« Corporatiste », « sectoriel », avec des « intérêts catégoriels »: voilà la présentation médiatique de la « grogne sociale ». Un dénominateur commun unit pourtant, bel et bien, tous les mouvements, du référendum chez Goodyear à la grève des cheminots en passant par les manifs d’Airbus ou des profs: refuser qu’on rogne encore sur les miettes du salariat.
8 % du PIB
Il faut repartir, toujours, de cette donnée centrale, et donc jamais citée, de l’économie française. En 1983, 74 % de la valeur
ajoutée des entreprises partait aux salariés. Aujourd’hui, on plafonne à 66 %.
Où sont donc passés ces 8 % du PIB, environ 100 milliards d’euros? Tout simplement dans la poche des actionnaires!
C’est un hold-up, gigantesque et silencieux, qu’ils ont réussi depuis 20 ans.
Un hold-up, mais comment?
Par des « suppressions de postes », bien sûr, dans le public et surtout dans le privé. C’est le phénomène le plus visible, et sans doute le plus tragique: les transferts d’emplois vers les pays « à bas coût de main d’oeuvre », ainsi de Whirlpool, Magnetti-
Marelli, Goodyear, qui annoncent des profits tandis qu’ils « restructurent ».
Mais, plus discrètement, ce glissement s’est effectué par une stagnation des salaires: cet été, le gouvernement a ainsi « appliqué strictement la loi pour déterminer les relèvements
du smic » – autant dire que le relèvement du salaire minimum fut
minimal: 2,1 %. Tandis que, pour les actionnaires, le CAC 40 a annoncé, en 2007, des « profits records », près de 100
milliards d’euros – dont, autre record, 40 milliards furent reversés en dividendes.
Enfin, ce déplacement des richesses s’est opéré par un abaissement des « acquis » du salariat: la durée de cotisation s’allonge,
pour des retraites qui diminuent, la couverture de la Sécurité sociale rétrécit tandis que la CSG augmente, etc.
Une même offensive
La régression sociale (qui porte le nom de « réformes ») prend donc plusieurs formes – mais qui découlent toutes d’une même
offensive contre les revenus du travail. Loin de rééquilibrer la donne, la politique accroît ces inégalités: le « paquet fiscal »
prévoit ainsi 15 milliards d’euros de cadeaux pour les riches. Alors que toutes les « recettes » (CSG, TVA sociale, franchise
médicale) frappent les travailleurs, les retraités, les malades, les consommateurs, bref: les modestes.
Nommer l’ennemi
Demeure un mystère: « Comment faire accepter une politique aussi injuste? »
Comme toujours: en divisant le monde du travail pour mieux régner. Les employés du privé contre les privilégiés du public. Les gentils fonctionnaires à régimes normaux contre les méchants à régimes spéciaux. Les courageux smicards contre les paresseux
assistés. Les chômeurs français contre les envahisseurs immigrés, etc. A chacun son bouc émissaire.
En insistant, aussi, sur le « corporatisme ». Mais quel mouvement, au fond, ne fut pas « corporatiste »? Les mineurs se mettaient
rarement en grève pour soutenir les vignerons! C’est le discours qui permet de dépasser le « corporatisme ». C’est la capacité à
replacer un conflit « sectoriel » dans un rapport
de force plus général, à désigner un adversaire commun à tous les travailleurs.
Dans leur catalogue d’oppositions, nos gouvernants oublient sans cesse le même conflit. Le fondateur, l’essentiel: celui qui
oppose les salariés aux actionnaires. A nous de le rappeler, de le marteler, et de sans cesse désigner l’ennemi qui nous
escroque chaque année de 100 milliards. Soit 8 fois le trou de la Sécu. 20 fois le coût des régimes spéciaux.
(article publié dans Fakir N°34, septembre 2007)