Une machine à recentrage : la CES (5)

par François Ruffin 11/12/2009 paru dans le Fakir n°(42) octobre-novembre 2009

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Au sein de la Confédération européenne des syndicats, CGT et CFDT marchent main dans la main. L’institution, elle-même à la roue de la Commission européenne, a beaucoup fait pour le "dialogue social"…

« La Confédération Européenne des Syndicats était assez hostile à l’Europe telle qu’elle se construisait, raconte Corinne Gobin, chercheuse à l’Institut de Sociologie, à Bruxelles. Son problème, c’est qu’elle a cru en Jacques Delors, lorsqu’il est devenu président de l’Union Européenne, en 1985. C’est par là, par Delors, qu’est arrivée l’expression ‘dialogue social’.

« Il avait promis du donnant-donnant : la flexibilité en échange d’un maintien de l’industrie, et la CES a aménagé son discours, a poli ses critiques sur l’Europe. Mais Delors n’a rien donné en contrepartie : il a bâti l’union économique et monétaire, mais pour l’emploi, pour le social, on verrait plus tard. Les anciens dirigeants de la CES, plutôt des socialistes, se sont sentis les dindons de la farce. Et en 1991, l’organisation a basculé : elle élit à sa tête Gabolio, un démocrate-chrétien. L’on passe alors d’un discours d’opposition à de l’accompagnement, avec des thèmes qui ont essaimé dans les syndicalismes nationaux : la formation professionnelle, le temps partiel, la baisse des cotisations, la flexisécurité… »

C’est cette Confédération Européenne des Syndicats, à la roue de la Commission Européenne, que la CGT intègre en 1999 – parrainé à l’époque par la CFDT. Avant d’intégrer son bureau, en récompense de sa bonne tenue. Car à Bruxelles, la centrale envoie un eurobéat : « Quand la CGT a intégré la CES, analyse toujours Corinne Gobin, la FGTB [le principal syndicat belge] a espéré qu’elle pousserait à gauche. Mais le représentant de la CGT ici, Joël Decaillon, est prêt à tout avaler pourvu que ce soit estampillé ‘Europe’ : quand le Parlement de la CGT a voté contre le Traité constitutionnel européen, il a appelé ça ‘le jour le plus noir de sa vie’ et le 29 mai 2005, il s’est senti ‘trahi par son propre camp.’ »

Au-delà de cet émissaire propre sur lui, la CGT a apporté des gages : abandonner, dans sa hiérarchie au moins, sa culture du conflit, ses ossements de « dogmatisme marxiste ». Et devant les cabris de la CES qui tressautent sur leur chaise en criant « l’Europe, l’Europe, l’Europe  », qui approuvent tous les manifestes laisser-fairistes pourvu qu’on ajoute « Européen » dans le titre et « paix » à l’intérieur, la CGT range ses attaques : la CEE était rarement citée, auparavant, sans qu’on ne précise « l’Europe capitaliste », « l’Europe de la finance », « l’Europe supranationale » – face à quoi l’on exigeait une « Europe antimonopoliste, démocratique et pacifique ». Désormais, plus d’adjectifs ne la dénonce, c’est juste « l’Europe » tout court, comme si l’on consentait à son libéralisme : « J’ai relevé certaines avancées », positivait ainsi Bernard Thibault à propos du TCE – qui comportait pourtant « la concurrence libre et non faussée » comme clé de voûte.

(article publié dans Fakir N°42, octobre 2009)

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