Maxence Bigard, c’est moi !

C’est quoi, le pire ? Cacher ses forfaitures sous un flot de communication mielleuse, ou parler comme on est, comme on vit ?

Publié le 20 mars 2018

C’est la séquence qui, depuis le début de mon mandat, a le plus tourné, un million de vues et plus, reprise par Marianne, Closer, les quotidiens régionaux : lorsque, en Commission des affaires économiques, Maxence Bigard se fait mutique, et que je lui lance  » On est dans le Parrain ici ou quoi ? « .
C’est là-dessus que, fatalement, sur Facebook, je reçois le plus de questions.
Alors, je vais vous dire la vérité.
Comme je l’ai dite, avec mes doutes et mes scrupules, à Richard Ramos, mon collègue du Modem, qui m’a appelé le lendemain :  » C’est très bien, le buzz que ça fait, il m’annonçait, mais il faut qu’on aille plus loin.
Ah bon ?
— Parce que là, il nous a fait quoi ? Un doigt d’honneur. Maxence Bigard a fait un doigt d’honneur aux députés ! Donc, il faut qu’on change quelque chose, sinon, les gens vont se dire quoi ? Qu’on est des pantins ? Donc, je te propose qu’on y retourne, là-bas, chez Bigard, et qu’ensuite, on dépose une proposition de loi… Parce qu’aujourd’hui, la non-publication des comptes, c’est seulement passible d’une amende, de 1500 € je crois, c’est une sucette pour Bigard… Je sais pas comment, mais on devrait assortir ça de pénal, pour qu’ils y soient contraints… « 

J’étais plus mesuré :
 » Est-ce qu’il faut s’acharner ? je nous interroge à voix haute.
Y a un truc que je n’aime pas, d’abord, c’est la meute. Tu vois comment ça fonctionne, les médias, sur un détail, ils foncent tous. Je veux dire, qu’une poignée de journalistes reprennent ça, d’accord, mais là c’est tout le troupeau qui lui passe dessus.
Et les réseaux sociaux, avec leur coutumière déferlante d’amabilités :
‘‘bâtard, fdp, connard » et j’en passe ! Sans doute n’est-ce pas entièrement usurpé, mais en trente minutes de prestation, sa réputation est faite, le voilà fiché sur Internet…
Moi, même un fils de PDG, je ne veux pas son suicide sur la conscience. « 

C’est qu’un épisode m’avait marqué.
C’était en mai 2005, la semaine avant le  » non « . on m’avait causé d’un artisan, dans le Cambrésis, qui faisait bosser des Roumains, qui les prenaient  » en stage « . Je lui avais tendu un canular téléphonique : me faisant passer pour Frits Bolkestein, le commissaire européen à la concurrence, le chantre du plombier polonais, et avec un mauvais accent hollandais, je lui avais demandé si ses Roumains pourraient venir poser un chauffe-eau, et on se ferait prendre en photo tous ensemble pour Paris Match. Le gars avait marché, avait raconté toute sa combine avec Bucarest. C’était à pisser de rire, je crois, du Lafesse politique.

Après ça, le lendemain, la Voix du Nord et plein de médias m’ont appelé, l’inspection du travail et l’Urssaf lui sont tombés dessus. J’ai laissé mon portable sur répondeur, sans profiter de mon heure de gloire. Je m’inquiétais plutôt : comment se portait le maçon ? sa famille ?
J’aurais voulu prendre de ses nouvelles.
Un jour, c’est sur moi que se jettera cette meute, elle se fait les crocs, déjà, parfois, mais à un moment viendra la curée. ils trouveront un prétexte, ou une bonne raison, parce que je ne suis pas un saint, et ce sera la chasse à courre. Je ne sais pas si je tiendrai bon, droit, digne, devant cette adversité.
Je me prépare à cette épreuve, avec crainte.
Alors, vais-je jeter la pierre à un homme déjà à terre ?

 » Et qu’est-ce qu’on lui reproche, en un sens, à Maxence Bigard ? Est-ce que ça n’est pas son anticonformisme ?

