Loïc Trabut : "Pour un statut de fonctionnaire des AVS"

par Vincent Bernardet 08/03/2018 paru dans le Fakir n°(79) février-mars 2017

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Chercheur pour l’Institut national d’études démographiques, Loïc Trabut, sociologue, est co-auteur du livre Le salaire de la confiance.

Fakir : D’après toi, pourquoi l’« aide à domicile » apparaît aussi massive ?

Loïc Trabut  : C’est pour faire coup double : 1. face au chômage de masse, 2. face à la dépendance des personnes âgées. Les politiques voient l’opportunité. Il y a substitution, en un sens, avec le monde industriel qui est en pleine chute. Les services, et l’aide à domicile, deviennent un « service industrialisable », ça remplace l’industrie pour les femmes peu qualifiées.

Donc, à partir du milieu des années 1990, on va faire des dépenses publiques. Mais comme domine « l’idéologie de marché », on va en faire un marché, même de façon artificielle. Pas question de créer un service public. On va subventionner les particuliers, via l’APA, ou les crédits d’impôt, pour développer un marché, avec des associations, des entreprises.

Fakir  : Pourquoi ce choix ? Il y a d’autres possibilités que l’aide à domicile pour nos petits vieux, non ?

L. T.  : Plein. Pourquoi ce choix ? Bah parce que c’est le moins cher tout simplement. C’est moins cher que de construire des maisons de retraite, ou un vrai service public du troisième âge. Et puis on se base sur la volonté des personnes à rester chez elles. On se dit que c’est plus humain.
Mais franchement, les enfermer chez elles, avec leur aide à domicile qui passe deux fois par jour, le matin elle ouvre la porte, elle rentre, elle ouvre les volets, elle pose mémé sur les chiottes, elle fait à bouffer, tac elle repose mémé, elle re-verrouille la porte en partant. Le soir elle revient, elle re-déverrouille la porte, elle ferme les volets... Enfin... c’est de la maltraitance. Je parle du système hein, pas des nanas... C’est quand même à chier, quoi.

Fakir : Et pour les salariées ?

L. T. : Ce sont des travailleuses pauvres, pour beaucoup. Il y a un vivier de dingue, donc on s’en fout d’elles, tant pis si elles restent sous le seuil de pauvreté. Regarde les chiffres. En 2010, l’aide à domicile est composée à 90 % de femmes. 87% ont un diplôme inférieur au bac. 33% n’ont aucun diplôme. 26% d’entre elles travaillent moins de 15 heures hebdomadaires.
En prestataire, le salaire horaire brut médian est de 9,9 euros. Annuellement, il est de 8 463 euros. Soit 705 euros mensuel. En mandataire et particulier – employeur, il est de 10,4 euros horaire et 3392 euros annuel. Soit 282 euros mensuel.
282 euros mensuel !

Fakir  : D’après mes AVS, pourtant, elles ressentent du mieux. Le secteur se structure, ce n’est pas parfait, ça tâtonne mais, pour elles, il y a du mieux…

L. T. : Sans doute qu’on a progressé un peu, mais y a de la marge ! Quand on part de rien, forcément, y a du mieux…
Mais bon, c’est pourri. Il faut le dire, c’est pourri. Ce n’est pas pour rien que c’est un « secteur en tension », c’est-à-dire en recherche de main d’œuvre. Ces métiers sont horribles. Il en faut de l’abnégation. T’es mal payé, t’es traité comme de la merde, t’as les mains dans la merde, les vieux te traitent comme de la merde et la famille te traite comme de la merde. Il faut aimer son prochain quoi. C’est quand même l’horreur. Quand tu parles avec elles, elles ont de l’abnégation. Elles y vont parce que c’est un devoir et puis... c’est un travail qui a du sens, quoi. Sur Inter ce matin ils parlaient du « brown-out », c’est marrant ces nouveaux mots. Ça veut dire les métiers où tu ne sens pas l’utilité sociale. Bon, là, c’est sûr qu’il n’y pas ce problème, l’utilité se fait sentir.
Mais moi, pour elles, je suis partisan d’un statut de fonctionnaire, ou d’une vraie délégation de service public.

On fait nôtre cette idée. Que les aides à domicile soient fonctionnarisées. Qu’on crée un vrai service national de la dépendance, pour les personnes handicapées aussi. Qu’il n’y ait plus de différences entre les territoires. Et qu’on prenne le sujet à bras‑le‑corps.

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  • Le début de l’article est super , surtout quand il est mentionné que ces femmes sont peu politisées, syndiquées et qu’elles sont seules. Et oui les femmes en générale sont seule avec leur problème de femmes, avec les problèmes de mères, avec notre boulot, les mômes et le reste, on est même pas solidaire entre nous, de peur qu’une autre nous pique notre mec (comme si c’était grave)). Personne pour nous aider avec les enfants, paire GROS jugement des profs sur notre éducation, qui ont ils pour oser dire a des adultes des horreurs sur nos momes ? comme si eux etait parfait et les mères responsable de tout ... Le machisme aussi est transmis par les femmes, mais elles au moins le subissent, et c’est pas les assos de femmes battue ou féministe qui vont nous aider a être plus ensemble, se battre toute pour chacune et pur les jeunes. Là y’a boulot, surtout que les mâles des partis ou des syndicats sont loin de la réalité des problèmes et sont bien machiste , surtout a gauche ou le machisme est réel et non reconnu, des Taupin y’en a partout a gauche.
    Bravo a elles et courage.

  • Merci Fakir , vous libérez la paroles de ce femmes opprimées !
    Travaillant dans ce milieu mais du côté administratif , j’admire leur travail, je ne suis pas certaine de pouvoir l’assumer alors que je le connais parfaitement. C’est un métier dur, pénible (sans pour cela "rentrer dans les cases du compte pénibilité !) , un métier où il faut laisser de côté ses soucis pour pouvoir s’occuper de ces "seniors" , de ces "handicapés", de ces gens parfois abandonnés par leurs famille ..... etc etc ...
    Les AVS sont le rayon de soleil de la journée pour ces personnes !
    Bien sûr en ce moment il y a les grands discours de nos "chers" (dans tous les sens du terme) politiques, de beaux discours, "occupons nous de nos anciens, il faut développer le maintien à domicile et blablabla ...
    Dans certains cas, nous frôlons l’esclavage .. oui je n’ai pas peur des mots : quand on demande à une salariée de revenir au milieu de ses congés d’été pour assurer les interventions d’un week end , oui j’appelle cela de l’esclavage ! q.. Mais ce sont des femmes, employées à temps partiels, qui n’ont pas le courage de lutter pour simplement faire respecter leurs droits liés à une convention collective somme toute pas trop mal faite .... Milieu de précarité absolue, qui touche surtout les femmes ... de simple "femmes de ménage" qui n’intéressent personnes .....et encore moins nos "élus" ... Alors encore merci Fakir !

  • Merci pour cet article très intéressant. Ce serait bien de donner un peu plus de contexte : quel est leur statut au regard du droit du travail ? Qu’est-ce qui risque de leur arriver et qui en a décidé ? Et est-ce seulement au niveau régional ou national ? Merci d’avance.