Emploi fictif : et Jordan Bardella, au fait ?

Marine Le Pen condamnée (et non « victime », rappelons-le), l’image des « mains propres », c’est fini : le RN aussi « pique dans la caisse », et pas qu’un peu : le total du détournement de fonds est de 4,1 millions d’euros. Mais le RN et les médias ont déjà désigné le remplaçant de Marine, au cas où elle ne pourrait pas se présenter : Jordan Bardella, évidemment, ce parangon de vertu aux airs de gendre idéal. En oubliant un détail : Jordan Bardella est lui aussi concerné par une plainte pour emploi fictif.

Publié le 3 avril 2025

Ça vous arrive souvent, vous, d’acheter un agenda annuel (vous savez, ce petit semainier avec lequel certains planifient encore leur emploi du temps) trois ans après l’année concernée ? Jordan Bardella, lui, oui. Selon Libération et le livre du journaliste Tristan Berteloot, La Machine à Gagner. Révélations sur le RN en marche vers l’Élysée, il le remplirait même, après-coup, avec plein de réunions, de rendez-vous, de trucs très très prenants. Au cas où il devrait aller faire un tour dans le passé, peut-être.
Retour sur le mystère de cette faille temporelle…

Marine Le Pen qui risque de ne pas pouvoir se présenter aux élections en 2027, et c’est toute l’extrême droite et les médias qui avancent déjà le nom de son successeur : Jordan Bardella. C’est lui qui semble incarner l’avenir de l’extrême droite. C’est juste oublier un peu vite une chose : le président du RN est, lui, visé par une plainte de l’association anticorruption Adelibe, déposée tout récemment, le 27 mars, pour « détournement de fonds publics », « recel de détournement de fonds publics », « faux », « usage de faux », « escroquerie » et « tentative d’escroquerie ». Pour un soupçon d’emploi fictif au… Parlement européen.

Les faits remonteraient à 2015. À l’époque, le jeune lepéniste est censé être assistant parlementaire local d’un eurodéputé frontiste, Jean-François Jalkh. Problème : les preuves de son prétendu travail manquent cruellement à l’appel, a priori. Dans son livre La machine à gagner, Tristan Berteloot affirme même que Jordan Bardella aurait produit de faux documents pour témoigner de son « activité » en tant qu’assistant parlementaire.

Pour rendre crédible une activité fictive, l’actuel président du RN aurait ainsi aidé à produire de fausses preuves de travail, antidatées. D’où le coup de l’agenda, dédié à l’année 2015 mais acheté en réalité en 2018, et rempli par Bardella avec des réunions fictives pour simuler son activité. S’y ajoute selon Berteloot une revue de presse falsifiée de 1500 pages, censée couvrir la période de son contrat de travail de 2015, mais en réalité créée en 2017 à partir d’un logiciel du Parlement européen, et paraphée de la main de Bardella pour lui donner une apparence authentique. Montant estimé du potentiel détournement de fonds publics : 10 400 euros. Soit la rémunération du mi-temps de Bardella, à un niveau de plus de deux fois et demi le smic de l’époque. Généreux, le Parlement européen…

Problème pour le président du RN : plusieurs sources travaillant à l’époque au Parlement ont parlé, citées par Libération. Parmi elles, Aymeric Chauprade, ex-eurodéputé FN : « Jordan Bardella est une personne s’occupant de la communication de Florian Philippot. Il n’est pas dans l’environnement de Jean-François Jalkh [ndlr : le député pour lequel il est censé travailler], et n’est pas sur des activités parlementaires ». Paul Delcampe, ancien stagiaire de Jean-François Jalkh, se lâche sur une discussion Messenger avec d’anciens membres du FN et affirme avoir « créé des faux dossiers pour des assistants qui n’ont jamais travaillé pour le Parlement européen ». Un mail interne datant de 2017, écrit par Ghislain Dubois, assistant parlementaire de Jean-François Jalk, à ce stagiaire : « Jean-François me demande de te charger de cette mission suivante, si tu veux bien. Le but est important : montage du dossier de Jordan Bardella. » Un ex-collègue de Jean-François Jalkh enfonce le clou : « Il m’a dit : “Jordan Bardella, on est emmerdés avec lui, car il n’a rien fait quand il était assistant” ».

Enfin, le nom de l’actuel président du RN figure dans un organigramme du FN, aux côtés d’autres assistants parlementaires dont les emplois fictifs ont conduit le Parlement européen à saisir la justice française. Jordan Bardella y est présenté comme « chargé de mission » auprès de Florian Philippot, alors vice-président du parti chargé de la communication et de la stratégie. Problème : le document date de février 2015. Bardella est donc censé, à cette époque, « travailler » comme assistant parlementaire à Bruxelles… En tout cas, Jordan n’est pas très content qu’on vienne fouiller dans le bazar de son emploi du temps passé. Alors, Jordan a décidé d’attaquer Libération en diffamation. Perdu : Libé a été relaxé ce 21 mars.

Tout ça fait sourire, quand on repense aux déclarations de marine Le Pen, voilà quelques années. « Tout le monde a piqué de l’argent dans les caisses, sauf le Front national ! Et on trouve ça normal ? Les Français en ont marre qu’il y ait des affaires, ils en ont marre de voir des élus qui détournent de l’argent. » Il faut une « inéligibilité à vie pour tous ceux qui ont été condamnés pour des faits commis grâce ou à l’occasion de leur mandat […] notamment le détournement de fonds publics ».

Après ce désormais fameux 31 mars 2025, la ligne du « tous pourris sauf nous » devrait être un peu plus compliquée à incarner, pour le RN*. Quant à Bardella, il lui faudra bien expliquer un jour ou l’autre, devant la justice ou les électeurs, l’intérêt qu’il peut y avoir à prévoir en 2018 des réunions pour 2015.

* Le tribunal correctionnel de Paris a reconnu Marine Le Pen et huit eurodéputés coupables de détournement de fonds publics, en attendant un éventuel appel. Le tribunal a estimé que le préjudice total était de 4,1 millions d’euros, pour avoir fait « prendre en charge par le Parlement européen des personnes qui travaillaient en réalité pour le parti » d’extrême droite. Marine Le Pen a été condamnée à quatre ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d’amende, et cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate.

Articles associés

Pour ne rien rater, inscrivez-vous à la

NIOUZLAITEUR

Les plus lus

Les plus lus

Retour en haut

Dans ce numéro