle, multiple et essentielle, que tissent les toulousains depuis plus de trente ans…

« C’est vrai, tu l’as eu ? »

En cet été 1991, je prends le train depuis Amiens pour rentrer dans mon petit village picard.

Dans la maison familiale, l’émotion est palpable : les larmes montent aux yeux de ma mère.

Je viens de lui annoncer que j’ai le Bac.

Trouble, surprise.

Est-ce si extraordinaire ?

Après tout, je n’ai suivi que la route qu’on m’avait tracée.

Je suis dans l’ère du temps : quelques années auparavant, en 1985, le ministre PS de l’éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement, affirmait qu’il fallait « amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat ».

Je n’ai pas été animé par une franche conviction. Peut-être 11 sur 20. Mais c’est bien le minimum, sinon pourquoi aller jusqu’en classe de terminale ?

C’est bien après, en découvrant chez Bourdieu le faible pourcentage de fils d’ouvriers accédant aux études supérieures, que je me suis aperçu que ma situation n’était pas tout à fait banale. Mes parents, d’un milieu populaire, n’avaient pas eu d’autre choix que de s’arrêter au « certif’ », le certificat d’étude primaires.

En lisant le livre de Magyd Cherfi, Ma part de gaulois, j’ai replongé, par certains aspects, dans cette anomalie. Pour lui, l’année du Bac, c’est une dizaine d’années plus tôt, lors de l’été 1981, à Toulouse. Et pour sa mère, l’enjeu est de taille : c’est un espoir, une reconnaissance sociale qui se dessine. Lui aussi est fils d’ouvrier, sa mère s’occupe de tout à l’intérieur de la maison, et – obstacle supplémentaire qui ne devrait pas en être un – il vient d’une famille immigrée. Il ne le sait pas encore, mais le chemin qui mène jusqu’en classe de terminale sera semé d’embûches. Pourtant, l’école, avec ses copains, tout gamins, ils y croyaient.

Nos ancêtres les Gaulois ? « Le croirez-vous ? On a aimé. On n’a pas détesté ce conte de fée. »

Certes, pas la moindre trace d’un artiste, d’un sportif d’Afrique du nord auquel s’identifier dans les livres, « alors on s’est agrippés au conte gaulois, aux pages pleines de héros blonds aux yeux d’émeraude et on trouvait ça chouette d’être blond, d’avoir les yeux bleus. On pensait que peut-être on pouvait le devenir, comme on trouve la foi à force de prière. Qu’il était beau le rêve. Être français tout doucement, par couches successives, sans efforts, et un beau jour :

– Bonjour Mohamed.

– Non moi c’est Jean-Philippe, comme Johnny. »

Jusqu’au jour où...

« On s’est retrouvés nez à nez en cours d’histoire avec un dessin qui représentait Charles Martel ayant battu les Arabes à Poitiers ! Lui, Charles, se tenait droit, dressé comme un i, fier, blonde chevelure lisse, et son cheval majestueusement cambré écrasait des Arabes dépenaillés, gueulards, frisés, bouche ouvertes et désarçonnés. Comme un seul homme on a fait : “C’est nous !’’ Pas comme une interrogation mais plutôt comme une évidence, pire, un flagrant délit de cruauté héréditaire, une tare congénitale. C’était donc

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