Richard Wilkinson : "Les riches n’abandonnent que face à une menace sociale"

par François Ruffin 01/10/2016 paru dans le Fakir n°(74) 20 février 2016

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Déchirer des chemises, c’est déjà brutal. Mais un very distingué professeur nous recommande pire…

Il y a deux ans, à peu près, je rencontrais, à York, l’épidémiologiste Richard Wilkinson, auteur de Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous. Et toute la séquence Air France / Goodyear m’a fait repenser à ça, à la fin de notre discussion. Je revêtais ma tenue « I love Bernard », pour évoquer avec lui mon patron préféré, le PDG du groupe LVMH, que je voulais « sauver de lui-même » :

F.R. : Quand j’ai lu votre livre, je me suis dit, « Tiens, voilà une thérapie pour Bernard Arnault », parce qu’il paraît tellement triste, tellement hors du monde…

R.W : J’avais une tante, que j’aimais beaucoup, qui venait d’une famille très riche. Seulement, pendant la guerre, elle a été emprisonnée par les Japonais, elle a subi la famine. Elle a dit ensuite que cela lui avait fait beaucoup de bien. Elle a rencontré d’autres gens, elle a réalisé à quel point cette vie pouvait être dure. Elle est devenue une meilleure personne grâce à cela.

F.R. : Donc vous nous conseillez d’emprisonner Bernard Arnault et de l’affamer ? Moi, je ne suis pas aussi violent que vous. Je voudrais suggérer à Bernard Arnault de m’accompagner, de rencontrer les gens qu’il a licenciés il y a trente ans. D’aller dans ses usines en Pologne, en Inde, à Madagascar, et de voir comment ses employés vivent. J’ai pensé que, peut-être, s’il sort de ses bâtiments de verre, de ses chiffres, de son cercle d’amis très aisés, peut-être qu’il pourrait réintégrer la communauté humaine…

R.W. : Vous parlez de convertir des personnes riches. Ce n’est pas le sujet.
Le sujet, c’est la démocratie.
Les Etats-Unis et de nombreux pays développés sont devenus plus égalitaires pendant les années trente seulement parce qu’ils avaient peur du communisme et du syndicalisme. Pendant toute une période ils ont réduit les inégalités. Quand des protestataires ont secoué la voiture d’un dirigeant de la Bank of Scotland, ont cassé sa fenêtre, eh bien, ce jour-là, je crois que ce financier a commencé à s’inquiéter, à se soucier de comment il était vu, jugé.
Les riches n’abandonnent leur position que face à une menace sociale. C’est aux gens, pas aux riches, de prendre conscience de ces injustices, et du fait que les oligarques ne méritent pas ces privilèges.

F.R. : Donc, il faut créer une menace sociale pour changer Bernard Arnault ?

R.W. : Notre regard sur les riches doit changer, il faut en finir avec l’admiration, ou la déférence. On devrait les considérer comme des égoïstes, des antisociaux, les mépriser, et qu’ils le sachent.
C’était le cas dans la préhistoire. Christopher Boehm, un expert des sociétés de cueillette et de chasse, a rassemblé des données sur deux cents sociétés différentes. La plupart étaient extraordinairement égales, basées sur le partage de la nourriture, l’échange de dons. D’après lui, ils maintenaient l’égalité en ridiculisant ceux qui se voulaient supérieurs, ou ils les exilaient, et dans certains cas, ils étaient même tués. Il montre comment ce qu’il appelle des « stratégies contre les dominants » fonctionnaient.

F.R. : Maintenant, vous voulez le tuer !

R.W. : Dans une certaine mesure, les démocraties modernes sont une « stratégie contre les dominants », mais c’est une contrainte inefficace. Il faut la rendre plus efficace.

[(Retrouvez l’interview en intégralité dans notre livre L’égalité c’est la santé, Fakir éditions, 4 euros.)]

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  • Dire que les riches ne changent que s’ils ont peur est vrai et faux à la fois. S’ils font des concessions, c’est aussi parce que cela ne leur nuit pas trop.

    Dire aussi qu’ il y a plus d’égalité car peur du communisme et du syndicalisme ne rend pas compte totalement de la réalité. Il y a eu des avancées sociales pour les travailleuses et travailleurs surtout parce que le capitalisme d’après guerre le permettait. Ce capitalisme dit fordiste pouvait accumuler et valoriser le capital dans l’économie productive et avait besoin de salariés qualifiés et bien rémunérés pour pouvoir fonctionner (reconstruction d’après guerre, modernisation, consommation de masse). D’ailleurs ce sont les travaux publics, l’ industrie de la voiture et l’électroménager qui ont tenu ce système.

    Aujourd’hui, les conditions ne permettent plus cela et demander la réindustrialisation de la France, c’est ne pas comprendre qu’avec les gains de productivité énormes depuis 40 ans, c’est impossible. Revenir au capitalisme des 30 glorieuses est impossible.

    Le néo libéralisme n’a pas été un complot de dominants, mais une réponse à l’effondrement du capitalisme fordiste. Sans l’industrie financière, nous aurions une une déflagration autrement plus sérieuse que 2008.

    Et puis que signifie l’égalité dans une société de l’économie inégalitaire par essence ? C’est absurde comme présupposé.

