Que prévoit le programme du CNR ?
« Le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol.
L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. »
« Je ne vous paie pas pour que vous m’indiquiez les articles du code m’interdisant de réformer, mais pour y trouver ceux qui vont me le permettre. » Ainsi s’adresse, en 1945, le communiste Marcel Paul, ministre de la Production industrielle, aux juristes de son ministère. C’est que ses « nationalisations » se heurtent à bien des intérêts. Le patronat des compagnies de gaz et d’électricité, puissant, organisé, possède des relais au gouvernement, à l’Assemblée, dans les cabinets – et c’est un bras de fer qui se déroule, avec une guérilla parlementaire, des nuées d’amendements contre chaque article. Mais la CGT se mobilise. Les conservateurs cannent : ils ne veulent pas de conflit. Pas encore. Et c’est ainsi que Marcel Paul remporte « la bataille de l’électricité ».
Pas seulement au Parlement. Mais surtout dans les centrales : alors qu’à la Libération la France allume chaque soir ses bougies, dès l’été 1946, la production fonctionne au rythme de 25 milliards de kilowatts-heure – contre 18 milliards en 1939.
Le « retour à la Nation » n’était pas qu’une question de dogme pour le Parti. Ou de conquête pour les travailleurs. Mais également d’efficacité pour le pays…
Le cheval de Troie européen
Son efficacité, voilà le problème pour la droite libérale : toute la France est électrifiée, reliée au téléphone, desservie par le train, le courrier arrive tous les matins, avec en prime des programmes d’avant-garde : le Minitel, le TGV, Airbus. Comment justifier, alors, la privatisation de ces services ? Jacques Chirac y renonce, en 1986. Mais c’est Paul Quilès, un ministre socialiste, qui franchit le premier pas : sur l’injonction d’une directive européenne, la Poste est séparée des Télécom. Depuis, des « ouvertures de capital » successives aux privatisations, le refrain revient de Bruxelles : « concurrence libre et non faussée ». Une pression qui justifie tous les abandons.
DSK à cœur joie
« En matière de privatisations, la ‘gauche plurielle’ a réalisé en trois ans un programme plus important que n’importe quel autre gouvernement français ». C’est La Revue socialiste qui s’en flatte, en juillet 2000. Installé au ministère de l’Économie, DSK s’en donne à cœur joie : il « ouvre le capital » de France Télécom, sépare les trains (la SNCF) des rails (RFF – le Réseau Ferré de France), entérine la division de EDF et GDF, confie Aérospatiale à la dynastie Lagardère, etc.
Derrière, Nicolas Sarkozy n’a plus qu’à terminer le boulot. Comme ministre des Finances, d’abord, transformant EDF et GDF en sociétés anonymes : « On ne viendra pas à la privatisation, c’est clair, simple et net », promet-il, la main sur le cœur. Et on peut lui faire confiance : sitôt élu Président de la République, GDF est confiée à Suez. Quant à EDF, elle est remise à Henri Proglio, PDG de Véolia. « Patience et longueur de temps » : quatre-vingts ans après la Libération, le patronat a repris ces machines à profits, le coût de l’énergie explose. Les tarifs peuvent augmenter, et les dividendes, tomber…
La vente à la découpe de la France
Fin 1986 : le groupe industriel Saint-Gobain fait partie, avec BNP Paribas et les assurances AGF, des toutes premières entreprises privatisées. Le groupe est cédé sous la présidence de Mitterrand pour 8,4 milliards de francs (1,2 milliard d’euros). En 2006, un scandale qui dure, aujourd’hui encore : le Premier ministre Dominique de Villepin cède les autoroutes à trois grands groupes (Vinci, Eiffage et Abertis). 2014 : le constructeur aéronautique EADS devient la société privée Airbus Group, sous le gouvernement de François Hollande. La même année, la branche énergie d’Alstom est vendue au géant General Electric, sous la houlette du ministre Macron. C’est une perte de savoir-faire et de connaissances inestimable : la France y perd des technologies clé, pour les turbines des centrales, l’éolien en mer, les barrages hydroélectriques, les porte-avions nucléaires, l’équipement pour les réseaux électriques… Macron poursuit joyeusement cette dynamique de privatisation avec, notamment, l’ouverture du capital de la Française des jeux (FDJ) et la cession partielle du gestionnaire Aéroports de Paris (ADP).
C’est, ainsi, tout le pays, son savoir-faire, et surtout ses capacités d’agir sur son destin, qu’on vend, peu à peu, à la découpe. Au profit exclusif de quelques-uns.