n° 98  

Les petites mains : Végétariens 1 – Carnivores 0

Par Le SPMF, syndicat des petites mains de fakiriennes |

Si on n’arrête pas de bouffer de la viande par idéal, à Fakir, on le fera peut-être pour une autre raison...

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« Et la lectrice m’écrit, donc, qu’elle joint à sa lettre du magret qu’elle produit elle-même, pour me remercier. C’était vraiment gentil ! On m’a bien transmis son courrier, mais je n’ai jamais vu le magret ! » Nicole, notre bénévole en charge de lire vos lettres, en rigolait, dans le bureau de la rédaction. Mais le mystère du dit magret devait être élucidé. Un étage plus bas, on en parlait donc à Fabien, grand logisticien et par ailleurs chef étoilé de la cantine Fakir.
« Ah non, je ne vois pas… »
L’enquête s’est poursuivie à table, pendant le repas commun du midi. Poulet au curry - haricots, ce midi-là.
« De toute façon, c’est pas plus mal qu’il ait disparu, ce magret. mieux vaut limiter sa consommation de viande, vous le savez », a lâché Damien.
Damien est végétarien. C’est une tendance, dans l’équipe. Y a quinze ans, c’était PPP tous les midis, « pain pâté pinard », jamais un légume dans la cuisine, et d’ailleurs pas de cuisine. Puis Brigitte est arrivée, carrément vegan, Joseph, qui a converti Julie. Là, c’est Damien, donc, qui tient le flambeau.
Et Pascale qui s’étrangle.
« Non mais ça va pas ? Et le bien vivre, le bien manger ? ça fait partie de notre culture ! On ne peut pas abandonner ça comme ça ! » elle a lâché, entre deux bouchées.
Magalie a enchaîné :
« Moi, je lis beaucoup de magazine plus ou moins médicaux, et je suis choquée par le nombre de raisons pour lesquelles il faudrait diminuer la viande, entre les muscles, les hormones, le rythme cardiaque...
 Et même, du point de vue écologie ! on est écologistes, aussi, quand même, non ?
 Moi, je serai vegan quand je serai morte ! »

La majorité silencieuse écoutait. Fabien, lui, c’est plutôt le genre bonne chère, charcuterie au petit déj’ et entrecôte avant d’aller au lit. Mais prêt au consensus :
« Je peux faire des assiettes avec et sans viande, c’est pas un souci. D’ailleurs, sans viande, ça revient moins cher…
 Hein ? Quoi ? »

Le rédac’ chef était jusqu’alors muet, occupé à vider les moindres recoins de son assiette.
« ‘‘Moins cher sans viande’’, c’est combien, la différence ?
 Bah, faudrait que je calcule, mais par personne, je dirais, c’est du simple au double, quand même… »

Le boss a pris une grande respiration, a fermé les yeux, puis avalé son ultime morceau de poulet lentement, comme un condamné savoure sa dernière cigarette. Une fois la bouchée déglutie, il a repris la parole.
« En effet, on doit mettre nos principes en accord avec nos actes. Sans concession. Alors, je propose solennellement qu’à partir d’aujourd’hui, on n’achète plus jamais de viande à Fakir ! »
Dans le brouhaha qui s’en est suivi, Fabien est devenu tout pâle. Comme ça durait, il a fallu l’amener dare-dare aux urgences. « Votre cœur a du mal », a annoncé le médecin. « Monsieur, vous mangez trop gras, trop riche, il faut lever le pied ! »
Forcément, Ruffin y a vu un signe… « Finie, la viande ! Et ne venez même pas me parler de jacuzzi avec les économies ! »
Par compassion pour Fabien, on n’a pas osé. Pas cette fois.