La cantinière et le DRH

par Cyril Pocréaux 09/10/2019 paru dans le Fakir n°(88) Date de parution : Février Mars 2018

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Une collectivité territoriale qui cherche à se débarrasser d’une cantinière :
l’affaire semble jouée d’avance. Sauf quand la peur change de camp…

Elle ne demandait pas la lune, Nadine : juste à rester près des gamins. « C’est ce que j’aime, être avec eux, les aider… » Nadine était cantinière à l’école élémentaire Pierre-et-Marie-Curie de Portet-sur-Garonne, à la lisière de Toulouse. D’accord, l’ambiance avait changé, depuis qu’elle et ses collègues étaient gérées par l’agglo. « Les enfants étaient considérés comme des clients. Si l’un d’eux n’était pas inscrit, on ne prévoyait jamais une part supplémentaire : il ne mangeait rien. Moi, je décongelais un plat en réserve pour lui donner, je pouvais pas laisser faire. » Mais dans l’ensemble, ça passait encore. Jusqu’à ce que ses mains ne lâchent. « J’ai longtemps surmonté la douleur, je me disais que ça irait mieux… J’ai présumé de mes forces. » A porter et briquer des tonnes d’assiettes tous les jours, ses os s’effritent comme du sable. « Ils étaient complètement émiettés, du pouce au scaphoïde. » En 2008, donc, direction la table d’opération. Elle subira huit interventions en tout, plus « des prothèses, des broches ». Les médecins la déclarent en maladie professionnelle. La voilà handicapée, et confinée à la maison.

C’est pas la joie, déjà. Mais ça ne suffit pas.
Son employeur, la Cam, "Communauté d’agglo du Muretain", essaie de se débarrasser d’elle, de sa maladie pro, pour ne plus lui verser de salaire, pour ne plus lui payer médecin et médicaments : « Du jour au lendemain, la CAM m’apprend que je suis mise à la retraite d’office depuis 2016. Trois jours après, je reçois une injonction pour rembourser 34 000 € de salaire ! » Un licenciement déguisé, et rétroactif !
Le DRH la convoque le vendredi soir, après la fermeture des bureaux :
« Moi, les maladies qui durent et perdurent, j’en veux pas. Je suis ici pour faire des bénéfices.
- Mais ce n’est même pas l’agglo qui paye, c’est la Sécu… »
ose Nadine.
« Vous êtes pas de la compta, c’est pas votre problème. Mais on peut s’arranger sur certains points, si vous me signez cette lettre, là, qui dit que vous êtes partie à la retraite de votre plein gré. Et je vous préviens : je gagne toujours… »

Après des décennies à la plonge, c’est Nadine et son moral qui plongent : « C’était ‘‘la balayeuse contre le DRH’’, fallait pas rêver… » La voilà sans salaire, et criblée de dettes. « J’en étais déprimée, malade. Les gens du village me disaient ‘‘mais comment tu vas rembourser tout ça ?’’, alors que je ne devais rien, je ne suis pas une voleuse. » Sa sœur et ses frères la soutiennent financièrement. « C’est pour eux que je me suis dit qu’il fallait se battre. Parce qu’ils avaient aussi des enfants à élever. Et puis, j’ai pas un caractère à me laisser faire. » Les soutiens arrivent. C’est que Nadine, qui travaille là depuis 1991, en a vu passer, des générations de gamins devenus grands…

Tony, militant de la France insoumise, interpelle le maire. Deux mille tracts sont distribués dans la ville. Les élus font la sourde oreille ? Une manif est organisée devant leurs bureaux. « On peut pas en arriver là, vous vous rendez compte ? », paniquent les maires. Au bout des négociations, malgré des primes et congés sucrés, les salaires sont restitués, les dettes effacées. « Ils ont joué le pourrissement mais ont eu peur de la médiatisation, assure Jonathan, le neveu de Nadine. Mais pour celles qui sont seules, comment ça se passe ? Elles se font avoir en silence ? » D’ailleurs, le DRH l’a prévenue : « On a fait une exception avec vous, mais surtout n’allez pas l’ébruiter. » Nadine en rigole encore  : « Lui, il n’a vraiment rien compris de qui je suis ! » Et c’est comme ça qu’à la fin, ça se retrouve dans Fakir ! Pour que d’autres puissent gagner…

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