Alors qu’une centaine d’organisations* appellent à « désarmer l’empire Bolloré », retour sur le parcours de son patron, Vincent Bolloré, par ailleurs propriétaire de Canal+, Cnews, C8, Europe 1, RFM, Télé-Loisirs, Gala, Voici, Capital, Paris Match, Le Journal du dimanche… un héritier milliardaire qui a bâti un empire au service de « son combat civilisationnel ». Ou l’alliance de l’extrême argent et l’extrême droite.
Vincent Bolloré et son « combat civilisationnel »

« Ce que je sais, pour en avoir discuté avec lui, c’est que Vincent Bolloré est très conscient du danger de civilisation qui nous guette, du danger de remplacement de civilisation. » Ces mots sont d’Éric Zemmour, au début de la campagne présidentielle 2022. « L’éditorialiste », condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale, a tous les jours Vincent Bolloré au bout du fil. La quatorzième fortune du pays, avec 11,5 milliards d’euros, le reconnaît, en petit comité : « Je me sers de mes médias pour mener mon combat civilisationnel » (L’Obs, 16 février 2022).
Enfants et pollution
Né le 1er avril 1952 à Boulogne-Billancourt, le « combattant civilisationnel » Vincent Bolloré est d’abord un héritier, comme 80 % des milliardaires français : son père, Michel Bolloré, est homme d’affaires et industriel. L’été, le président Pompidou est, à l’époque, invité sur le yacht familial. On connaît pire, comme départ dans la vie… scolarisé à l’école catholique privée Gerson, puis au lycée Janson-de-Sailly, dans le XVIe arrondissement de Paris, puis directeur adjoint à la banque Rothschild en 1975 pour lancer sa carrière, Vincent Bolloré ne quitte les beaux quartiers que quand il se lance dans le « transport », en Afrique. Il est notamment accusé d’avoir fait travailler des enfants de moins de 14 ans dans des plantations au Libéria, selon l’émission Complément d’enquête « Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ? ». Pas très catholique, tout ça, Vincent ! Pour cette enquête magistrale, Tristan Waleckx et Matthieu Rénier seront en tout cas récompensés du prix Albert-Londres, et d’une plainte en diffamation de Bolloré. Ils seront relaxés par la justice.
Ce n’est pas tout : le 7 juin dernier, le Parquet national financier demandait l’ouverture d’un procès pour « corruption active d’agent public étranger » contre le patron, dans l’affaire de deux contrats portuaires en Guinée et au Togo. Dans leurs réquisitions, les procureurs du Parquet national financier évoquent un « pacte de corruption », dans lequel l’homme d’affaires français aurait utilisé les services de sa filiale communication dans les campagnes présidentielles au Togo et en Guinée, afin d’obtenir la gestion des ports de Lomé et de Conakry au bénéfice de sa filiale logistique. Des scandales dont ses médias évitent, étrangement, de parler.
Autre affaire, en Afrique toujours, où le milliardaire a bâti une partie de sa fortune : au Cameroun, la Socapalm (Société Camerounaise de Palmeraies), filiale indirecte de la société Bolloré SE, la plus importante société d’exploitation d’huile de palme, est opposée depuis des années aux villageois de Mbonjo. L’exploitation des palmiers à huile, à proximité de leur lieu de vie, les empêche d’accéder à leurs terres et à leurs sépultures. Et pollue les eaux où les habitants s’approvisionnent. Le groupe Bolloré est accusé par la presse et la société civile de chercher à intimider les voix dissidentes à coups de procédures-bâillons. L’association française Sherpa, spécialisée dans la défense des victimes de crimes économiques, accompagne, depuis plus de quinze ans, 145 de ces villageois dans leurs démarches juridiques.
Le grand remplacement des journalistes.
Et puis, il y a les médias.
Le 3 septembre 2015, Vincent Bolloré arrive à la tête du groupe Canal+. Le grand remplacement des journalistes commence. Suppression des Guignols de l’info, du Zapping et de Spécial Investigation. De nombreuses émissions d’enquête sont déprogrammées au profit de divertissements. Il renomme D8 et I-Télé en C8 et CNews. Sur les cent vingt journalistes d’I-Télé, cent journalistes claquent la porte. Le nouveau chef interdit, en personne, la diffusion d’un documentaire sur les pratiques d’évasion fiscale du Crédit Mutuel : le patron de la banque, Michel Lucas, est son ami… Jean-Baptiste Rivoire, rédacteur en chef adjoint de Spécial Investigation, aujourd’hui à Off Investigation, est placardisé. Plusieurs propositions d’enquêtes lui sont refusées par la direction du groupe afin « d’éviter des attaques contre des partenaires actuels ou futurs du groupe ».
