Les petites mains : des livres et nous !

Un seul bouquin lui manque, et son monde est dépeuplé, au patron. À croire qu’il préfère les livres aux humains…

Publié le 15 juillet 2020

« Quelqu’un a vu mon bouquin de Vuillard sur le 14 juillet ? », s’inquiète le boss sur nos messageries.
On ne sait pas, hésite, on cherche. Pas évident, faut dire : les livres, il les paume aussi vite qu’il les lit, Ruffin. Fakir ‑ Paris ‑ chez lui : un vrai triangle des Bermudes pour belles lettres.
« Alors, du nouveau pour mon bouquin ? », il insiste.
Le problème, c’est que Joseph est parti. À Fakir, sa mission, c’était ça, notamment : classer la bibliothèque.
Par thèmes, par auteurs, par nombre de pages, toutes les entrées possibles, à écarter, inverser, changer de place, retrouver. Y avait un côté Sisyphe, dans son entreprise. Chaque lundi matin, on retrouvait de nouvelles piles par terre, immenses, dans les bureaux du haut, qui allaient irrémédiablement intégrer les étagères, piles bientôt remplacées, la semaine suivante, par de nouvelles, et ainsi de suite… Deux ans, ça a duré.

« Mais pourquoi il est parti, Joseph, au fait ?, il s’étonne soudain.
— Ben tu sais bien, il se marie, du coup il va vivre à l’étranger.
— C’est sûr, si on doit se marier avant de faire la révolution, maintenant… »
il grommelle tout bas.
Et puis, après une courte réflexion, le naturel reprend le dessus, en envolée lyrique.
« On a besoin des livres, vous comprenez, besoin ! Sinon, on barbotte dans quoi ? Dans la merdouille politicarde à la noix ? Dans la nullité de l’Assemblée ? Nos racines, ce sont les gens, le réel, mais bien souvent désespérant. Lire, c’est notre survie, c’est tendre les bras vers le ciel ! Vous croyez quoi ? Que changer le monde, c’est juste multiplier les followers, et brailler dans la rue le dernier slogan repéré sur twitter ? Il faut garder le souffler, comme dans un marathon, l’inspiration, et notre oxygène, c’est Jaurès, Hugo, Vallès… Il faut les garder près de nous comme des frères.
— Dors dans ta bibliothèque…
— Très spirituel, ça ! Ce que je vois, c’est que comme par hasard, ce sont mes exemplaires annotés qui disparaissent !
Alors, je repose la question, plus directement : le 14 juillet, qui me l’a piqué ? Et le tome 1 de l’histoire socialiste de la Révolution ? Et ma BD de Grouazel et Locard ? Elle a disparu toute seule ? Va falloir qu’on monte une brigade d’intervention à vos domiciles ? Que je trouve encore des bénévoles pour venir surveiller vos étagères ? »

Il s’est levé, a quitté la table, fâché.
Fabien en a profité pour jeter un lourd album sur la table. « J’ai pas retrouvé le 14 juillet, mais je suis tombé là‑dessus. On en parle ? » On n’allait pas se gêner : le catalogue 2020 des jacuzzis d’intérieur !

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