Maxime Combes : « Face à la guerre commerciale, au lieu de relocaliser, l’Europe signe des traités de libre-échange… »

Déclaration de guerre économique de Donald Trump à la Chine et au reste du monde, les droits de douanes deviennent une nouvelle arme de la guerre commerciale, et emballent les marchés financiers. On vous en explique les enjeux, et pourquoi il est urgent pour l’Europe de se protéger, de relocaliser, avec Maxime Combes, économiste et figure d’Attac.

Publié le 15 avril 2025

« Donald Trump a décidé de revoir les règles telles qu’elles avait été édictées pour construire la mondialisation, en élevant les tarifs douaniers de manière extrêmement importante : c’est la plus forte hausse depuis quatre-vingts ans, au moins depuis la Seconde guerre mondiale. » Maxime Combes, économiste, pèse ses mots, calmement. Loin de la panique qui s’empare des marchés, d’un jour à l’autre. Depuis les annonces du président américain, ce 2 avril 2025, la nervosité des marchés financiers est extrême. 10 %, 44 %, 20 % pour les pays en excédent commercial avec les États-Unis… Bref : « Allez vous faire foutre, je mets des droits de douane », résume pour Fakir Maxime Combes, économiste et figure de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac).

Le pays le plus frappé par ces annonces, c’est la Chine. Les marchandises chinoises vont être soumises à des taxes de plus 100 %. Une véritable déclaration de guerre économique des États-Unis. Et, plus largement, au monde entier. Car si l’Asie est fortement touchée, souvent à plus de 30 %, l’Europe est également durement frappée, avec 20 %. Depuis ces annonces, les marchés financiers s’emballent.

D’abord, les places asiatiques : elles ont connu un « lundi noir » dès le 7 avril, avec des baisses inédites depuis la crise asiatique de 1997. En Europe, on y est aussi, à Francfort, Paris, Londres, et des baisses entre 5 et 10 %. Ces chiffres montrent la grande nervosité qui règne sur les marchés depuis les annonces. Aux Etat-Unis, certains indices retrouvaient des niveaux comparables à ceux de 2008, lors de la crise de Lehman Brothers, et en 2020 durant la crise sanitaire.

Alors ? Pourquoi Donald Trump augmente-t-il les droits de douanes ? « C’est un conflit mondial entre la Chine et les USA pour le contrôle des infrastructures mondialisées. Pas simplement pour le contrôle du commerce, mais pour le contrôle des infrastructures numériques, financières, de transports, d’énergie, etc. C’est le leadership économique mondial pour les quarante prochaines années qui est en train de se jouer », explique Maxime Combes, dévoilant l’arrière cuisine des grandes annonces. « Ces infrastructures sont complètement invisibilisés dans la mondialisation, mais elles sont au cœur du conflit mondial entre la Chine et les Etats-Unis. Et Donald Trump estime que l’augmentation des droits de douane est le meilleur moyen dont il dispose pour conserver le leadership économique mondial des Etats-Unis ».

Quels sont ces « infrastructures mondiales » pour lesquelles se battent la Chine et les États-Unis ? « Par exemple le numérique, les GAFAM, ou le système de paiement bancaire. C’est on ne peut plus stratégique. Si demain Trump arrête Mastercard et Visa, en Europe, on fait comment ? On a de tous petits outils de paiements, mais pour faire fonctionner nos économies ? Elles seraient coincées, à l’arrêt, ce n’est pas raisonnable. Pareil sur les GAFAM : si demain Trump dit stop, on fait comment ? Ils ont la main sur toute notre infrastructure numérique. Ce n’est pas raisonnable… »

Face à cette guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, que fait l’Europe ? Un grand plan de relocalisations stratégiques, pour nous protéger ? « L’Union européenne pense que Donald Trump pourrait n’être qu’une parenthèse… Donc on continue à signer des accords de libre-échange avec le monde entier, hors États-Unis et Chine… »

