Le cul sur un volcan

« L’Europe doit être toujours plus démocratique », promet José Manuel Barroso. Nous avons l’occasion de le mesurer avec le Grand marché transatlantique…

Publié le 2 juillet 2016

 » Le mardi 18 avril 2014, le comité économique et social européen célébrait ‘la journée de la société civile européenne’, et ses conclusions sont formelles : ‘il faut un socle démocratique à même d’impliquer davantage le citoyen, car jusqu’ici la société civile a été insuffisamment impliquée et de manière non adéquate.’  » Je débattais à Bruxelles fin mars, et Laura – l’animatrice de la soirée – prenait plaisir à citer la littérature eurocrate :  » Est en projet pour 2015 une ‘Convention européenne de la Démocratie Participative’, sachant que 2013 était l’ ‘Année européenne du citoyen’, d’ailleurs reconduite en 2014 par la Commission, et qu’en 2012 était lancée l’ ‘Initiative citoyenne européenne’. «  Je bouillais. «  Quant aux élections du Parlement, poursuivait Laura, elles font l’objet d’une campagne publicitaire, pour inciter au vote  : ‘It’s about Europe, it’s about you’, ‘ta voix compte’, ‘rejoins le débat’.  » Et la modératrice de m’interroger : «  En tant qu’acteur de la société civile, on a envie de s’emparer de l’occasion, de se positionner. Pensez-vous qu’on ait une marge de manœuvre ? « 

Même le traité de Rome !

Comme si nous n’avions pas voté en 2005, en France, ni en Irlande aussi, ni aux Pays-Bas. Comme si le message n’était pas clair, un  » non  » dans les trois pays. Comme si, à Lisbonne, ils ne s’étaient pas assis sur le peuple, lui pétant à la figure.
Voilà que les technocrates se veulent démocrates, désormais. Mais très bien, mais allons-y, mais qu’ils nous fassent revoter, sur le traité qu’ils veulent, celui de Lisbonne (2008), de Maastricht (1992), ou même de Rome (1957), et on verra le résultat ! D’avance, ils connaissent le résultat : les 55 % de  » non  » seront explosés, on atteindrait les 60 %, peut-être 70 %, et ils n’essaient pas, et ils vivent dans cette conscience, latente, inquiète, diffuse, de leur illégitimité.
« L’époque d’une construction européenne qui se faisait avec l’accord tacite des citoyens est révolue, promet  José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. L’Europe ne peut plus se permettre d’être technocratique, bureaucratique ou même diplomatique. L’Europe doit être toujours plus démocratique. »
Il faut entendre une angoisse derrière les promesses.

Initiative populaire

Le lendemain, à Bruxelles toujours, je participais à un colloque écolo :  » Commerce mondial : la démocratie en péril.  »
A la tribune, Bruno Poncelet, auteur de Europe : une biographie non autorisée, y révélait les dessous du Grand marché transatlantique (et m’a adressé 250 pages de doc pour compléter…).
 » Comme vous le savez, il racontait, l’Europe et les Etats-Unis négocient, en ce moment, un accord pour créer ‘la plus grande zone de libre-échange mondial’.  » Mais qui se cache, une fois encore, derrière  » l’Europe et les Etats-Unis «  ? Tous les Européens et tous les Américains ? Une volonté populaire, comme le souhaite Barroso ?
Pas vraiment : en mai 2013, neuf lobbies – Business Europe, AmCham EU, le Transatlantic Policy Network, etc., représentant les plus grosses firmes des deux continents – ces neuf lobbies se sont unis en une seule  » Alliance marchande pour un partenariat de commerce et d’investissement transatlantique « .
Aux côtés des multinationales comme Airbus, BASF, Microsoft, IBM, Pfizer, Total, etc., on trouve des élus : 60 députés européens. Qui ne constituent, certes, que 8 % du Parlement, mais ces membres ne sont pas choisis au hasard, hautement influents : ils président bon nombre de commissions, du Budget, des Affaires étrangères, des Affaires économiques et monétaires, du Marché intérieur, et bien sûr, la commission du Commerce international (avec le socialiste Vital Morera pour maître d’oeuvre).
Ainsi fut démarré ce Grand Marché Transatlantique, une véritable initiative populaire.

