Vingt ans après la mort de Zyed et Bouna : rien n’a changé, parce qu’on n’a rien voulu changer.

« S’ils entrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau… » C’était il y a vingt ans, le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois : pourchassés par des policiers, Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, décédaient électrocutés dans le transformateur où ils s’étaient cachés. Sous l’œil des forces de l’ordre qui les ont vu pénétrer dans le local sans tenter de les en empêcher…
Zyed et Bouna

Publié le 27 octobre 2025

Plus de 6000 interpellations, des centaines de blessés, deux morts. 2005 : pendant les trois semaines qui suivent les décès de Zyed et de Bouna, des affrontements terribles ont lieu entre les manifestants et les forces de l’ordre, d’abord à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, puis dans toute la Seine-Saint-Denis, et le pays. Depuis plusieurs jours, plusieurs mois même, la tension était déjà à son comble, notamment suite aux propos de Nicolas Sarkozy sur les cités. Alors ministre de l’Intérieur, celui qui dort en prison depuis une semaine – étonnant de voir comment l’histoire vous rattrape, parfois – voulait les « nettoyer […] au Karcher » ou encore « débarrasser » leurs habitants de « cette bande de racailles ». Dix ans après le drame de Clichy-sous-Bois, les deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger étaient relaxés par la justice.

La plaie ne s’est pas refermée entre la population et la police.

Le 27 juin 2023, elle s’ouvrait à nouveau, de tout son long, à Nanterre. Nahel Merzouk, un adolescent de 17 ans, était tué à bout portant par un policier pour refus d’obtempérer. Scenario différent, mais même réaction en chaîne : émeutes, répressions, divisions. C’était il y a deux ans. Sous la plume de Cyril, le rédacteur en chef du canard, Fakir vous racontait alors les fractures laissées consciemment ouvertes entre les quartiers et la police… On vous remet le texte ici, parce que finalement – et c’était déjà annoncé dans ces lignes, rien n’a changé. Parce qu’on n’a surtout rien voulu changer…

***

Je ne connaissais pas Nahel.
Je l’avais déjà croisé, sans doute, probablement, de loin, sur le stade, puisque les Pirates, son club de rugby à XIII, partagent le même terrain que le nôtre, enfin, nous on reste surtout sur la piste, mais on les croisait, à la fin de l’entraînement. Peut-être a-t-il fréquenté la même école que mes gamins, peut être ma compagne l’a-t-elle eu comme élève, y a longtemps, en maternelle.
Je sais pas.
Je sais pas, et je ne veux pas savoir, parce que ça ne change rien, en fait, à la violence de l’empathie.
Un gamin de 17 ans a été tué d’une balle dans le thorax, à bout portant, volontairement, par un policier censé protéger les gens. Par un gardien de la paix.
Ça ébranle, forcément, fortement.
C’est quoi, ce monde ? Vers quoi on s’enfonce ?
Ce mercredi soir, au lendemain de sa mort, on devait se retrouver avec deux potes, c’était prévu depuis un moment, Florent et Aymeric, près du stade, pas loin du lieu du drame. Florent, le plus jeune, la vingtaine, s’était confectionné un long manchon noir, avec « Nahel » en blanc, écrit dessus. Aymeric n’a pas pu venir, m’a prévenu d’un texto : « Je suis mobilisé, à cause de ce qui s’est passé. » Aymeric, un peu plus âgé que Florent, est gendarme. Les forces de l’ordre habitent ici, aussi, dans le quartier. Florent, le lendemain, avait prévu de se rendre à la marche blanche.

Ce soir-là, en traversant le parc au pied des tours nuages des Pablo, avec les enfants qui jouaient dans les allées, les familles sur les bancs, les petits sur le manège qui ouvre en été, en traversant, donc, je me faisais la réflexion : « C’est étrange. » Tout semblait normal, alors que rien ne l’était. Comme un moment en apesanteur.
Le lendemain, à la même heure, les bancs brûlaient, le manège brûlait, la cabane du marchand de glaces brûlait, le parc brûlait, transformé en terrain d’affrontement entre manifestants et forces de l’ordre. La petite esplanade pour le marché à la sortie de Nanterre Préf’ brûlait, elle aussi.

La violence se propageait à tout le pays. Or « la violence est injustifiable », commençaient à intimer les éditorialistes, les responsables politiques, Darmanin, Dupond-Moretti, Ciotti et la droite. Bien sûr, que la violence n’est pas acceptable, et il faut le dire ici, délétère, inutile à résoudre quoi que ce soit, nous enfonçant juste dans le pire.
Bien sûr.
Est-elle, pour autant, surprenante ?
Vous attendiez quoi, de la part de gamins qui savent qu’ils auraient pu être à la place de Nahel ? Ou que l’un d’eux sera le prochain ? Une manifestation pacifique ? Une pétition en ligne ? Qu’ils cherchent à obtenir un référendum d’initiative citoyenne ? Attendent 2027 pour voter ?

Quand la tension sociale est à son comble, depuis des mois, depuis des années, quand des millions de Gilets jaunes descendent dans la rue, sont réprimés par la force, quand des millions de manifestants sur les retraites sont réprimés par la force, qu’on leur crache au visage comme seule réponse, que pensez-vous qu’il puisse se passer, ensuite ?
Que la société va naturellement, tranquillement, s’apaiser ?
Alors que, dans les quartiers, entre l’abandon des services publics, l’urgence sociale, et la peur des forces de l’ordre, comme le dit Philippe Rio, le maire de Grigny, « la réalité est qu’on vit sur une poudrière » depuis dix, vingt, trente ans ?

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