Un documentaire de Reporters sans frontières, « le système B », résume la méthode Bolloré : « Un magnat de la presse qui manipule les rédactions à l’envie, qui licencie quand quelqu’un ne lui plaît pas, qui supprime des émissions, et muselle les journalistes qui tenteraient d’enquêter sur lui. » L’ONG tire le signal d’alarme : « des atteintes répétées à la liberté de la presse et à l’indépendance des rédactions constituent une menace sans précédent pour la démocratie. » Des « procédures-bâillons » sont intentées pour intimider judiciairement toute critique ou enquêtes sur les activités et les affaires du groupe de Bolloré. Basta !, Reporterre, Rue89, Médiapart, France Inter, Le Monde Diplomatique, des journalistes passent par la case procès pour avoir simplement fait leur travail. Les rédactions de Libération, l’Humanité, Les Échos et l’AFP dénoncent « des tentatives inacceptables de Vincent Bolloré pour nous faire taire en essayant de ruiner financièrement les journalistes ».
Télé, radios, journaux, édition, école, Relay, CSA : un empire médiatique !
Mais racheter et bâillonner les journalistes ne suffit plus. Alors, Bolloré s’attaque aux maisons d’édition : Hachette et Fayard – qui vient de publier le livre de Jordan Bardella. Et histoire de posséder toute la chaîne, autant contrôler aussi les points de vente : Bolloré, à travers Vivendi, possède les 350 magasins « Relay », dans plus de 300 grandes gares et stations de métro et près de 25 aéroports du pays. Stratégique… Et il faut y voir les journaux mis en avant, dans ces « Relay ». En gare d’Amiens, c’est un Jordan Bardella tout sourire à la Une du JDNews qui vous accueille à la meilleure place, sur le comptoir. Et maintenant, bien plus en aval, Bolloré rachète l’École supérieure de journalisme de Paris. Pourquoi se priver ? L’historien des médias Alexis Lévrier lance une fusée de détresse : « Vincent Bolloré va former ses propres journalistes dans le cadre d’un projet idéologique global qui consiste à porter l’extrême droite à la tête de l’État… ».
Non content de posséder un empire médiatique, des maisons d’éditions, une école de journalisme et un circuit de distribution, le milliardaire breton possède également…. un institut de sondage, le CSA. Un problème démocratique que souligne le chercheur Vincent Tiberj : les sondages commandés par les médias du groupe Bolloré au CSA participeraient à faire croire à un rejet de l’immigration (notamment dans le type de questions, fermées, posées aux enquêtés). Alors que d’autres études, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ou de l’Institut national de la statistique et des études économiques (NSEE), démontrent à l’inverse une progression du seuil de tolérance et le recul du racisme depuis quarante ans en France. Une droitisation par en haut, notamment par le cadrage médiatique du groupe Bolloré (on reviendra bientôt sur le site de Fakir sur l’ouvrage de Vincent Tiberj, La droitisation française, mythe et réalités).
Son rêve : un cauchemar.
Au milieu de tout ça, le milliardaire aime recevoir chez lui, en Bretagne. Après la défaite d’Eric Zemmour à la présidentielle, il caresse un nouveau rêve : l’alliance de la droite et de l’extrême droite. C’est lui qui reçoit et convainc Eric Ciotti (LR) de s’allier avec le Rassemblement national (RN). Sur CNews, la chaîne phare du groupe, Renaud Camus passe en direct à une heure de grande écoute : l’écrivain, condamné pour provocation à la haine et à la violence contre les musulmans, est le théoricien du « grand remplacement ». Loin des plateaux de CNews, Vincent Bolloré détient une propriété beaucoup plus discrète : l’île du Loc’h, la plus grande île de l’archipel des Glénans, en Bretagne, toujours. Sa propriété est gardée, selon le journal Libération, par Marc de Cacqueray-Valménier, chef du GUD, militant néonazi.
Bref, rien que du beau monde pour « mener le combat »…
* Dont Attac France, Alternatiba, Contre-attaque, SUD-Rail, les Soulèvements de la Terre, le SNJ-CGT, Terres de luttes, Union Syndicale Solidaires...
90 % des médias sont détenus par des milliardaires comme Vincent Bolloré… Alors, pour une vraie presse indépendante, abonnez-vous à Fakir !