Les sept péchés capitaux de Dominique Strauss-Kahn

Ministre des Finances de Lionel Jospin, DSK incarne, à lui seul, tous les renoncements de la gauche plurielle. Les « succès de ce modernisateur », point par point.

Publié le 14 novembre 2010


Le carcan monétaire : sans conditions

 » Dominique Strauss-Kahn convainc Lionel Jospin de jouer à fond la carte de l’euro « , Le Monde.

 » Sous conditions « . Voilà la formule que trouvent, sur la monnaie unique, Dominique Strauss-Kahn et Lionel Jospin dans la soirée du 4 septembre 1996. C’est qu’en ces journées où le Parti socialiste concocte son programme, le Mouvement des Citoyens de Jean-Pierre Chevènement et les communistes réclament un nouveau référendum. Les Verts demeurent, à l’époque, opposé à Maastricht. Et même au sein du PS, la majorité soutient Henri Emmanuelli :  » Si on veut retrouver la croissance, il faut sortir du carcan monétaire. « 

Devant cette offensive, DSK cherche la parade : le passage à l’euro se fera, mais sous  » conditions « . Avec, notamment, l’affirmation d’un  » gouvernement européen «  face à la future Banque centrale, le rejet d’un euro surévalué par rapport au dollar, et la révision du pacte de stabilité.
Sitôt promis, sitôt trahi. «  Au lendemain des élections législatives de 1997, Dominique Strauss-Kahn convainc Lionel Jospin de jouer à fond la carte de l’euro, et, oubliant les fameuses conditions que posaient auparavant les socialistes à son lancement, de se convertir au très contraignant pacte de stabilité «  (Le Monde, 3 novembre 1999). Les ministres européens des finances se disent vite  » rassurés « , se montrent  » confiants «  : aucun  » séisme  » ne secouera l’Europe. La  » discipline budgétaire «  est acceptée, le traité d’Amsterdam signé (18 juin), et même :  » les quinze accélèrent la création de la monnaie unique «  (16 septembre).

DSK n’a guère bataillé. Ou seulement pour que Jean-Claude Trichet succède à Wim Duisenberg à la tête de la BCE : qu’un libéral français succède à un libéral néerlandais, voilà une jolie victoire… Depuis, tout le pouvoir est laissé aux banquiers,  » indépendants « , hors de contrôle démocratique. Eux se soucient de la seule inflation, qui menace la rente – guère de l’emploi. Et la gauche ne peut que se lamenter, impuissante, contre un  » euro surévalué « .
Le  » carcan monétaire  » ne s’est pas desserré. Mais renforcé.

Services publics :  » le plus grand privatiseur « 

 » Lionel Jospin privatise plus que Alain Juppé  » Le Monde.

 » Nous refusons la privatisation des services publics et leur transformation en objet de profits.  »
La plate-forme de la gauche plurielle n’avait rien de bolchevik, aucune nationalisation n’était prévue : ne pas privatiser, l’engagement, modeste, semblait tenable. Aussitôt installé à Bercy, pourtant, DSK reçoit Michel Bon, le PDG de France Télécom – qui plaide pour une  » ouverture du capital «  de son entreprise. A son tour, le ministre des finances  » fait le siège de Matignon « , et Lionel Jospin soupire :  » Puisqu’il n’y a pas d’autre solution… «  Dès sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, à l’Assemblée, le Premier ministre revient alors sur son engagement de campagne, et prévient que, pour les services publics,  » des adaptations seront nécessaires « .

 » Après une concertation sociale approfondie «  – il faut cela pour avaler des couleuvres –,  » Jospin donne son feu vert, début septembre, à une privatisation partielle. A Bercy, DSK se réjouit «  (Le Nouvel Économiste, 23/04/99). La  » commission des privatisations « , mot honni, est rebaptisé  » commission des transferts «  – et sous la houlette du grand argentier, elle  » transfert «  beaucoup : France Télécom d’abord, Thomson-CSF, Thomson Multimédia, Air France… DSK est médaille d’or :  » le plus grand des privatiseurs « , pour Les Échos (03/11/1999), tandis que Le Monde dresse ce constat :  » Lionel Jospin privatise plus que Alain Juppé «  (07/08/1998).

Privatiser, soit, mais pour quel résultat ?
Libéré de l’État et de ses pesantes contraintes, Michel Bon verse dans la folie des grandeurs : jusqu’alors prospère, France Télécom rachète, en 2000, le britannique Orange pour 50 milliards d’euros, acquiert quelques autres babioles, devient la seconde entreprise la plus endettée du monde, à hauteur de 75 milliards d’euros, et frôle le gouffre dès 2002. Ce fleuron du service public n’évite la ruine que grâce… à l’État : bon bougre, il remet 15 milliards au pot. Et son nouveau PDG, Thierry Breton, s’engage sur 15 autres milliards d’  » économies en interne «  – sur le personnel, donc. Les suicides à répétition, chez les agents Orange, la pression qu’ils subissent, trouvent leur source ici. Dans un choix politique. Effectué sous un gouvernement de gauche.

