Des mairies, des cantines, des garderies en grève : depuis mi-novembre, les services publics municipaux sont vent debout contre les coupes budgétaires prévues dans le budget 2025. C’est que, éreintés, les maires ne décolèrent pas. Les Gilets jaunes d’abord, les blouses blanches, les stylos rouges puis verts, maintenant les écharpes noires des édiles : c’est un feu d’artifice, la colère sociale contre la Macronie…
Maires : ces héros qu'on étrangle
Elle est « arrivée au bout de ce qu’elle peut endurer ». Alors, Camille Pouponneau a annoncé, en octobre, la démission de son poste de maire de la commune de Pibrac (Haute-Garonne). La conséquence d’un épuisement physique et psychique. Manque de financement des collectivités, manque de moyens, et du coup « un service public en miettes, et les dernières annonces de coups de rabot qui vont encore empirer la situation »…
Faut-il s’étonner, dès lors, de voir fleurir des écharpes noires, des visages en berne ? Ce mardi 19 novembre, ils étaient cinq milles édiles à couvrir leur banderole tricolore, en signe de protestation, lors de la première journée du 106e Congrès des maires, à Paris. Pour André Laignel, maire d’Issoudun (Indre) et membre de l’AMF depuis 2012, c’est pour des communes « vassalisées » et « asphyxiées » le début d’un « combat pour continuer à donner à nos communes la capacité d’action pour être au service de nos concitoyens ».
Le coup de grâce, parmi les coupes budgétaires franches prévues dans le budget 2025 de Michel Barnier ? une contribution de cinq milliards d’euros demandée aux collectivités.
Alors, sur le terrain, les mairies, des cantines, des garderies ferment, en signe de protestation.« Ce qu’on espère, c’est que ces mesures soient retirées, parce que non seulement elles sont injustes, mais elles contribueraient à la chute de l’investissement local », soupire Antoine Homé, maire de Wittenheim, dans le Haut-Rhin.
Où couper le robinet ?
À Launaguet, Saint-Denis, au Havre, le périscolaire fait grève en réponse aux exigences du gouvernement. Partout, on réclame une meilleure rémunération, de meilleures conditions de travail, s’arracher aux sous-effectifs et au manque de matériel. Alors qu’au contraire les coupes budgétaires annoncées forceraient les mairies à réduire certaines dépenses. « Qu’est-ce que l’on réduit ? L’aide à domicile des séniors ? La petite enfance ou l’aide aux associations ? » questionne Emmanuel Sallaberry, maire de Talence (Gironde).
À Talence, justement, l’exécutif réclame deux millions d’euros d’économies par an jusqu’en 2026, 3 millions en 2027. Un montant que le maire devra dégager du budget. « Soit 10 millions d’euros en trois ans, l’équivalent de la rémunération de 50 fonctionnaires à temps plein », se désolé le maire.
C’est quoi, les solutions, au final ? Faire trinquer les associations, qui en pâtiront aussi, si les communes doivent économiser ? Fermer les cantines ? Annuler des investissements, des travaux de rénovation, augmenter les impôts ? « Les conséquences pour les habitants sont simples, c’est du service en moins pour eux », analyse le maire. Autre solution : emprunter de l’argent, et risquer en plus une hausse des taux d’intérêt. « On a tous pris la décision de reporter de trois mois le budget, c’est une angoisse », conclut Emmanuel Sallaberry.
« Éviter la mort »
« Éviter la mort des communes », c’est le slogan soutenu par l’AMF (association des maires de France). Mais le gouvernement français, sourd et obsédé par sa quête de 60 milliards d’économies, persiste à exiger des collectivités locales qu’elles se serrent la ceinture, elles qui sont déjà à l’os depuis plusieurs années.
« C’est un cri d’alerte… C’est beaucoup trop violent », explique Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse.
Et ça n’est pas nouveau.
Qu’on rembobine : déjà, sous François Hollande, des restrictions terribles avaient été imposées. C’était lors du 99e congrès des maires de France, en 2016. Les dotations prévues pour l’année de 2017 devaient atteindre 3,7 milliards d’euros pour les collectivités locales ? Finalement, François Hollande tranche, à la hache : le budget sera divisé par deux. Coup de massue.
Mille démissions en un an
Mais le bulldozer continue d’avancer, aujourd’hui. Depuis les dernières élections municipales, 2 400 maires ont démissionné, dont plus d’un millier depuis un an, et 57 000 sièges de conseillers municipaux sont vacants.
Ce mal-être est évoqué dans la dernière enquête publiée par l’AMF, qui aborde les conséquences des mandats pour la santé des élus. Trop de charge mentale, pas assez de marge de manœuvre et une profonde fatigue : 83 % des maires estiment que leur mandat est usant pour la santé, 91 % se disent « sous pression », 86 % présentent des troubles du sommeil. « Ce qui n’est pas étonnant au regard des engagements consentis et des débordements temporels du mandat », selon l’AMF.
Raccrocher l’écharpe ? 44 % d’entre eux y ont déjà pensé. « J’arrête au prochain mandat… Grosse fatigue », raconte le maire divers gauche de Rosoy (Yonne) Dominique Chappuit dans Le Monde. A la fin du congrès des maires de France, le Premier ministre s’est contenté de reconnaître, sans rien céder, « quelques injustices » au budget qu’il défend. Quel art oratoire, quel sens de l’euphémisme… ! Julien Merle, maire sans étiquette de Sérignan-du-Comtat (Vaucluse), confie au micro de France Bleu : « Je suis très inquiet pour les prochaines élections. Il y a beaucoup de mairies où cela va être compliqué de trouver quelqu’un qui a envie d’être maire. » Et d’autant plus si on a encore des Michel Barnier et consorts à la tête du gouvernement.