Du Sarko dans le tuyau

Deux rues qui s’effondrent en un an. Des centaines de milliers d’euros à payer pour les contribuables de Villers-Bretonneux. Des services de l’État qui ferment les yeux sur les rejets de l’entreprise Tissage de Picardie. Au coeur de ce désastre sanitaire, Guillaume Sarkozy, ex-numéro deux du Medef et frère de l’autre.

Publié le 9 mars 2007

« Une exposition de courte durée à de fortes concentrations de H2S peut conduire à la mort. » Dans les manuels de chimie, on ne rigole pas avec l’hydrogène sulfuré. « Au contact des parois des collecteurs, ce gaz se transforme en acide sulfurique qui ronge bétons et métaux. » Heureusement, détaillent les scientifiques, « il dégage une telle odeur d’oeuf pourri qu’on s’enfuit en général rapidement »

Autant de propriétés que les habitants de Villers-Bretonneux ont, depuis un an, l’opportunité de vérifier.

Tout commence durant l’été 2005. En plein mois de juillet, les habitants ouvrent leurs volets: sur une centaine de mètres, le bitume est déchiré. Autour, les égouts et les canalisations débordent. En urgence, Hubert Lelieur, le maire de Villers (apparenté UMP) convoque le conseil municipal. D’après une inspection de la SAUR, « le réseau d’assainissement [est] complètement détruit sur plusieurs tronçons »: 119 600 e de travaux sont nécessaires. Et dans la délibération, les « rejets industriels de la zone d’activités » sont qualifiés de « cause probable » de l’effondrement.

Depuis, la situation s’est largement aggravée: une deuxième rue s’est affaissée, d’autres dégâts sont à prévoir, et un camion est carrément passé à travers le macadam.

Une coïncidence

Le maire s’efforce, auprès de nous, de minimiser l’affaire: « En haut de chez moi, un charcutier avait jeté ses eaux grasses dans les égouts. Ça a refoulé dans ma cave. On a réparé, on n’a pas fait toute une histoire dans la presse. » Sauf que les rejets de saucisse n’attaquent pas les bétons et métaux du sous-sol… « De vous à moi et d’homme à homme, tortille Hubert Lelieur, ce truc, ça m’emmerde. » Et pourquoi donc? Le premier magistrat finit par désigner un responsable: l’entreprise Tissage de Picardie. « C’est un sujet très sensible parce que le propriétaire, c’était Guillaume Sarkozy. » Eh oui, le frangin du petit Nicolas…

Tissage de Picardie, « un des leaders mondiaux du tissu d’ameublement, fournit les grands créateurs, les grands distributeurs et exporte 65 % de sa production ». Le site Internet de Villers réclamerait une sérieuse mise à jour: le « leader » a du plomb dans l’aile après plusieurs charrettes de licenciements, un vrai défilé. Guillaume Sarkozy avait conservé, néanmoins, jusque-là, le cadeau de mariage de sa femme. Mais recalé de la présidence du Medef, il peut se débarrasser de son alibi industriel. En septembre 2005, il dépose donc le bilan… Deux mois à peine après l’effondrement de la rue du 8 mai. Juste une coïncidence?

La « convention de déversement », signée en 1993 par la Saur, Hubert Lelieur et Guillaume Sarkozy, prévoit que les eaux usées de l’usine ne doivent en aucun cas « porter atteinte à la bonne conservation des installations ». En cas de non-respect des clauses, les signataires ont prévu des sanctions: « Une pénalité de 5 000 francs par jour de défaillance sera appliquée à Tissage de Picardie. » C’est un joli paquet d’euros, donc, que la ville peut réclamer.
Le maire de Villers a pourtant pris le temps de la réflexion: après plus d’un an de cogitations, en septembre 2006, le Conseil municipal vote une « autorisation à ester en justice ». Sans que l’on sache, si, oui ou non, l’intéressé a aujourd’hui porté plainte.

Mais de toute façon, Guillaume Sarkozy peut dormir tranquille: en cas de pollution, c’est le « dernier exploitant » qui raque. Donc René de Gaillande, le repreneur, qui se démène déjà avec cette affaire pas très florissante. Un procès en plus, et il risquerait la liquidation. Sans compter cinquante salariés à la rue…

L’ombre de Nicolas

Que Nicolas Sarkozy soit le patron de l’UMP n’a aucun lien, bien sûr, avec les hésitations d’Hubert Lelieur à se lancer dans des procédures. D’ailleurs, que Nicolas Sarkozy soit le favori de la prochaine présidentielle n’a nullement réfréné les ardeurs des services de l’Etat…

Impossible de joindre la Drire (Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement) directement, interdit de causer avec un ingénieur en charge du dossier. Il faut passer par la préfecture. Et là, la chargée de communication assène la version officielle: « Tissage de Picardie a respecté les engagements réglementaires. Ses rejets ne sont pas la cause de l’effondrement. » Sans plus d’explications. Un véritable scoop: depuis un an et demi, tous les regards sont tournés vers « l’usine », le technicien de la SAUR accuse « l’usine », le maire prévoit de poursuivre « l’usine », et voilà que « Tissage de Picardie a respecté les engagements réglementaires. » Ils n’y sont pour rien, garanti par la porte-parole d’un préfet aux abonnés absents… Dont le supérieur hiérarchique est l’autre Sarkozy.

« Patron-voyou, évidemment »

C’est Nicolas le Grand, d’ailleurs, qui le clamait dans son discours d’Agen: « Je veux dire au patron voyou qui déménage son usine la nuit, ou qui vide la caisse pour n’avoir à payer ni les salaires ni les indemnités de licenciement que pour lui ce sera la tolérance double zéro. Quand on a plus de chances dans la vie on a également plus de devoirs. » Que penser, alors, d’un PDG qui cède sa boîte après avoir détruit le sous-sol? Cela correspond-il à la catégorie des « patrons-voyous »? Nous nous sommes renseignés, directement, auprès du siège de l’UMP à Paris:

« Je voulais juste avoir des précisions sur la position de l’UMP par rapport aux patrons-voyous. Si l’un d’eux pollue un site, comme à Metaleurop par exemple, et qu’il part après? C’est un patron-voyou ça?

– Effectivement, cela rentre dans cette catégorie. Il paraît logique qu’une entreprise qui pollue, nettoie. Évidemment. »

À coup sûr, les plus fins limiers du ministère de l’Intérieur vont fondre sur Villers-Bretonneux comme de l’acide sulfurique dans les canalisations…

(article publié dans Fakir N°31, décembre 2007)

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