Airbus : en cadeau à Lagardère

C’est à cet  » incompétent «  que DSK a remis les clés du trésor.

 » Une excellente nouvelle « , voilà comment Dominique Strauss-Kahn, alors ministre des finances et  » coordinateur aéronautique en Europe « , salue la privatisation de Aérospatiale. Et c’est à Lagardère qu’est confiée l’entreprise – un patron qui fréquentait le Cercle de l’industrie…

A toutes les étapes du  » deal « , c’est DSK qui a négocié. Et tout accordé : Airbus, d’abord, cette mine d’or – à une société, Matra, pourtant étrangère aux avions civils. Une ristourne sur les actions, aussi, évaluée à quatre milliard de francs. Et surtout, les pleins pouvoirs au privé : malgré les 15% qu’il possède encore, l’État français se retrouve  » interdit de gestion « . Ses intérêts sont représentés par Jean-Luc Lagardère (0,9% du capital), dont les lieutenants (Philippe Camus, Noël Forgeard, Jean-Louis Gergorin, Philippe Delmas, Jean-Paul Gut) occupent les postes-clés. Europe 1, la radio de Lagardère peut exulter :  » L’équipe Jospin sort des entreprises du giron de l’État à un rythme deux fois supérieur à celui de la droite. Pour ce qui est d’Aerospatiale, il était temps. «  (16/02/99).

Et pourquoi pareille urgence ?
Par voracité. Durant  » cinq années de dividendes « , les actionnaires se goinfrent le cours du titre en bourse grimpe de 70 %, un rachat d’actions, à hauteur de 7 milliards d’euros, est programmé. Autre chanson, pour les salariés : à l’automne 2006, la direction décrète la plan Power 8, 10 000 emplois seront supprimés en Europe, délocalisés. L’injustice sociale se double d’un scandale financier :  » J’ai le choix de passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent qui ne sait pas ce qui se passe dans ses usines. J’assume cette deuxième version « , se défend étrangement Arnaud Lagardère (Le Monde, 15/06/2006).

C’est à cet  » incompétent « , donc, que DSK a remis les clés du trésor – et l’héritier s’est servi à pleines mains. Mais l’ancien ministre n’en paraît pas fâché : au moment de l’affaire, Strauss-Kahn publie une tribune dans Le Monde (également copropriété de Lagardère) sans que ce nom ne soit prononcé. Ni Jean-Luc, ni Arnaud. C’est qu’un pacte les unit – dont le politique récolte aujourd’hui les fruits médiatiques…

Stock-options : la fiscalité des patrons

Le Ministre des finances de la gauche plurielle défait ce que la droite a construit.

Sujet sensible. DSK avance donc pas à pas : dès l’automne 1997,  » les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise «  – stock-options, en français… – bénéficient d’une fiscalité allégée, mais simplement pour  » les sociétés de moins de sept ans « . Un an s’écoule, et en 1998, c’est désormais pour  » les sociétés de moins de quinze ans. «  En janvier 1999, Dominique Strauss-Kahn croit désormais l’heure venue : toutes les stock-options, désormais, même celle des patrons du CAC 40, seront imposées à 26 % – et non plus à 40 %… Le Ministre des finances de la gauche plurielle défait, ici, ce que la droite a construit : c’est Alain Juppé, deux ans plus tôt, qui avait relevé le taux d’imposition de 26 % à 40 % !

Le cadeau est trop gros : c’est un tollé.  » Quatre milliards de francs pour 12 000 privilégiés, s’emporte Louis Viannet, le leader de la CGT, comparés aux 4,5 milliards de francs dégagés pour quelque 4 à 5 millions de chômeurs ou d’exclus, on voit de suite qu’une telle mesure irait dans le droit fil de la justice sociale !…  » (Le Monde, 9/01/99). Les communistes et les Verts protestent. D’autant que, malchance, on apprend alors que Philippe Jaffré, l’ancien (et nullissime) patron d’Elf, serait parti avec deux cents millions d’indemnités et de stock-options. Les députés socialistes, en rébellion contre Bercy, déposent un amendement pour relever la taxe à 54 % – comme l’impôt sur le revenu… finalement abandonné.

On en reste au statu quo, un match nul. Et bientôt mis en examen, DSK ne mènera pas son combat plus loin. Mais à ses amis patrons, par pragmatisme, il aura tout de même évité quelques désagréments : la Taxe Tobin sur les transactions financières, prônée dans le programme mais aussitôt repoussée. L’impôt sur la fortune, qui devait s’étendre aux biens professionnels : les grandes fortunes y échapperont. Même les niches fiscales dans les DOM-TOM seront prolongées ! Quant à la taxe professionnelle, elle sera allégée de vingt milliards de francs en cinq ans…

(article publié dans Fakir N°47, septembre 2010)

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