La bombe de Challenges

par François Ruffin 19/05/2018 paru dans le Fakir n°(82) Date de parution : septembre octobre 2017

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C’est le plus anticapitaliste des magazines, on dirait : Challenges.
Comme chaque année, « le news de l’économie »
publie son « classement des fortunes de France ».
Et il suffit de trois graphiques. Qui passent en petit. Et en page 41.
Tant ils sont explosifs.

Nous n’avons, finalement, qu’à recopier ce papier, tant c’est un afflux de statistiques révolutionnaires : « Le constat saute aux yeux : à voir l’évolution du classement de Challenges des 500 fortunes professionnelles depuis sa première édition en 1996, le patrimoine des ultra-riches, en France, a considérablement progressé depuis deux décennies. Les chiffres attestant de leur prospérité impressionnent : le nombre de milliardaires a explosé, de 11 à 92, et, au total, la valeur des 500 fortunes, passée de 80 à 570 milliards, a été multipliée par sept ! Des chiffres qui témoignent du formidable essor des entreprises au bénéfice de leurs actionnaires, alors que, pendant les mêmes vingt ans, la richesse produite par France SA, mesurée par son Produit intérieur brut (PIB) n’a fait que doubler, à 2223 milliards. Résultat : les “500”, qui ne comptaient que pour l’équivalent de 6 % du PIB en 1996, pèsent aujourd’hui 25 % ! Ce déséquilibre de croissance au profit des plus riches s’observe d’ailleurs au sein même du palmarès des fortunés, propulsant les premiers, éloignant les derniers : les avoirs du Top-10 représentent plus de 40 % du total de la fortune des 500, contre 30 % il y a vingt ans.
Et la tendance s’accélère : ainsi, sur cette seule dernière année, ces dix leaders ont vu la valeur de leur patrimoine grimper encore de 35 %.
Incarnation de cette flambée, le parcours de Bernard Arnault : dans le Top-10 dès l’origine, l’actionnaire principal de LVMH y est entré avec 2,7 milliards d’euros ; aujourd’hui, il est l’homme le plus riche de France avec 46,9 milliards, soit 17 fois plus. La famille Hermès a vu la valeur de ses parts du sellier multipliée par plus de 15, les héritiers de Dassault leurs actions multipliées par 21. Et pour Vincent Bolloré, le recordman, c’est un facteur 26 ! (...)

Cette prospérité de l’élite des fortunes contraste avec le sort du reste de la population. Le patrimoine médian des Français, lui, a stagné depuis 1996, sous les 160 000 euros. De quoi exciter les polémiques compte tenu de ‘‘la passion française pour l’égalité’’, selon le mot du philosophe Alexis de Tocqueville. De fait, dans un rapport publié en octobre 2016, France Stratégie, organisme de prospective rattaché à Matignon, notait que huit Français sur dix estimaient que le fossé entre pauvres et riches s’était creusé en dix ans, ‘‘attisant l’impression d’une société profondément injuste’’. (...)
L’attention générale est focalisée sur les disparités de revenus, les plus immédiatement perceptibles. Et là, la crise de 2008 a bien créé une cassure. Pour les trois quarts de la population la moins aisée, c’est une décennie perdue : ils retrouveront à peine cette année le niveau de vie qu’ils avaient en 2007 (après impôts et transferts, en tenant compte de l’inflation). L’ascension sociale de ces classes moyennes, constante depuis les années 1950, s’est interrompue brusquement, nourrissant un sentiment de déclassement et d’inquiétude pour l’avenir de leurs enfants. Loin des préoccupations des 1 % du haut de l’échelle, dont le train de vie n’a, lui, pas ralenti. (...) Mais pour avoir une idée plus pertinente de l’ampleur des inégalités de richesses, il faut examiner les écarts de patrimoines. L’envolée est hyperbolique : la fortune des 1 % du sommet de la pyramide est encore 7 fois supérieure à celle des 9 % juste en-dessous. Et ces 1 % détiendraient à eux seuls 23 % du patrimoine total, contre 17 % dans les années 1990.
Ces distorsions fortes dans la possession du capital sont d’autant plus mal supportées qu’elles se pérennisent au travers des générations via l’héritage. France Stratégie signalait ainsi, dans une note de janvier 2017, que les successions et donations sont passées depuis 1980 de 60 à 250 milliards d’euros : elles représentent désormais 19 % du revenu global des ménages pour 8 % voilà trente-cinq ans. La France, terre d’héritiers ? Notre classement ne le dément pas : dans le Top-10, les fortunes dynastiques dominent, et Xavier Niel et Patrick Drahi sont les seules nouvelles figures depuis vingt ans. » (Puisque nous les pillons, je voudrais saluer ici, et sans la moindre ironie, le travail remarquable de nos confrères Gaëlle Macke et Éric Tréguier.)
Certes, on est dans un mag libéral.
Ce « constat saute aux yeux », comme une bombe qui pourrait leur péter à la figure.
Aussi faut-il l’entourer d’éditoriaux précautionneux (« La richesse ne nous passionne pas en tant que telle, sinon par sa création, indicateur de réussite et facteur de prospérité »), de commentaires mesurés (« face aux inégalités, pragmatisme vaut mieux qu’utopie »), d’entretiens cotonneux (« l’innovation peut réconcilier croissance et inégalités »), de propos lénifiants (« supprimer les riches ? La chose serait facile. Mais à quoi bon, si cela appauvrit l’ensemble de la société ? »), etc.
Challenges prend mille précautions, on le sent bien, pour dégoupiller sa grenade…

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