n° 107  

Plus chauds que la fonderie !

Par Guillaume Bernard |

À la fonderie de Lorraine, trois jours de grève ont suffi pour multiplier par cinq l’augmentation promise par la direction ! Faut dire, quand on compte 90 % de grévistes…


« On faisait des efforts, mais on pouvait toujours se brosser pour être remerciés », peste Francis, ouvrier à la fonderie de Lorraine. Depuis quelque temps, la direction de cette usine de Grosbliederstroff menait la vie dure à ses salariés. Voilà quelques mois, « on nous a dit que le site était en déficit, qu’il fallait faire rentrer 3,7 millions d’euros de plus, et donc bosser davantage… », poursuit l’opérateur moulage. Francis et ses collègues s’y plient. Pour les beaux yeux du groupement des multinationales ZF and VOIT, 160 000 salariés, coactionnaires majoritaires de la fonderie et fournisseur des plus grandes marques de l’automobile mondiale, ils enchaînent les 3x8, cravachent les week‑ends. « Alors, quand les négociations annuelles obligatoires sont arrivées, on a exigé notre dû », raconte Laurent Vespa, délégué syndical CGT de la fonderie. Plus connu sous le nom de « Pépé », en bon doyen de l’usine.

Mais les réunions se succèdent, longues, inutiles, et les salariés ne voient rien venir. « Le directeur prétextait qu’il n’avait pas la main, que les décisions étaient prises en Allemagne... Ses simulations ne montaient pas haut : 30 € de salaire ! raconte Pépé. C’était tellement bas qu’on savait bien que ça allait péter... à la sortie de la dernière réunion, le 8 mars, les syndicalistes sont allés trouver l’équipe d’ouvriers en poste. Et à l’unanimité, ils ont voté la grève. Et on a exigé 300 € d’augmentation de salaire, et 3000 € de prime annuelle ! », se marre Pépé.

« Vu le manque de reconnaissance du travail fourni, on a eu une grève ultra majoritaire : 90 % des effectifs, soit 370 salariés. Même les techniciens ont décidé de sortir ! », pointe Francis. Voilà dix ans que la boîte n’avait pas connu une grève, mais Pépé, qui y roule sa bosse depuis 25 ans, n’avait pas perdu la main. « Les fours ont été mis à l’arrêt. Illico, on a monté le barnum, on a prévenu les renseignements territoriaux, la direction, et c’était parti. L’équipe de relève a tout de suite été solidaire. » Sans compter l’arme secrète des grévistes : Pépé et ses talents de négociateur, polis par des années de lutte. « Le directeur, il fallait le voir… C’était sa première grève ! Il était perdu ! Il ne comprenait même pas pourquoi on voulait des augmentations de salaire et pas des primes... » Au vu de ce début de mouvement sur les chapeaux de roues, Pépé et ses camarades syndicalistes sont reçus sur‑le‑champ. En 48 heures, ils négocient 150 € d’augmentation mensuelle de salaire, plus 1500 € de prime, plus – symbole de toute lutte victorieuse – le paiement des jours de grève. « Et pendant qu’ils négociaient, nous on tenait le piquet, 24 heures sur 24. Une tempête nous est tombée dessus : on n’a pas bougé ! On a tenu le barnum à bout de bras pour pas qu’il s’envole, mais on n’a pas bougé ! », tonne Francis.

Porté par la détermination de ses copains grévistes au‑dehors, Pépé tente et réussit même un coup magistral : « J’ai obtenu que la prime de 1500 € soit automatiquement transformée en augmentation mensuelle l’année prochaine. En réalité, donc, c’est pas 150 mais 265 € d’augmentation salariale qu’on a déjà gagné ! », détaille le sexagénaire, une calculette dans la tête. Le 10 mars, l’accord de fin de conflit est validé à l’unanimité par les grévistes, dans la joie. « Les salariés étaient heureux. Ils sont venus me dire que même lorsque je serai à la retraite, il faudrait que je revienne pour négocier avec la direction », assure Pépé, en se redressant. Faut dire qu’il « y aura encore les négociations annuelles en 2024 ». Le directeur n’a pas fini de ne rien comprendre !