Plus tabou que le sexe

Et si on embauchait des photographes publics ? Vingt mille ? Pour quoi faire ? Pour que le travail ne tombe plus dans le trou noir des mémoires. Pour que les camionneurs, caissières, comptables, greffiers, jardiniers, éboueurs, puissent en rapporter des images à leur famille. On y réfléchit, Mordillat à l’appui.

Publié le 3 juin 2017

Amiens, lundi 21 novembre 2016 Alexis habite sur la placette à côté de Fakir, et des fois on se demande s'il n'habite pas à Fakir… Il vient d'arriver à Amiens. On lui sert de port d'attache. Comme il est photographe, je lui fais part d'une idée, qui me trotte dans la tête depuis un bail : Mon père a bossé pendant plus de trente ans chez Cassegrain, puis Bonduelle, comme cadre, j'ai entendu son pas dans l'escalier, tôt le matin, il faisait souvent nuit lorsqu'il rentrait, et de ses journées, de ses semaines, de ses années, j'en savais peu, juste qu'il comptait des hectares de pois, de haricots verts, de carottes, et aujourd'hui que transmet‑il de cette vie à ses petits‑enfants ? Rien, cette mémoire tombe dans un trou noir. Et idem pour Vincent. Sa mère vient de partir en préretraite, à 55 ans, elle travaillait à l'hôpital Saint-Victor, où son fils n'a jamais mis les pieds. Elle disparaissait le soir, réapparaissait le matin, ou l'après-midi, pour quelques heures après l'école. Qu'y faisait-elle, là-bas ? Il a fallu attendre le dernier jour, les dernières heures, le pot de départ, pour qu'il l'accompagne dans son service " long séjour ", pour qu'il en rapporte dans sa tête quelques images. C'est ainsi que, sur nos murs, dans nos maisons, les photographies offrent presque une version inversée du réel, comme si on passait notre temps à des repas d'anniversaire, au bord de la plage, alignés en rang devant le Mont Saint-Michel. C'est l'

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