Tu dis, ‘‘il nous a fait un doigt d’honneur », mais tous les autres, ils nous ont fait quoi ? Regarde, l’intervenant juste avant lui, hier matin, c’était l’Ania… « 
L’Association nationale de l’industrie agro-alimentaire, le lobby des industriels en gros. À son président, Jean-Philippe Girard, j’ai rappelé l’histoire de nutriscore : en 2014, un rapport est remis au ministère de la santé, qui préconise un code couleur, clair, simple, sur les emballages alimentaires, pour
indiquer la qualité nutritionnelle.
C’est soutenu par les assos de consommateurs, appuyé par 250 000 pétitionnaires, validé par le Haut conseil de la santé publique, mais combattu par un lobby : l’Ania. Qui, aussitôt la proposition émise, la juge  » discriminante « ,  » stigmatisante « ,  » un véritable frein aux exportations « …

Bien sûr, eux sont habiles :
Ils ne s’opposent pas de front à un affichage, présentent des alternatives, demandent que des comparaisons soient effectuées, que de nouvelles études soient lancées… La décision est ainsi freinée, retardée. De guerre lasse, en mars 2017, s’apprêtant à quitter le ministère, Marisol touraine impose ce logo. Mais voilà : l’Europe ne permet pas de l’imposer aux industriels. il ne peut être que facultatif. D’où, ce jeudi, ma question à ce cravaté : son association va-t-elle recommander à ses adhérents de se plier à la règle ministérielle ?
Faut voir comment il causait, M. Girard, c’était tout mielleux, tout velouteux, tout huileux, sa voix collait de partout, comme si on était amoureux lui et nous, et ses mots pareils :  » Nous avons été parmi les premiers à réclamer une meilleure information aux consommateurs…  »
Il m’énervait, lui, oui.
Je bouillais, là oui.

Ma question, il l’évacuait. Mais le président de la Commission ne me laissait pas la poser à nouveau, que ça ne devienne pas le  » Ruffin show « . Aussi, j’alpaguais le lobbyiste à la sortie. il s’échappait à grand renfort de  » responsabilité sociale et environnementale « . Je revenais à la charge : oui ou non ? Ce serait non. non, il ne transmettrait aucune consigne à ses adhérents, non les industriels n’appliqueraient pas forcément la règle ministérielle.
Eh bien, vous voyez, au fond, je préfère les silences de Maxence Bigard.
C’est plus franc du collier.
Alors, qu’est-ce qu’on lui reproche, exactement, à ce fils de PDG ? Le comportement de son groupe à l’égard de ses salariés, de ses éleveurs, de la loi ?

Ou plutôt un anachronisme, de n’avoir pas adopté la communication moderne, avec la novlangue mielleuse, velouteuse, huileuse qui fait les délices de notre Assemblée ?
Des doigts d’honneur, ils nous en font tous, ou presque.
Mais la plupart mettent courtoisement de la vaseline.
Bigard nous a enfilés à sec, et ça manque de respect, on trouve.
Dans un registre plus élevé, Dominique Potier, député Ps de Meurthe-et-Moselle, assis face à moi en Commission, me chuchote cette anecdote :  » Les vieux militants socialistes me racontent : ‘‘Ah, Mitterrand, lui, au moins, il avait l’art de nous enfumer… », et ils en ressentent une certaine satisfaction : au moins, lui mettait les formes. « 

Alors, c’est quoi, la finalité ?
Que Bigard embauche un chargé de com’, pour lui roder des éléments de langage, pour emballer sous des tonnes de  » responsabilité sociale et environnementale «  et autre baratin ? Et là, on sera contents, on l’applaudira ?
ça me renvoie à moi, avec ce doute depuis le début de mon mandat : qui sort du rang est médiatiquement puni. Pas de cravate, un bout de chemise qui dépasse, et boum ! on t’aligne !
Est-ce que je dois me mettre à la langue de bois ?
Est-ce que je le souhaite ? Est-ce que j’y suis apte ?
Il faut pas, vous me dites, on m’aime comme ça.
Mais qu’un  » truc à la con «  dépasse, qu’un bout de phrase ne soit pas droit, et les médias me tirent dessus, bam bam bam, ils poussent à ça, à surveiller mon expression, à la normaliser, à adopter le lexique d’en haut.
Aussi, quelque part, Maxence Bigard, c’est moi.

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