La Sécurité Sociale

Que prévoit le programme du Conseil National de la Résistance ? « Un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procureur par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État. »

Publié le 30 avril 2024

« La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. » C’est la Chambre de Commerce de Paris qui dresse, en 1948, cette équation connue : « Sécu = Paresse ». Le débat sur le « trou de la Sécu », lui non plus, n’est pas né hier : « 34 milliards de déficit en 9 mois » annonce Paris-Presse en 1951 (29/12). Évidemment, « les ‘spécialistes’ du MRP proposent une réforme de structure » (Le Figaro, 31/12/51).
Mais durant un demi-siècle, quasiment, le consensus autour de cet « acquis » tient bon.

Les premières brèches
Jusqu’en 1986. Jacques Chirac, alors Premier Ministre, se prend pour Ronald Reagan et privatise treize compagnies d’assurances. L’alternance n’apportera pas d’alternative : en 1989, avec la loi Evin, Michel Rocard officialise l’entrée des assureurs privés dans la complémentaire maladie. Mutuelles et syndicats protestent. En vain : les premières brèches sont ouvertes.
L’entreprise de démolition passe alors à la vitesse supérieure : en 1996, Alain Juppé lance son « expérimentation d’un parcours de soins ». Claude Bébéar, le patron d’AXA, s’enthousiasme, et il affiche ses intentions au grand jour : « Il peut y avoir une Sécurité sociale publique, et à côté des Sécurités sociales privées. » Son rêve lui semble presque exaucé… mais le retour des socialistes, l’année suivante, brise net cet élan : Lionel Jospin gèle « l’expérimentation ».

Des idées « indépendantes »
De son échec, Claude Bébéar tire des leçons : plutôt que l’attaque frontale, mieux vaut avancer masqué. A la tête du premier assureur en Europe, le parrain du capitalisme français a les moyens de convaincre, doucement, gentiment les élites. En 2000, le voilà qui fonde l’Institut Montaigne, un « think tank » bien sûr « indépendant » – c’est-à-dire financé par Areva, Axa, Allianz, BNP Paribas, Bolloré, Bouygues, Dassault, Pfizer, etc., à hauteur de trois millions d’euros par an. Aux côtés des banquiers et des PDG, s’y retrouvent des économistes et des journalistes médiatiques. De quoi faire passer ses « idées » dans le tout-Paris, avec des invitations sur France Inter, LCI. Pendant la campagne de 2007, l’institut Montaigne a bénéficié d’un encart quotidien sur BFM TV ! De quoi les faire passer, surtout, pour des idées « indépendantes » – et non pour des intérêts déguisés. Et qu’on devine son cheval de bataille ? « Réinventer l’assurance maladie »…C’est dans cette direction que poussent ces think tank néolibéraux : La Fondapol (Fondation pour l’innovation politique), la fondation Jean-Jaurès, la fondation iFRAP (fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques), Terra Nova…

Moins de 50 % remboursés
Les gouvernements, à leur tour, avancent masqués. Liquider la Sécu, livrer la santé au privé, voilà qui s’avère impopulaire. Mieux vaut donc la trouer à petits coups. En 1995, Juppé fait adopter le vote du budget par le Parlement, le fameux PLFSS (Projet de Loi de Finance de la Sécurité Sociale). En 2004, Philippe Douste-Blazy met en place la hausse du forfait hospitalier, les dépassements d’honoraires autorisés, les déremboursements de médicaments. Pour la médecine de ville (hors hôpital), moins de 50 % des dépenses sont désormais remboursées par la Sécu. « Il faut une génération pour changer un système de santé » notait, philosophe, Henri de Castries – le successeur de Claude Bébéar à la tête d’Axa. Bout par bout, on y parvient. Et ça continue aujourd’hui, inexorablement. Dans une interview au Monde (06/03/24), Bruno Le Maire s’est dit favorable à l’étatisation totale et définitive de l’assurance chômage, comme ce fut le cas pour la Sécurité sociale (1996). Alors que les partenaires sociaux veillent au niveau et à la durée d’indemnisation, la Macronie rêve, elle, d’en prendre les manettes, d’utiliser l’assurance chômage comme un outil pour forcer les personnes privées d’emploi à accepter n’importe quel job précaire.

Sécu : Et alors ?
La Sécurité sociale est remplacée par des assurances privées, et alors ? L’économiste Nicolas Da Silva a fait les comptes dans son dernier bouquin, « La bataille de la Sécu » (2022) : Ce sont 5,4 milliards d’économie par an que l’on pourrait faire en se passant des complémentaires santé privées! De quoi, par exemple, permettre aux 30 % des Français qui ne font plus remplacer leurs dents pour des raisons financières d’accéder aux soins dentaires…

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