n° 110  

Papi et mamie font de la résistance !

Par Zoé Thomas |

Deux mois d’occupation pour des personnes âgées menacées d’expulsion : à Poitiers, la lutte, c’est viennoiseries et karaoké, de 72 à 106 ans !


« On l’a appris dans les médias, que la mairie de Poitiers voulait fermer la résidence... » En ce mois de février, Olivier Lebeau, habitant depuis vingt‑trois ans du quartier de Bel‑Air, à Poitiers, tombe des nues. « Personne n’avait été prévenu. » Et pourtant : dans la résidence autonomie Édith‑Augustin de Poitiers, cinquante‑cinq résidents sont menacés d’expulsion. Les âges : de 72 à 106 ans. Certains habitent là depuis plus de quinze ans. Pour quelles raisons ? « Au début, c’était l’amiante, se souvient Olivier. Après, c’étaient les bacs des douches qui n’étaient pas conformes. La mairie a essayé de noyer le poisson. Les travaux auraient pu être réalisés sans faire quitter les lieux aux résidents. » Eux ne veulent pas partir, forcément. « C’est mon quartier, je le connais. Et dans les autres résidences, les appartements sont plus petits. J’ai déjà dû laisser des meubles à ma famille… », s’inquiète Jacky, qui vit là depuis trois ans.

Chaque jour, Olivier passe devant la résidence (« le foyer » comme il dit), et même « matin, midi et soir, pour promener le chien : les résidents me connaissent bien ». Alors, il devient leur représentant et celui des habitants du quartier. « On a organisé une réunion publique, puis une assemblée générale. On a décidé d’occuper la résidence 24h/24, 7j/7, à partir du 7 mars 2023. » Une organisation titanesque se met alors en place. « La journée, il faut gérer les intervenants, les résidents, les réunions, les débats, les activités, les visites des politiques, des soutiens. Le soir, on dort au foyer, dans les salles d’activités, les couloirs, la salle d’accueil. À six, minimum. Un peu comme une vie de famille organisée », résume‑t‑il. La CGT rejoint le mouvement, un collectif de défense se monte. Une solidarité spontanée se met en place. Vincent Bohan est secrétaire général CGT du personnel territorial de la ville et du CCAS : « On a distribué vingt‑cinq mille tracts ! On n’a jamais acheté un seul repas : on est nourris par les habitants du quartier. C’est assez fabuleux. La boulangerie a offert des viennoiseries en solidarité au mouvement. »

Ils ne lâchent pas, interviennent avec des papis et mamies dans un conseil d’administration du CCAS, se font entendre, organisent des soirées karaoké à la résidence, des goûters… « On a même fait passer une manifestation contre la réforme des retraites devant la résidence. Tous les habitants étaient sortis ! », rigole Olivier. C’est cet évènement qui attire les médias, et le Préfet de la Vienne. Mais les discussions sont ardues. L’occupation reprend de plus belle. « On s’est retroussé les manches. Mais ça a été très difficile, fatigant et douloureux pour les résidents et les habitants », jure Olivier. C’est que, « on n’est pas des pions, on est des êtres humains », justifie timidement Annick, résidente du foyer. Certains parlent même de mourir avant la date de fermeture prévue pour ne pas avoir à quitter leur logement…

Mais le 2 mai 2023, après deux mois de lutte, la maire annonce enfin le maintien de la résidence. Elle le reconnaît, avec une certaine honnêteté : « La lutte m’a obligée à réfléchir et à envisager d’autres options. Y a pas de mal à le dire. » Il est 22h30, quand Vincent vient annoncer la nouvelle aux personnes âgées. « Ah ça par exemple… Mais quelle histoire ! On va fêter ça hein ? » Simone n’en revient pas, et pourtant la lutte a ravivé les contacts humains entre résidents. « Leurs vies ont changé, témoigne Olivier. Avant, ils ne descendaient pas dans la salle d’accueil pour discuter. Depuis l’occupation, ils parlent une heure le matin avant de manger. Tout l’après‑midi, ils sont là à discuter, jouer, chanter. Ils sont heureux. On est devenu une famille. » Et tiens : une victoire de plus !

Zoé Thomas