48 réponses

Certes, le Peuple a été consulté.
Vous n’avez pas remarqué ?
C’est qu’on le fit discrètement, et non à grand renfort de publicités. Sur cette  » création de la plus grande zone de libre-échange mondial « , avec sans doute, donc, on imagine, quelques menues conséquences sur l’emploi, la santé ou l’environnement, 48 réponses sont parvenues à la Commission entre avril et septembre 2012. Et Bruno Poncelet en détaillait l’origine :
 » 34 de lobbys industriels et financiers, cinq d’entreprises privées, quatre de personnes individuelles (dont une signalant ses liens avec l’ambassade d’Espagne aux Etats-Unis), deux de lobbies citoyens (un Conseil transatlantique pour le bien-être animal, et la Plateforme d’opposition au marché transatlantique, deux pays (la Lettonie et le Danemark), une association d’avocats. «  C’est presque trop large, comme consultation, pour un si petit projet…
Qu’on se rassure : les négociations elles-mêmes se déroulent dans le droit fil de  » cette Europe toujours plus démocratique « , vantée par Barroso. Inès Trépant, conseillère du groupe des Verts au Parlement, était présente à cette journée pour en témoigner : lorsque des bribes d’informations parviennent, à l’occasion, aux députés européens, ils ont l’ordre, l’obligation impérative, de ne pas en parler à l’opinion, c’est-à-dire à leurs électeurs. Ces documents sont confidentiels, afin de ne pas nuire aux intérêts européens.
Mais c’est tous les jours, qu’il faut lui nuire, à cette Europe-là !

Efficacité garantie

En rentrant sur Amiens, je me disais, «  Chiche ! Et si on la commençait maintenant, l’Europe démocratique ? Et si on la soumettait, cette idée géniale, formidable, de Grand marché transatlantique, aux vingt-huit peuples en même temps ? Un référendum continental ! « 
Un auditeur de France Inter, militant socialiste, avait eu la même idée. Et il la proposait en direct, le matin, au ministre des Finances.
 » C’est l’un des fondements de l’Europe, répond Michel Sapin, pas d’aujourd’hui, depuis sa création, d’être un grand marché, qui permet à la fois aux personnes, aux marchandises, aux capitaux de circuler pour être plus efficace. Et l’Europe a très longtemps été plus efficace. Donc c’est l’Europe qui discute avec les Etats-Unis. C’est un processus qui doit nous permettre d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique de pouvoir progresser, de pouvoir nous développer en bonne intelligence. «  Et de conclure, dans son style filandreux :  » Le référendum n’est pas la bonne réponse démocratique à une question comme celle-ci. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir débat. Il doit y avoir débat. Parce que les Français doivent pouvoir comprendre ce qui se passe. Trop souvent et depuis trop longtemps ils ne comprennent plus les enjeux. Ils ne comprennent donc plus les réponses qui sont apportées. Ça aussi, l’efficacité c’est nécessaire, mais l’explication pour être compris, c’est un élément fondamental de notre politique. « 
L’élargissement européen, les accords du GATT puis de l’OMC, la libre circulation des capitaux et des marchandises, la concurrence libre et non faussée, les industries du textile, des jouets, de la métallurgie qui partent en Chine, les multinationales qui installent leurs filiales dans des paradis fiscaux, etc., en digne représentant des classes populaires, au lendemain d’une torgnole électorale, alors que le Front national grimpe en flèche, Michel Sapin n’a qu’un adjectif pour qualifier tout ça :  » efficace « . Et il nous le garantit : avec le Grand Marché transatlantique, on sera encore plus  » efficace « . Ça donne envie…

*
En sommeil
*]

Et cet appel au  » débat  » mais sans  » référendum « , ces  » explications  » pour que l’on  » comprenne  » enfin… voilà l’indice d’une démocratie, non pas  » en péril  » à l’avenir, mais en sommeil, au présent et depuis trente ans. Mais qui pourrait se réveiller tel un volcan. L’oligarchie, avec ses représentants politiques, savent bien qu’ils sont assis dessus, que  » le libre échange  » touche au même degré de popularité que la  » dictature du prolétariat  » à la fin de l’Union soviétique que seule l’apathie leur permet encore d’œuvrer, dans l’ombre, à – comme ils causent –  » jeter l’ancre de l’économie mondiale « …

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