  • Bravo
    Enfin des vrais argumentaires écrits, ce que beaucoup pensent tourt bas... !
    Pour autant, attention aux préjugés...
    et a ce que l on entend par "riches"... ?
    Si on peut aisément penser que les heureux quidams dont les revenus depassent le million d euros par an ne se montrent probablement que tres rarement en public ou "in vivo"...
    nous ne devons pas oublier que beaucoup de revenus aisés sont très positifs socialement et eco-responsables...
    La mesure reste tres compliquée.
    Par contre, il est évident que nos démocraties modernes doivent eluder ce sujet collectivement, communiquer aux plus nombreux, et pousser dans leurs retranchements les poignées de tres riches et leurs conseillers, qui nous font avaler des couleuvres sous couvert de crise, depuis des années...
    Sincerement vôtre,

  • J’avais tenté de laisser un commentaire à propos de l’entretien avec E. Todd. J’y signalais, comme je le fais souvent, mon blog "Immondialisation : peuples en solde !" car, en plus de flatter bassement mon ego, il apporte en général d’autres éléments de réflexion permettant de compléter ceux qui sont présentés dans le commentaire. Et ce commentaire, je l’avais, sinon soigné, du moins suffisamment développé pour le rendre à peu près cohérent. Vraiment juste à peu près... Mais, au moment de l’envoyer, on m’indique que le nombre de signes est limité et que mon commentaire, trop long, ne peut être transmis. Le moindre des savoir-vivre, les enfants, serait de l’indiquer AVANT. Je n’avais pas pondu mon truc en 5 minutes, j’avais quand même un peu gambergé : vous gâchez le travail !...On ne m’y reprendra pas. Je vous en livre un dernier, très court, qui pourrait prendre l’allure d’un slogan : si le proxénétisme était vraiment interdit, les financiers ne seraient pas au pouvoir mais en prison.
    Méc-créant.

  • Merci pour ce petit livre entretien qui avec ces 50 pages a eu un effet profond sur ma compréhension du monde. ça a mis des mots sur des choses que j’ai l’impression d’avoir toujours su. C’est un peu comme si ça commençait à confirmer toutes les intuitions qui ont fait que je me suis politisé.
    Du coup viens de commander le livre "pourquoi l’égalité est meilleur pour tous" pour continuer d’en apprendre plus.
    ça donnera matière à débat dans mes diners mondains !

  • Pour la première fois, je découvre enfin un journal qui me ressemble, des idées qui me ressemblent. Merci patron !

    Mais, dans l’interview, un point me titille. Le dégoût, le mépris des riches, surtout en France, n’est-il pas déjà présent ? Ils le savent, les riches, qu’on ne leur fait pas déférence mais qu’on les jalouse. Or, cela n’a pas pour effet d’améliorer plus que ça les choses. Après, je pense que ceux qui jalousent sont en tords, ils devraient avoir de la pitié, pour ces gens prétendument supérieurs seulement en chiffres virtuels et non pas en vertu.

    Comment donc créer une société plus égalitaire ?

  • je comprend la théorie du professeur Xilkinson : la violence est aujourd’hui très mal vu, même si souvent on s’y sentirait prêt. Mais faire comprendre à des gens que l’on licencie, que l’on malmène, qui ne savent pas de quoi sera fait leur lendemain, que se sont les riches, les puissants les ridicules, ça va être dur-dur. On se sent un peu impuissant. Même si on ne prête que peu d’intérêt aux sondages, ça fait quand même peur de voir vers qui vont les intentions de vote pour la prochaine comédie électorale "démocratique".
    Il y a pourtant dans toutes les propositions des choses à prendre : changement de système, sanctions immédiates pour des engagement non tenus, contrôles plus sérieux des calculs d’impôts et de leur paiement, des remboursements de frais de représentations, paiement de l’impôt là où se font les bénef........Je ne sais pas si le revenu universel est une solution depuis que Valls en a parlé, mais au moins une plus juste répartition des richesses produites.
    J’espère quand même, qu’à la fin, c’est nous qu’on va gagner ! Salut et fraternité

  • Bravo monsieur Wilkinson ! Je pense tout pareil avec en plus le fait que les riches bousillent la planète.

  • Je suis âgée (85ans dans quelques mois) et j’ai souvent réfléchi à ces problèmes sociaux qui deviennent de plus en plus criants en Europe à l’heure actuelle...
    Il me semble que l’exemple des sociétés de chasseurs- cueilleurs est un bon exemple de comportement social à adopter quoique la mise en place me paraisse assez aléatoire dans les sociétés occidentales actuelles !
    Ce qui marche dans une micro société ou chacun connaît tout le monde ou presque peut difficilement s’appliquer à une macro société comme les nôtres....
    Les sociétés "communistes" ont échoué, non pas parce qu’elles étaient communistes, mais parce qu’elles pratiquaient le Capitalisme d’État : il faut être débarrassé de l’avidité propre à homo sapiens pour gouverner !!!

  • Pour ma part j’envie les riches ! C’est que je suis au chômage depuis un an alors vous savez, faire de l’égalitarisme par le bas c’est pas forcément une bonne idée ; j’aime à croire qu’un meilleur est possible, que le rêve peut être un puissant moteur et qu’une forme de vertu peut être concédé à celui qui a su comprendre (le riche) comment aller jusqu’au bout de ses idées ... n’est ce pas humain cela aussi de rêver en grand ? :( cela étant... et pour aller dans votre sens, c’est ce que certains patrons font de leur argent qui peut m’horripiler parfois ; autant j’admire le génie créateur, autant le vorace me répugne ! Ces personnes très riches n’ont je pense plus la mesure de la valeur humaine sur laquelle ils se sont appuyés pour batir leur empire ; je pense en effet que le profit ne devrait rester "profit" que dans la mesure où il est profitable à tous ; payer moins cher les coûts de production ce n’est pas profitable à tous (la qualité est moindre, l’emploi est délocalisé, les rapports humains financiarisés, l’automatisation devient le maître absolue) = il ne reste qu’un vorace (le patron) content de lui