L’ambition buissonnière

par François Ruffin 19/09/2017 paru dans le Fakir n°(82) Date de parution : septembre octobre 2017

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On fait quoi, maintenant ?
Des journalistes, voire des militants, ont déjà le regard pointé vers 2022. Comme si la vie, et la vie de la cité, n’existait pas entre deux élections...

« Ruffin 2022 ! » On lit de ces âneries, sur Facebook ! « La relève est prête après JLM. » Et la presse, à l’occasion, met en scène ces salades : « Ruffin fait de l’ombre à Mélenchon », prétend Le Figaro.
Franchement, cet horizon 2022 ne m’intéresse pas.
Et pour tout dire, il me paraît inquiétant, navrant, qu’il hante déjà les rédactions, et même des militants.

D’abord, parce que je ne suis pas résigné à subir Macron durant cinq années. J’espère bien que, dans les temps à venir, l’actu se révelera houleuse, et qu’on lui imposera par exemple une cohabitation. Je lutte pour, en tout cas.

Pire, bien pire, ensuite : songer à 2022, ça signifie que le calendrier institutionnel est entré dans nos têtes, qu’il les pourrit, les pervertit. On est en 2017, l’élection présidentielle nous a servi un spectacle affligeant, et à quoi se résumerait la vie de la cité ? À préparer la suivante. Avec ses traîtrises, ses coups bas, ses batailles d’appareil, ses calculs à huit bandes pour dégager le terrain électoral. Cette politique-là me dégoûte. Enfin, c’est qu’on aurait intégré, accepté, pleinement, ce fonctionnement de la Ve République : un homme (ou une femme). Mais pas deux, pas trois, pas quatre, pas cinq. Un homme tout en haut de l’affiche, le président-roi, qui décide, et en dessous ses « collaborateurs », ses serviteurs.
Je ne veux pas de ça.
Je ne veux pas de ça pour Macron.
Mais je ne le veux pas non plus pour Mélenchon.
Et je le veux encore moins pour moi : c’est une malédiction, presque, que cet isolement au sommet. J’aspire à une autre démocratie, où le Parlement ne servirait pas que de chambre d’enregistrement, où les pouvoirs ne seraient pas concentrés entre deux mains, où il n’y aurait pas qu’une seule tête jupitérienne qui dépasse, mais cinq, dix, quinze, vingt figures qui se dégagent, presque à égalité, dans des rôles différents, complémentaires.
Je ne courrai donc pas après cette échalote.

Et puis, je trouve ça commun, comme ambition, la présidence de la République. Bien sûr que je nourris, pour moi-même, pour les gens qui m’entourent, une ambition. On ne tient pas un journal dissident durant dix‑huit années, on n’écrit pas un paquet de bouquins, on ne tourne pas Merci Patron !, on ne devient pas député sans une ambition, ce serait mentir. Mais jusqu’ici, j’ai toujours eu l’ambition buissonnière, inattendue, aventurière. La présidentielle, au contraire, c’est un peu l’autoroute des ambitions : beaucoup s’y précipitent, y a la queue au péage.
Alors, quoi ?
Je ne sais pas, j’avance à tâtons, mais avec à l’esprit les figures que j’ai admirées, qui ont inspiré ma jeunesse : François Cavanna, Maurice Kriegel‑Valrimont, Arthur Koestler, Jules Vallès, Jean Jaurès, des parcours un peu bâtards, comme ça, d’intellectuels engagés, qui ont rarement accédé au pouvoir, mais qui par leurs oeuvres, ou par leurs actes, incarnent une morale. Des honnêtes hommes, j’estime. Je me sens plus à l’aise, grosso modo, dans ce registre-là.
Sans doute davantage Gorki que Lénine il y a un siècle, en octobre 1917...

Alors, que faire ?
Eh bien, continuer.
Continuer à témoigner, à rencontrer, à exprimer, à interpeller, avec micro ou stylo, porte-voix des petites voix. Et que notre parole libérée libère, en une contagion d’humanité. Que nous menions, toujours plus nombreux, la même et éternelle bataille : contre la Finance, soit, mais surtout contre l’indifférence. Face à l’argent, ranimer les gens.

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