Fakir : D’après toi, pourquoi l' » aide à domicile » apparaît aussi massive ?
Loïc Trabut : C’est pour faire coup double : 1. face au chômage de masse, 2. face à la dépendance des personnes âgées. Les politiques voient l’opportunité. Il y a substitution, en un sens, avec le monde industriel qui est en pleine chute. Les services, et l’aide à domicile, deviennent un » service industrialisable « , ça remplace l’industrie pour les femmes peu qualifiées.
Donc, à partir du milieu des années 1990, on va faire des dépenses publiques. Mais comme domine » l’idéologie de marché « , on va en faire un marché, même de façon artificielle. Pas question de créer un service public. On va subventionner les particuliers, via l’APA, ou les crédits d’impôt, pour développer un marché, avec des associations, des entreprises.
Fakir : Pourquoi ce choix ? Il y a d’autres possibilités que l’aide à domicile pour nos petits vieux, non ?
L. T. : Plein. Pourquoi ce choix ? Bah parce que c’est le moins cher tout simplement. C’est moins cher que de construire des maisons de retraite, ou un vrai service public du troisième âge. Et puis on se base sur la volonté des personnes à rester chez elles. On se dit que c’est plus humain.
Mais franchement, les enfermer chez elles, avec leur aide à domicile qui passe deux fois par jour, le matin elle ouvre la porte, elle rentre, elle ouvre les volets, elle pose mémé sur les chiottes, elle fait à bouffer, tac elle repose mémé, elle re-verrouille la porte en partant. Le soir elle revient, elle re-déverrouille la porte, elle ferme les volets… Enfin… c’est de la maltraitance. Je parle du système hein, pas des nanas… C’est quand même à chier, quoi.
Fakir : Et pour les salariées ?
L. T. : Ce sont des travailleuses pauvres, pour beaucoup. Il y a un vivier de dingue, donc on s’en fout d’elles, tant pis si elles restent sous le seuil de pauvreté. Regarde les chiffres. En 2010, l’aide à domicile est composée à 90 % de femmes. 87% ont un diplôme inférieur au bac. 33% n’ont aucun diplôme. 26% d’entre elles travaillent moins de 15 heures hebdomadaires.
En prestataire, le salaire horaire brut médian est de 9,9 euros. Annuellement, il est de 8 463 euros. Soit 705 euros mensuel. En mandataire et particulier – employeur, il est de 10,4 euros horaire et 3392 euros annuel. Soit 282 euros mensuel.
282 euros mensuel !
Fakir : D’après mes AVS, pourtant, elles ressentent du mieux. Le secteur se structure, ce n’est pas parfait, ça tâtonne mais, pour elles, il y a du mieux…
L. T. : Sans doute qu’on a progressé un peu, mais y a de la marge ! Quand on part de rien, forcément, y a du mieux…
Mais bon, c’est pourri. Il faut le dire, c’est pourri. Ce n’est pas pour rien que c’est un » secteur en tension « , c’est-à-dire en recherche de main d’œuvre. Ces métiers sont horribles. Il en faut de l’abnégation. T’es mal payé, t’es traité comme de la merde, t’as les mains dans la merde, les vieux te traitent comme de la merde et la famille te traite comme de la merde. Il faut aimer son prochain quoi. C’est quand même l’horreur. Quand tu parles avec elles, elles ont de l’abnégation. Elles y vont parce que c’est un devoir et puis… c’est un travail qui a du sens, quoi. Sur Inter ce matin ils parlaient du » brown-out « , c’est marrant ces nouveaux mots. Ça veut dire les métiers où tu ne sens pas l’utilité sociale. Bon, là, c’est sûr qu’il n’y pas ce problème, l’utilité se fait sentir.
Mais moi, pour elles, je suis partisan d’un statut de fonctionnaire, ou d’une vraie délégation de service public.
On fait nôtre cette idée. Que les aides à domicile soient fonctionnarisées. Qu’on crée un vrai service national de la dépendance, pour les personnes handicapées aussi. Qu’il n’y ait plus de différences entre les territoires. Et qu’on prenne le sujet à bras‑le‑corps.