École : 5000 fermetures de classes, l’hécatombe invisible.

Près de 5000 fermetures de classes annoncées d’ici septembre 2025 en France : c’est une agonie, et une hécatombe silencieuse, dont les déflagrations s’étendent bien au-delà de l’école, sous couvert de gestion budgétaire de nos dirigeants.

Publié le 14 mars 2025

« Que reste-t-il du Chautay ? Des vaches ? Une église ? Une mairie ? Des vieux ? », « L’école est notre richesse ». Les pancartes et bouts de carton se balancent dans les airs, à Bourges, devant la Préfecture, ce jeudi 13 mars. « On nous annonce la mise en dormance de l’école », souffle Jérôme, qui est resté garder ses deux enfants à la maison, pendant que son épouse manifeste. « Mais ‘‘mise en dormance’’, ça n’a aucune valeur juridique, surtout dans le public, c’est juste une fermeture déguisée. On peut mettre en dormance une entreprise, mais pas une école publique… »
Y a pas que qu’à Bourges : la colère gronde un peu partout en France. Cinquante-sept suppressions de classes prévues dans la Marne, vingt-huit dans la Somme, neuf postes supprimés en Haute-Saône, six dans le Loiret… Voilà qui ressemble à une lente mise à mort du système éducatif. Et ça ne semble pas prêt de s’arranger : la nouvelle carte scolaire – le système d’affectation des élèves dans une école – vient d’être dévoilée pour la rentrée 2025-2026. Elle prévoit 470 suppressions de postes au niveau national dans le premier degré en septembre, entraînant « la fermeture de 5000 classes », selon Guislaine David, porte-parole du syndicat SNUipp-FSU, au micro de France Info. Le coup de trop pour les parents et les enseignants : partout en France une vague de protestation s’élève. Car aucun département n’est épargné par ces fermetures.
À l’image du Cher, où la manif devant la Préfecture se poursuit : là-bas, quinze classes en milieu rural vont fermer d’ici la rentrée prochaine. « La carte scolaire, c’est une conséquence directe du budget décidé par le gouvernement ! » Des voix s’élèvent parmi les parents d’élèves rassemblés – une cinquantaine. Avec enfants et élus, mouillés par la pluie, ils battent le pavé, pancartes levées.

Les coupes franches concernent tout l’Hexagone, de Paris (suppression programmée de cent-dix postes et près de deux cents classes) aux zones périphériques, jusqu’au Chautay, donc, un village à cinquante kilomètres de Bourges, où la classe unique de onze élèves est sur la sellette. Pourtant, au-delà de permettre aux enfants des zones rurales de rester dans le système éducatif, et pas à des dizaines de kilomètres de chez eux, tant qu’à faire, les écoles sont un enjeu social, maillon essentiel de la survie des villages. Chaque suppression de classe, en campagne, est un pas de plus vers la désertification. « De toute façon, l’Éducation nationale fait tout pour résigner les gens et diviser les parents. Les politiques se foutent complètement des écoles de campagne. C’est du mépris de classe, du mépris de la ruralité. On nous prend pour des bouseux » désespère Jérôme. Au point que le comité de parents d’élèves a pris contact avec une avocate pour aller devant le tribunal administratif, et renverser la situation.

Depuis l’année dernière, déjà, l’école est menacée de fermeture. « Il y a des tensions au sein du conseil municipal, lâche Jérôme. Quand la maire clame à haute voix dans en plein conseil “je ne vois pas l’intérêt d’une école pour un village”, vous comprenez tout de suite qu’il faudra lutter pour préserver l’école de vos enfants. »
Un budget serré et des communes brisées par les restrictions et la baisse des dotations de financement de l’État : aussi terrible que cela puisse paraître, les édiles voient les écoles comme un sacrifice financier. Dans le journal local du Berry Républicain, la maire du village s’explique : « le budget de la commune pour cette année est de 276 000 €, sachant que le budget de l’école est de 105 000 € pour onze enfants cette année. Cela représente plus du tiers… Et des investissements doivent être réalisés, comme la voirie, la toiture de la mairie et la toiture de l’église. Continuer avec l’école ne serait pas responsable. Je suis la gardienne des deniers publics, l’école ne fait pas vivre le village. »

Malgré la pluie, la manifestation bat toujours son plein à Bourges. Une mère d’élève prend la parole. « On a eu monsieur Kervran, le député de la 3e circonscription du Cher, au téléphone, il nous a dit que cette année ce n’était pas du tout une question de budget, mais plus une volonté politique. Il a dit que c’était une question de rapport de forces. Du coup, si on est là aujourd’hui, c’est pour montrer qu’on subit cette injustice et qu’on fera tout ce qu’il faut pour défendre notre école. » En janvier 2024, le même député avait dénoncé la mauvaise gestion des écoles rurales à l’Assemblée nationale. « Pour moi, qui suis un enfant de la campagne, un élu de la ruralité, qui met mes enfants dans l’école publique de mon village, ces classes ne sont pas des lignes dans un tableur Excel […] Madame la ministre, quel avenir souhaitez-vous dessiner pour nos écoles rurales ? » Problème : cette intervention sonne faux. Le député Horizons (le parti d’Édouard Philippe, le même qui rêve de tailler à la hache dans les dépenses publiques, et qui le fait déjà dans certaines régions…), a joué les intermédiaires pour Excellence ruralités. Excellence ruralités, c’est un réseau privé (avec des mécènes comme L’Oréal) qui s’installe dans les campagnes pour développer des établissements dans les territoires ruraux défavorisés. Depuis dix ans, cette organisation a multiplié par dix son parc d’établissements en France. Dans les colonnes du Berry Républicain, Loïc Kervran s’explique : « C’est vrai, je leur ai transmis des contacts dans le cadre de leur venue au Chautay et à Bessais-le-Fromental… » Parce qu’il est « intéressant » que ce genre de réseaux ait connaissance des « jeunes ruraux et de leurs problématiques. Je partage avec elle (Excellence ruralités) le constat que l’éducation prioritaire ne prend pas suffisamment en compte la ruralité et ses spécificités. » En tout cas, un système à deux vitesses semble se profiler : des écoles publiques affaiblies par des suppressions massives de postes et de classes, et percutées par la montée en puissance d’un système privé qui s’installe là où l’État déserte.

Dans un communiqué, l’association des maires de France (AMF) déplore des « décisions brutales, sans concertation, de fermetures de classes et d’écoles sur l’ensemble du territoire national ». Au-delà des chiffres, les maires dénoncent « l’absence de concertation préalable » et des outils mis en place qui sont « davantage un alibi qu’un réel outil de concertation ». Le ministère de l’Éducation justifie lui les fermetures par la baisse démographique et la diminution du nombre d’élèves sur les bancs de l’école. Mais l’argument masque mal une politique d’austérité déjà annoncée par le gouvernement Bayrou. Et le fait que ce dernier ait renoncé à supprimer 4000 postes d’enseignants n’a rien de rassurant. D’ailleurs, rappelons-le : en 2017, lors de la première conférence nationale des territoires, Emmanuel Macron s’était solennellement engagé à ce qu’il n’y ait plus aucune fermeture de classe dans les écoles rurales… Sacrée Macronie.

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