Bonheur incroyable
D’Anne-Marie, par courriel, le 18 mai.

« Tout le monde nage dans un bonheur incroyable. [À la télé] je n’entends que des personnes ravies, au comble du bonheur à l’idée de reprendre le travail, de retrouver les collègues… Dans mon quotidien professionnel et amical, c’est pourtant une autre chanson : le travail fait peur, le travail fait mal, le travail rend malade, le travail fait mourir…
[D’autres, au JT] sont au nirvana de pouvoir enfin se précipiter pour acheter des tee‑shirts : “Vous comprenez, deux mois sans pouvoir acheter, c’est terrible !”
Puis je me reprends un peu et je me dis que c’est pas des gens qu’il faut désespérer, mais de tous ceux‑là qui nous montrent une image bien fausse.
J’en connais pas beaucoup qui se sont précipités dans les magasins de fringues à trois balles, fabriquées par des esclaves modernes en ravageant la planète. […] Aujourd’hui, je garde mes dons pour les organismes d’information qui travaillent hors des sentiers battus : je me dis que c’est peut‑être par là qu’on peut rallumer la petite lumière qui est dans le cœur de chacun d’entre nous : l’entraide et le souci de l’autre. »
Viré mais content
De Quentin, par courriel, le 25 avril.

Lettre à mes anciens employeurs, le 10 avril 2020.
« Merci de m’avoir remercié. En ces temps compliqués, durs, tristes parfois, je tenais à remercier la direction de la “résidence services pour seniors” qui m’a embauché voici trois mois. J’ai été enrôlé afin d’accorder plus d’attention aux personnes âgées, clientes du restaurant. Ce que je pense avoir mené à bien, mais le confinement est passé par là et désormais nous servons en plateau dans les appartements, à toute vitesse. Alors, me voilà remercié pour ne pas avoir été assez “rapide et efficace”. À l’heure où les résidents de ce lieu se retrouvent enfermés chez eux, confinés, ne peuvent plus recevoir leur famille ou qui que ce soit, moi qui distribuais les plateaux‑repas encore hier, qui mettais un point d’honneur à ne pas faire que de l’envoi, à m’enquérir de leur état mental et de santé quand je leur livrais leur repas, me voilà remercié pour ne pas avoir été assez “rapide et efficace”.
Comment peut‑on parler de qualité et de bien‑être ? Cette “qualité” que vous mettez à l’honneur dans tous vos documents protocolaires devrait être remplacée par le terme adéquat : productivité.
Je suis écœuré par ce manque d’humanité qui apparaît crûment sous le vernis craquelé de votre bien‑pensance ‑ votre souci de l’argent. Comment peut‑on prétendre à de l’humanité lorsque seul l’argent compte ?
Il est hors de question que je mette mon humanité au service de votre portefeuille. Merci de m’avoir remercié, je n’aurais pas pu continuer. »
Pas la faute au pangolin
D’Iven, par courriel, le 20 avril.

« À vous qui nous applaudissez à 20h, je vous demande de ne pas vous laisser berner par les faux airs larmoyants de nos dirigeants, par leur fausse empathie et leur hypocrisie manifeste. Posez‑vous les bonnes questions, est‑ce normal qu’on glorifie les dons privés ? Des repas, c’est le ministère de la Santé qui aurait dû penser à nous en apporter. Aucun journaliste n’a critiqué le niveau de cette ligne horizontale que j’ai surlignée (voir photo), or, si nos dirigeants n’avaient pas drastiquement coupé dans le budget de la santé, cette ligne serait beaucoup plus élevée et nous aurions pu soigner beaucoup plus de malades. Il y a trente ans en France, on comptait 11 lits de réanimation pour 100 habitants, seulement 6 en 2019… Si les hôpitaux ont tant souffert, ce n’est pas la faute d’un pangolin, c’est de la faute des gouvernements. Si autant d’individus sont morts, c’est aussi de leur faute. »
Leur vraie folie
De Denis, par courriel, le 15 juin.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt Leur folie, nos vies.
Je vous transmets la définition du mot « folie » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
« S’écarter de la raison, sans le savoir, parce qu’on est privé d’idées, c’est être imbécile ; s’écarter de la raison en le sachant, mais à regret, parce qu’on est esclave d’une passion violente, c’est être faible ; mais s’en écarter avec confiance et dans la persuasion qu’on la suit, voilà ce me semble, ce qu’on appelle être fou. »
S’écarter de la raison avec confiance et dans la persuasion qu’on la suit, n’est-ce pas la parfaite description de l’attitude de nos princes ?
La palme du fayot
C’est la première fois : Philippe, cheminot et guitariste, a tenté de s’auto-attribuer la Palme du Fayot. Il avait des arguments :
« Tout ce qui est écrit sur le chant On est là ! (voir Fakir 92) est absolument vrai. Je vais juste vous donner une information : je suis l’auteur des paroles. J’ai proposé les paroles lors d’une AG à la gare St Lazare, et zou ! ce chant a fait boule de neige ! Voilà, je voulais juste vous dire cela, et m’auto-offrir la Palme du Fayot. »
Eh, dis donc ? Tu prends Fakir pour le paradis auto-gestionnaire ? Y a un jury, pour le Prix de la Lèche, et les jurés aiment être respectés, et même honorés par des offrandes. Tandis que toi, Philippe, tu ne t’abonnes même pas ! Sous prétexte que tu en es à 47 jours de grève…
On a, sinon, apprécié la poésie d’André, de Bayeux, en renouvelant son abonnement…
« Certains boivent du champagne, se goinfrent de caviar
Moi je déguste Montaigne, St Ex, Fakir cet excellent canard
Quand je vais au bistro à l’apéro, c’est un kir
Pour la rime c’est facile :
‘‘À la santé de Fakir !’’ »
Mais les vers sont trop irréguliers : douze pieds, puis quinze, puis treize… Un peu de rigueur dans le lyrisme !
Jean-François, lui, de Picardie, a su agir, malgré les consignes du gouvernement : « Je me dis que votre abonnement à vie va finir par me coûter cher si j’attends encore, car après 72 ans de vie sur terre, combien d’années d’abonnement sont-elles espérées statistiquement ? Mon enveloppe traine, avec son chèque, depuis le début du confinement… Aller la poster, était-ce une sortie de première nécessité ? Bon, à la fin, c’est nous qu’on va gagner ! Je poste l’enveloppe. » Voilà de l’esprit d’initiative, sonnant et trébuchant !