Le retour des vautours

Le printemps est de retour, et avec lui les huissiers et leurs avis d’expulsion. Justice aux yeux bandés: la SIP éjecte une mère de famille, femme battue…

Publié le 1 mai 2006

 » Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit « , me chuchote Estelle sur le banc du tribunal. Autour de nous, des couples, des mères et leurs filles, des jeunes, des vieux dans le même cas qu’Estelle: assignés en justice pour arriérés de loyer.  » J’ai recopié plusieurs fois la lettre où j’expose ma situation, jusqu’à ce qu’elle soit vraiment propre, bien écrite. J’ai trouvé une astuce, parce que les caractères penchaient : j’ai pris une feuille à carreaux à ma fille, là, c’était mieux. « 

Sa situation, c’est qu’Estelle doit un peu moins de 3 000 € à la SIP. Suffisant pour recevoir les visites de l’huissier et passer, ce matin, devant Monsieur le juge. Voilà deux ans, pourtant, qu’elle réclame un appartement plus petit:  » En 98, j’ai aménagé dans un F.5 avec mes cinq gamins. Avec mes APL, les allocs, ça allait. «  Mais depuis, les deux aînées se sont installées, le cadet de 21 ans « se laisse vivre »,  » je n’ai plus que mes deux plus jeunes. C’est vide, sans meubles, je suis logée chez Louis Carton… « , et les aides fondent en conséquence: lui échoient 650 € à sa charge. Dur dur avec un RMI et 180 € de CAF…

Cercle vicieux

Aussitôt, elle réclame un F2, ou un F3.  » Attendez que ça se libère « , lui répond une conseillère. Donc sa dette s’alourdit, donc elle réclame à nouveau un F2 ou un F3, avec cette réponse désormais:  » Impossible: il faut d’abord épurer votre passif. «  L’engrenage est en marche: plus son endettement se creuse, plus on lui interdit une mutation, et donc plus son endettement se creuse, etc.

 » J’ai pu donner 200 € à la SIP grâce à un rappel de RMI. Je veux leur fournir des petites mensualités, mais ils refusent: ils veulent tout ou rien, et tout je ne peux pas. Pourquoi ils ne veulent pas comprendre? Faut que je braque une vieille pour trouver cet argent?  »

C’est une femme battue, Estelle, au départ. Voilà pourquoi elle a quitté sa campagne, ses cinq gamins sous le bras. A la télévision, dans le JDA, on pleure sur ces  » victimes « ,  » martyrs « , etc. Pourquoi pas. Sauf que derrière, voilà la vie qu’on leur mène, à elle en tout cas: tout l’arsenal de la Justice contre elle, pas pour la reconstruire mais pour la briser une seconde fois.

(article publié dans Fakir N°28, mai 2006)

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