Médecins malgré elles

par Cyril Pocréaux 14/01/2020 paru dans le Fakir n°(90) Date de parution :

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À Montpellier, des mamans se rassemblent, se déguisent et se battent.
De suite, chez les bailleurs sociaux, ça rigole moins…

Elles ont déboulé comme ça, une douzaine de blouses blanches, stéthoscopes à la main, pour donner des consultations à grand renfort de slogans et pancartes devant le centre de la Sécu de l’Hérault. Des femmes, surtout. Des enfants, beaucoup. Mais pas de toubibs, non : des mamans en colère, derrière le côté ludique de la manif… « Y a un virus qui traîne, chez nous, qui touche nos enfants, c’est le virus Yves Vincent ! », gueulent Sihem, Leïla, Soukaina, Nadia et leurs copines. Yves Vincent, c’est le directeur d’Erilia, leur bailleur social. Celui qui laisse leurs apparts, dans le quartier populaire de la Paillade, à Montpellier, à l’état de passoires thermiques, entre « infiltrations, fuites, gros soucis d’isolation quand ce ne sont pas des cafards ou des souris… », explique l’une d’elles.

Les employés de la Sécu ont eu du mal à masquer leur étonnement : « Mais… Qu’est-ce que vous faites, là ? Vous êtes médecins ou quoi ? » Presque : elles veulent soigner les comptes publics. Faire payer Erilia. Derrière les masques, un vrai discours politique. « Ça a un coût pour la Sécu, tout ça, nos enfants qui tombent malades ! » Chez leurs gamins, depuis des mois, les pathologies s’accumulent. « Les enfants, en permanence, ils ont des bronchiolites, des rhinites, des bronchites, ils font de l’asthme... » Le bébé de Leila, quelques mois à peine, a déjà passé une bonne partie de son temps à l’hôpital. Alors, puisque le bailleur ne répond pas à leurs requêtes, elles tapent où ça fait mal : au portefeuille. « Qu’on chiffre la somme de tous les médicaments, de toutes les consultations, et qu’on l’envoie à Erilia ! » assène Leïla au personnel de la Sécu. Les employés écoutent leur cas, se souviennent qu’un de leurs services traite ces problèmes…

A la Paillade, depuis des années, « même les bâtiments neufs ont des problèmes », soupire Jody, une maman. Dans certains apparts, on dépasse les 30° C en été, on tombe à 16° C en hiver. Et la ventilation ne marche pas. « L’été, bientôt, on aura le climat du bled ! », se marre Nadia. Rhany, un médiateur social qui accompagne leurs aventures, raconte : « Une fois, en hiver, Amel me reçoit chez elle, elle était en anorak. Elle le porte même la nuit ! » Rhany, il se définit comme un « petit-petit-fils d’Alinsky », le sociologue américain, chantre de l’auto-organisation dans les ghettos de Chicago (on en a même fait un bouquin, à Fakir  : L’art de la guérilla sociale). « Qu’est-ce qu’il raconte, tonton Alinsky ? Qu’il faut mener des actions 1) non violentes, 2) qui emmerdent les décisionnaires, 3) économes en moyens et en temps, 4) drôles. » A partir de là, Samira, Jody, Nadia et les autres mamans commencent à se parler, à la sortie de l’école, en allant voir les voisins, au porte-à-porte. Le foyer prend vite. « Faire des trucs marrants, ça change un peu et ça attire plus les gens, note Jody. Pour nous, c’est important aussi de prendre du plaisir. On rigole, et du coup on se rapproche les uns des autres. »

Les actions se mettent en place, et c’est pas triste, en effet... Les ballons d’eau chaude ne marchent pas ? Les habitants d’une des tours débarquent à l’office HLM à poil, en serviettes de toilette et armés de savons, pour se doucher. Peu à peu, les autorités bougent. Le maire se déplace pour entendre causer ascenseurs et poubelles qui traînent. Dans la foulée de la visite à la Sécu, un organisme de contrôle énergétique se pointe dans les apparts, constate les dégâts, et lance une injonction au bailleur. Et s’aperçoit, en plus, qu’il surfacture l’eau aux habitants ! Erilia sent le vent tourner, transpire à grosse gouttes… Alors, malin, il propose aux meneuses un nouveau logement. Elles refusent ! « Pourtant, Leïla, Samira, elles sont en sur-occupation dans leurs apparts, qu’elles payent une fortune, raconte Rhany. Mais elles ont dit non. » « C’était du clientélisme, on doit rester solidaires pour rénover tout le bâtiment ! », clament-elle en chœur.

L’appétit venant en gagnant, elles l’assurent, les mamans, désormais : « On se prépare pour repartir de plus belle à la rentrée… » Y en a qui risquent d’avoir des sueurs froides, dans les mois qui viennent. Et pas parce que leur bureau est mal isolé…

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