Et pour ça, l’Europe s’active, on peut le dire : le Mercosur (l’accord de libre-échange entre l’Europe et l’Amérique du sud, lire notre reportage sur le sujet) a été conclu par Ursula von der Leyen, en personne. L’accord avec le Mexique ? Conclu. Et des négociations commerciales sont en cours avec l’Inde, la Thaïlande, l’Australie, le Cambodge, les Philippines, l’Afrique du Sud, etc. Bref : on ouvre de nouveaux débouchés aux multinationales européennes en mettant en concurrence la main d’œuvre du Vieux continent avec la main d’œuvre indienne et thaïlandaise. Riche idée pour l’emploi et pour notre souveraineté… Maxime Combes soupire. « Nous sommes dépendants de soubresauts internationaux, de décisions extérieures, sur lesquels nous n’avons aucune prise. Pourtant, ça fait la troisième fois en seulement cinq ans qu’on reçoit un signal d’alarme pour notre souveraineté. La pandémie, en 2020, pas de prise sur notre souveraineté sanitaire. L’invasion russe en Ukraine, en 2022, pas de prise sur les décisions de Poutine. Et là, troisième fois, en 2025, avec Trump. Et qu’est-ce qu’on fait ? Le Ceta [ndlr : accord de libre échange entre l’Europe et le Canada, en négociation], la réponse est hallucinante ».

Justement, quelle réponse apporter face à ces « soubresauts internationaux » ? « On n’assiste pas du tout, mais alors pas du tout, à la mondialisation heureuse comme on nous l’avait promise, à la fameuse ‘‘fin de l’Histoire’’. On fait face, au contraire, à un maximum d’incertitude, d’imprévisibilité. Et c’est compliqué de se projeter, y compris d’un point de vue économique, même très capitaliste. » Face à cette imprévisibilité, que faire ? « La priorité : réduire notre dépendance européenne à ces marchés mondiaux. Réfléchir à comment on protège nos secteurs clés, comment on conserve les emplois en Europe, comment et quels secteurs on relocalise en priorité. Face à l’instabilité internationale, on devrait regarder comment on redevient maître et possesseur des infrastructures nécessaires. »

Avec une ligne directrice qui pourrait être simple : au lieu d’aller chercher de nouveaux marchés extérieurs, s’exposer aux quatre coins du monde, que les États-membres concentrent leurs investissements sur le marché intérieur. « Oui, investir massivement par exemple dans la transformation des modes de transports en Europe, et nous protéger de la concurrence étrangère », abonde l’économiste. « Sur la voiture électrique par exemple, si on décide de sauver l’industrie allemande et française, et les emplois qui vont avec, il nous faut investir massivement dans l’électrique en Europe et nous protéger des véhicules chinois en augmentant encore nos droits de douane [ndlr : une surtaxe pouvant aller jusqu’à 35 % sur les véhicules électriques fabriqués en Chine a été décidé par l’UE en octobre 2024]. La première étape, quel que soit le scénario à gauche, altermondialiste ou accompagnement du capitalisme, ça devrait être la même : privilégier le marché intérieur européen, la relocalisation écologique et solidaire. »

En attendant, l’économie mondialisée navigue à vue, dans un sacré brouillard. Et l’instabilité, les marchés financiers adorent ça. « Personne ne connaît le cadre de la mondialisation dans vingt jours. Le prix du pétrole s’effondre, mais la réalité physique de ce marché-là, le coût du forage, n’a pas bougé. La bulle financière n’a aucun rapport avec l’économie réelle. On a un risque de crise financière, d’effondrement d’une partie du système financier, de déstabilisation d’une banque de nature systémique… Mais pour l’instant, les effets sur l’économie réelle, on ne sait pas. »

Qu’on résume. Trump déclare une guerre commerciale à la Chine pour le contrôle des infrastructures mondiales, et les marchés financiers peuvent, à eux tous seuls, faire éclater une crise financière. L’Europe, elle, ne réagit pas, ou pire, continue comme avant, en pire. Conclusion : il devient toujours plus urgent de relocaliser, de nous protéger. D’ailleurs, ce besoin de protection, de sécurité économique et financière, c’est ce qu’on entend partout, en reportage. Dans un monde idéal, les dirigeants européens l’entendraient eux aussi. Mais le veulent-ils seulement ?

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