n° 106  

Opération spéciales à la clinique

Par Guillaume Bernard |

Une clinique fermée pendant cinq semaines, des infirmières en Rosa Luxembourg du bloc opératoire… à Manosque, on ne lutte pas à moitié quand on se lance !


« Quand il est venu sur le piquet de grève, le directeur nous a dit que si on voulait "prendre le temps de soigner les patients, il fallait peut‑être changer de service" ! » Flora soupire, en racontant l’instant. « Quand la phrase leur a été rapportée, la moitié des grévistes se sont mises à pleurer. Et c’était des larmes de rage », complète Cédric Volait, coordinateur local de la CGT Santé. Et la rage, parfois, peut s’avérer un bon moteur…
Pendant cinq longues semaines, 70 % des aides‑soignantes, infirmières et personnels administratifs de la clinique Toutes Aures de Manosque, seule clinique privée chirurgicale du département des Alpes‑de‑Haute‑Provence, se sont mis en grève. Cinq semaines pendant lesquelles Flora Paul est passée de jeune infirmière de 22 ans néophyte en matière de lutte à pasionaria du bloc opératoire, son équipe avec elle. Et dire qu’à la base, le mouvement ne devait durer qu’une journée… « Beaucoup d’entre nous avaient fait des sacrifices pendant le Covid et n’ont obtenu aucune reconnaissance, rappelle Flora. En plus nos journées sont surchargées et le travail est bâclé, on doit pousser jusqu’à 22, 23h00. On a l’impression de bosser à la chaîne et de ne pas respecter les patients. Il fallait dire stop. » S’ajoutent à ça des salaires qui stagnent malgré l’inflation. « On n’avait peur de rien : on a demandé 20 % de hausse de salaire ! »
Pour l’immense majorité des grévistes, l’expérience est une grande première. Surtout, « on n’avait jamais eu l’occasion de bien se connaître, regrette Flora. Quand la grève a commencé le 18 octobre 2022, certaines d’entre nous se rencontraient pour la première fois. Finalement c’est un peu le directeur qui nous a soudées, malgré lui. En refusant de négocier, il nous a bloquées sur le piquet de grève, et c’est là que les affinités se sont créées. Et on s’est mis à organiser plein d’événements : des manifestations dans Manosque, une tombola, des tractages, et surtout une soirée en soutien aux grévistes, avec débats et concert de pop rock ! Ce moment festif, il a fait beaucoup de bien à tout le monde. »

Et il y a eu le lien avec les syndicats, aussi. Dès les débuts, Cédric était là, sur le piquet. Ce n’était pas gagné, pourtant. Flora l’admet : « Je n’avais jamais rencontré la CGT, et quand on les côtoie pas, on pense que c’est "ceux qui râlent tout le temps". Mais nous, on a vu totalement autre chose : des personnes avec un cœur immense, qui n’ont pas hésité à donner de leur temps et de leur énergie pour nous soutenir alors qu’elles ne nous connaissaient même pas. Sans eux, c’est certain, nous aurions perdu. » Cédric Volait a apprécié la mue, mesuré le chemin parcouru : « Ça a été une formation accélérée ! Les salariées ont pris conscience de leur puissance. »

Et ce sentiment a vite produit son effet. D’abord parce que les médias ont commencé à s’intéresser à leur cause. Mais aussi parce que la direction les a pris de haut, et certainement pas au sérieux. « Ils nous ont proposé 25 € brut d’augmentation, vous vous rendez compte !, s’étrangle Flora, propulsée représentante des grévistes. Pour moi, c’était insultant. Imaginez pour celles qui bossent là depuis 25 ou 30 ans ! » Alors, les salariés comprennent qu’ils vont « aller jusqu’au bout ». « Nous, on en apprenait un peu plus chaque jour sur nos droits. à chaque rendez‑vous, on était plus pertinentes et on les mettait en difficulté ». Résultat : ils obtiennent 110 € brut mensuels et un groupe de réflexion sur les conditions de travail. « On n’a pas eu gain de cause sur tout, mais on s’est rendu compte qu’on avait un groupe en or. Si la direction s’en prend à une seule d’entre nous, ou pour les prochaines négociations annuelles obligatoires, on sera désormais tous ensemble pour se défendre », prévient l’infirmière. Et pour gagner à la fin !