Grève des taxis : la guerre des précaires

Depuis lundi, les chauffeurs VTC sont dans le viseur des taxis conventionnels grévistes, accusés de concurrence déloyale – pas de licence, pas de cotisations… Ils menacent de bloquer Paris, Roland-Garros, et sont reçus en urgence, du coup, ce samedi, par le Premier ministre François Bayrou. Une manière de mettre en lumière, un peu plus encore, le projet macroniste : la guerre des précaires entre eux, pour tirer plus encore tout le monde vers le bas. C’était l’occasion de vous redonner à lire un extrait de notre dossier sur les chauffeurs Uber… « Au début, c’était le rêve américain. Uber venait de s’installer, ils avaient besoin de nous. Ils s’en foutaient de perdre de l’argent. Ils nous ont promis la Lune, et nous on a été naïfs… » En voiture avec Houcine, chauffeur VTC, qui nous raconte l’arnaque : des journées à rallonge, zéro statut, zéro contrat, rien. Le modèle imposé par Emmanuel Macron : « Je ne vais pas interdire Uber et les VTC, ce serait renvoyer les jeunes vendre de la drogue à Stains ! »


Publié le 25 mai 2025

« Il y a un chiffre qui me ravit, s’extasiait Geoffroy Roux de Bézieux, alors patron du Medef, ce sont les créations d’entreprises. Parce que pour créer son entreprise en ce moment, il faut… Je ne vais pas utiliser une expression triviale, mais ‘‘faut en avoir quoi’’. » Ou il faut n’avoir pas le choix. Et ces entrepreneurs, les voilà : à vélo ou en voiture…

« Eh, m’dame, je suis en train de faire une interview avec un journaliste, ça vous dérange pas que je réponde en vous conduisant ? C’est que je suis quelqu’un de célèbre, hein ! »

Il est tout sourire, Houcine, le temps de sa course, dans son VTC parisien.

Mais dès que la cliente est sortie, le visage se ferme, à nouveau.

« Je suis arrivé au bout. Tu vois quelqu’un de dépressif, qui se fout de tout ? C’est moi, même si j’essaie d’avoir de l’humour. » Six ans, déjà, qu’il bosse pour Uber. Il avait 26 ans.

« Au début, c’était le rêve américain. Uber venait de s’installer, ils avaient besoin de nous. Ils s’en foutaient de perdre de l’argent. Ils nous ont promis la Lune, et nous on a été naïfs. Ils sont allés chercher une clientèle qui n’existait pas, qui n’utilisait pas les taxis, pour casser les prix.

—  Ils ont réussi ?

—  Ben là, tu vois, j’ai fait une course à 6 euros, pour 45 minutes de trajet, de Montparnasse à la Tour Eiffel… Là, dessus, Uber prend 25 %, je paye 24 % de charges, il me reste 3 euros pour payer l’essence, les pneus, l’assurance, les amendes… Et après, je me paye. Rien, donc. C’est un truc de fou… »

Ils sont des milliers, des centaines de milliers, comme lui, en voiture, à conduire des passagers, en vélo ou en scooter, à livrer des repas, des objets, de tout, tout ce qu’il est possible de commander. Et parmi eux, des jeunes, surtout : un tiers des créateurs d’entreprises individuelles, sésame pour les plateformes, les fameux autoentrepreneurs, sans protection ni contrats, sont des jeunes.

« Quand j’ai commencé en 2014, on s’y retrouvait, au niveau du prix des courses, calcule Taoufik, lui aussi chauffeur pour des plateformes. Mais à partir de 2016, ils ont baissé les prix, au maximum, sans concertation, au détriment des chauffeurs, qui ne gagnent plus rien du tout. C’est un massacre, ce que nous font ces applications… On a juste les inconvénients d’un patron, sans les avantages. Tu peux refuser des courses, mais ils te mettent la pression sur ton taux d’annulation, jusqu’à te suspendre ou supprimer ton compte si tu bosses pas assez. Ils te virent comme ils veulent, vu qu’ils ne sont pas ton employeur… »

Alors, Taoufik et les autres bossent, bossent, courent après les euros. Au détriment de tout le reste. « Si tu veux faire du chiffre, faut être là aux heures de pointe, le matin et le soir, faire 250, 300 euros par jour pour que ça commence à être rentable, alors tu bosses 10, 12, 13 heures dans ta voiture. Ça peut pas être un projet de vie, on peut pas faire ce métier très longtemps. Non, passer douze heures par jour dans la circulation, c’est pas possible. C’est un stress mental énorme, et c’est risqué.

—  Mais comment tu fais pour le reste ? T’as des enfants ?

—  Oui. Je dépose mon fils à l’école à 8h15, et j’enchaîne jusqu’au soir, à 18h. Là, je repasse le prendre à l’école, je le dépose à la maison et je repars, jusqu’à 21h00, parce que j’ai pas fait assez de chiffre. Et le weekend, je bosse de 14h à 5h du matin, c’est là que les gens sortent. Ça m’a coûté mon divorce, en 2018. J’étais marié depuis 2013. Je voyais plus ma femme ni mes enfants. Parce que si tu veux élever des enfants et avoir une vie de famille digne, c’est pas possible. Tout ça, c’est un cercle vicieux. On nous vend du rêve. Ce métier, il est voué à l’échec. »

Le schéma est le même, partout : au début des années 2010, les plateformes proposent des tarifs pour flotter un peu audessus du Smic, gérer ses horaires, se sentir libres. Le pied pour les étudiants, les chômeurs, ou même les intérimaires. Bien sûr, derrière, pas de contrat de travail, pas de congés, pas de chômage. 

[…]

Voilà le modèle rêvé du macronisme : éclater le salariat. Après les CDD, après les stages, après l’intérim, l’autoentrepreneur comme une nouvelle étape dans la précarité.

Et cette bataille, donc, en cours : estce que Uber et les autres vont être ramenés dans la norme du salariat ? Ou, au contraire, estce que ce modèle va contaminer tous les métiers – et les taxis, aujourd’hui ?

Retrouver ici l’intégralité de notre dossier.

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