L’exploité du mois : Agnès, exploitée posthume

C’est Marie-Maud, sa fille, qui a contacté Thibault, en plein confinement : « Elle m’a dit qu’Agnès était décédée depuis deux jours. Avec le confinement, on n’a pas pu lui rendre hommage à la hauteur de la personne qu’elle était. »

Publié le 15 juillet 2020

Agnès, d’abord, c’était une élégance, une certaine classe, et puis une voix, grave, prenante, « à la Jeanne Moreau ». Elle avait débarqué dans la Fakirie après une projection parisienne de Merci Patron ! en 2016. Nuit Debout, d’abord, les ventes à la criée, et puis les déplacements avec l’équipe, au Havre, la campagne du rédac’ chef pas encore député à Amiens ou Flixecourt, tractage, prise de parole en AG.
« Elle regardait à gauche, elle cherchait, mais je ne pensais pas qu’elle allait s’engager à ce point, une fois en retraite. Elle attendait de trouver le bon groupe, qui répondrait à son éthique sans compromission, à son sens du partage, et où elle serait libre. Et elle était très, très, très bien à Fakir. » Marie‑Maud, au bout du fil, traîne quelques sanglots dans la gorge, mais on la sent soulagée, presque : sa mère aura vécu, jusqu’au bout, ses convictions. Qui viennent de loin, de l’enfance « pas facile ». Elle raconte ça avec Antoine, son frère. « Après le suicide de son père quand elle était toute jeune, à 7 ans, Agnès avait été élevée par sa grand‑ mère, venue vivre à la maison. Notre arrière‑grand‑mère, née en 1885, était socialiste, c’était fort pour une femme de l’époque. Ça avait beaucoup marqué notre mère. Elle avait aussi gardé un très fort souvenir de Mai 68, elle avait juste 20 ans… Plus tard, elle avait été déléguée du personnel, se battait comme une acharnée contre la souffrance au travail. Quand elle voyait un contrôle au faciès, elle s’approchait, prévenait les policiers qu’elle les regardait. Elle allait distribuer ses fringues aux réfugiés, alors qu’elle était pas riche. On en a encore retrouvé dans son coffre. Elle faisait ça avec ses tripes. » Avant ça, elle avait été kiné, une certaine idée là encore, auprès des enfants polyhandicapés et des personnes âgées.

Retraitée – elle allait avoir 72 ans, elle les faisait pas – elle nous avait rejoints, donc. « Agnès, elle se mettait dans un coin, toujours, discrète, regardant la jeunesse de sous sa chevelure blanche, elle, comme un ange‑gardien du troisième âge, une présence rassurante, avec un brin de malice, d’ironie dans le regard », illustre le rédac’ chef. Discrète, oui, mais sacrément « punchy et rentre‑dedans » quand il fallait aller au charbon, rappelle son fils. Pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. C’était ça, Agnès : une foule de contrastes. « Elle pouvait porter un foulard Hermès mais ce milieu‑là ne lui plaisait pas, décrit Marie‑Maud. Elle ne voulait pas échapper à la réalité. Elle passait son temps dans les vide‑greniers et connaissait tous les gens du café, du garage, et les clodos à côté de chez elle ! »

Gwen, un de ses grands potes à Fakir, avait tiqué quand elle lui avait posé la question, à l’automne dernier : « Eh, je te vois avec ta cigarette électronique, ça a marché pour toi ? » C’est qu’elle fumait, Agnès, et pas qu’un peu. On ne sait pas si c’est lié, mais elle était hospitalisée depuis quelques mois. Peu de monde le savait, parmi nous, comme une dernière grâce de sa part. Marie‑Maud : « Avant de mourir, elle a dit qu’elle avait des messages à faire passer. Que François Ruffin était l’homme politique de sa vie ! Qu’il fallait que Gwen, Thibault, que tous vous continuiez, ne lâchiez pas… » Thibault conclut : « Aujourd’hui, Agnès, elle doit savoir si à la fin, c’est nous qu’on va gagner. En tout cas, si on y parvient, elle y sera pour quelque chose. »

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