Traitement de l’endométriose : « En plus de la violence physique, il y a la violence des mots. »

Des fragments de muqueuse qui, lors du cycle menstruel, se déposent sur les ovaires, la vessie, le rectum et provoque d’intenses douleurs pelviennes. la muqueuse interne utérine (ou endomètre) qui se développe en dehors de l’utérus, colonisant d’autres organes… L’endométriose, maladie gynécologique, touche une personne menstruée sur dix. Pourtant, le délai moyen pour diagnostiquer les femmes qui en sont victimes est encore de sept ans. Si 30 millions d’euros sont débloqués pour la recherche en 2022, si les ministres de la Santé, du Travail, des Solidarités et des Familles ont promis l’autorisation de l’Endotest (un test salivaire) dans une vingtaine d’hôpitaux en France, le mal reste difficile à déceler, à cause des multiples symptômes et du manque de sensibilisation des soignants. Les traitements, comme l’hormonothérapie et la chirurgie, sont rares, et aucun n’est définitif. Problème : la méconnaissance et le manque de prise en compte de la maladie, c’est aussi parfois un drame pour les victimes quand elles se font soigner. Emmanuelle, présidente de l’association Amavea, nous avait raconté son calvaire, en 2019. Et révélé un vrai scandale sanitaire. À l’occasion de la journée mondiale contre cette maladie, ce vendredi 28 mars, nous republions son témoignage.

Publié le 28 mars 2025

« J’ai pris de l’Androcur pour la première fois en 2003, pour soigner une endométriose. C’est un professeur de gynécologie, et je tiens à préciser qu’il s’agit d’un professeur, pas un simple médecin généraliste, qui me l’a prescrit, en continu. Il fallait que les saignements s’arrêtent. ‘‘Vous irez très bien, avec ça », il m’a dit. Au gré de mes déménagements, la prescription a été renouvelée deux fois, par deux autres professeurs.
Un des problèmes de l’Androcur est qu’il a été donné pour d’autres indications que celles de l’autorisation de mise sur le marché, qui le limitaient à l’hirsutisme sévère ou au cancer de la prostate. Mais on en a donné pour l’acné, pour plein de choses…
C’est le professeur Froelich* qui, le premier, en 2007, a commencé à se pencher sur la question. Il s’était aperçu que certaines femmes faisaient des méningiomes multiples, alors qu’on n’en fait qu’un seul, normalement. et que ces femmes prenaient toutes de l’Androcur… Il a ensuite fallu que l’ANSM [ndlr : l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament] et la CNAM réalisent une étude d’ampleur pour comprendre qu’il y avait un problème. Elles ont fini par le quantifier et faire le lien avec le médicament. En 2011, Bayer a dû changer la notice à la demande de l’ANSM, précisant qu’il y avait des méningiomes ‘‘dans quelques cas rares », mais moi je n’ai pas été informée de la modification. J’aurais pu ou dû la relire, oui, peut-être, mais vous savez, la notice, on la lit la première fois qu’on prend un médicament, mais pas les suivantes, quand c’est sur le long terme. Et puis, méningiomes, je ne savais même pas ce que c’était.

« Quand vous êtes une femme, on vous catalogue comme dépressive… »

Les tumeurs au cerveau, on me les a découvertes en août 2017. Pourtant, les symptômes avaient débuté dès 2011 : une personnalité changeante, maux de tête, fatigue… Mais quand vous êtes une femme entre quarante et cinquante ans qui a ces symptômes, on vous catalogue comme dépressive… À partir de 2015, j’ai vraiment été très diminuée. Je subissais des pertes de parole, des paralysies. Comme je n’avais plus droit à un arrêt maladie à force de les cumuler, j’ai dû être placée en invalidité. J’ai perdu mon travail.
Quand j’ai été opérée en 2017, le médecin a dit que le traitement était bien la cause de mes problèmes. On m’a enlevé un des méningiomes, le plus gros, celui qui posait le plus de problèmes. Les quatre autres, ils sont là, ils ne bougent pas trop, même si on ne sait jamais ce qui peut se passer dans la vie.
Après cela, il a fallu que je réapprenne à parler… Tout ça a changé ma vie, ça change nos vies. Une opération nous sauve, mais les séquelles sont toujours là. C’est une chose commune parmi les victimes, par exemple : on est obligées de faire une sieste dans l’après-midi. Moi, je suis obligée, sinon mon cerveau décroche. C’est assez violent. Et encore, j’arrive à vivre avec, mais certaines ont des séquelles beaucoup plus importantes. Des problèmes de vue, ou alors elles ne peuvent plus marcher. Il y a un vrai parallèle à faire avec le Médiator.
C’est pour cette raison qu’il est difficile d’entendre dire, comme l’a fait la ministre [ndlr : de l’époque] Agnès Buzyn, que ces tumeurs sont bénignes car non cancéreuses. C’est vrai : elles ne le sont que dans 1 % des cas. Mais quand les gens entendent ‘‘bénin », ils comprennent que ce n’est pas grave. Et ça, les femmes ont du mal à l’entendre. En plus de la violence physique, il y a la violence des mots.
Aujourd’hui, le but est que les médecins sachent tout cela, qu’ils soient le mieux informés possible, avec des indications très précises, voire une attestation d’information à signer par le patient. Et on travaille aussi sur d’autres médicaments qui pourraient avoir les mêmes effets que l’Androcur. C’est le cas en particulier pour beaucoup de pilules contraceptives.  »

* Les risques de méningiomes liés à l’Androcur sont connus depuis 2007, depuis que le professeur Sébastien Froelich, neurochirurgien, communique dans des congrès à travers le monde sur cette problématique. L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament n’a pourtant informé les médecins et patientes qu’en juin 2018 des effets possibles de l’Androcur. En février 2019, l’ANSM prend également en compte le Lutéran et le Lutényl comme molécules pouvant induire les mêmes problèmes. Beaucoup reste encore à faire : un certain nombre de progestatifs, dont des pilules contraceptives et des traitements pour l’endométriose, sont susceptibles de favoriser la création de méningiomes.

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