La guerre de la 5G aura-t-elle lieu ?

La 5G, et l’iPhone 11. Voilà pour eux, pour Bruxelles, pour Macron, voilà pour eux le progrès… C’est le symptôme d’un vide. D’un vide politique. D’un vide d’espérance. D’une classe dirigeante sans horizon.

Publié le 15 juillet 2020

[sommaire]
« Pour que l’Union européenne continue de faire la course en tête, j’ai lancé sans attendre une initiative afin d’accompagner et d’accélérer nos efforts de recherche en Europe sur la 6G. » (Le Monde, 29/01/2020). A peine nommé commissaire européen, au Marché intérieur, quelle est donc la priorité de Thierry Breton, l’ancien patron de France Télécom ? L’Europe sociale ? L’harmonisation fiscale ? Non, ça, on l’attend depuis trente ans, ça peut encore attendre. Quelle est sa priorité, pour nos peuples, pour notre avenir, quelle est son urgence ?
La 6 G ! La 5 G n’est pas encore arrivée, 40 % du territoire Française ne dispose pas de la 4 G, Bussus-Bussuel (code postal 80 135, dans la Somme) et des centaines de communes en sont toujours à la 0 G, mais nos têtes pensantes, à Bruxelles, elles, nous préparent déjà la 6 G.
Et pourquoi ? Pour « accélérer », pour « faire la course en tête ».
Mais faire la course vers où ? La course vers la folie !
Et à quoi serviront ces milliards, dizaines de milliards, d’investissements ? A multiplier « les objets connectés ». La veste connectée pour cheval (qui contrôle les pulsations cardiaques). Les baskets Nike connectées (auto-laçantes). La fourchette connectée (qui envoie une vibration si on mange trop vite). La montre connectée qui décompte notre temps de vie. Le décapsuleur connecté (qui, lorsqu’on ouvre une bière, envoie une notification à nos amis).
Quand, comme seul horizon, comme cap, pour notre continent, avec notre histoire, avec nos sentiments, les technocrates de Bruxelles n’ont que la 6 G à offrir, c’est le symptôme d’un vide. D’un vide politique. D’un vide d’espérance.

Mais à Paris, également. Des grandes foires de la « French Tech » aux « Tech for Good », Emmanuel Macron qui « digitalise » les services publics, met des tablettes dans les écoles, oriente les élèves avec les algorithmes de Parcours Sup… « L’intelligence artificielle va disrupter tous les modèles économiques, prophétise-t-il, et je veux que nous en fassions partie. Je veux que nous ayons des champions de l’intelligence artificielle ici en France, et attirer les champions du monde entier ».
Mais des champions pour faire quoi ?
La technique, soit, mais au service de quelle humanité ? Au service de quel projet ? La question n’est jamais posée : car la technique, en elle-même, c’est leur proooooooojet.
A l’Assemblée, une semaine sur deux, le numérique et les start-ups sont au programme de ma commission des Affaires économiques : « Quelles sont vos ambitions pour la 5G et quel est l’horizon de déploiement de cette technologie très attendue par nos citoyens et nos entreprises ? » On a longtemps attendu le retour du Christ, ou Godot, mais voici notre grande « attente », notre nouvelle Espérance, d’après mes collègues députés : la 5 G. Et le secrétaire d’État nous la vante comme le Messie : « Le financement de la 5G sur 100 % du territoire est un enjeu majeur de compétitivité face aux autres continents… La Commission a alerté les États membres : ils doivent tous s’engager dans cette démarche afin de faire de l’Europe un champion mondial des réseaux 5G… Si la France et l’Europe parviennent à équiper leurs territoires et à atteindre un bon niveau en 5G, ce sera pour notre continent un atout de compétitivité énorme… La société du gigabit sera atteinte avec la fibre optique et un réseau 5G performant sur l’ensemble du territoire… Cela nous donnera un sacré temps d’avance ou, en tout cas, nous enlèvera un sacré temps de retard sur beaucoup de pays… Il faut que nos Jeux Olympiques soient également exemplaires dans le domaine de la 5G en 2024… » Un collègue centriste a rebondi : « Je devrais peut-être aussi vous remercier de nous faire rêver en parlant de 5G… »

Mais qui cette « 5G », et son cortège de « compétitivité », de « champion mondial des réseaux », de « société du gigabit », de « temps d’avance » et « temps de retard », qui cette 5G fait-elle encore rêver?
Comme l’écrit Dominique Bourg: « On comprendra aisément que l’adduction d’eau, l’électricité, le chauffage central, l’accroissement des surfaces d’habitation, les machines à laver le linge et la vaisselle, la chaîne du froid, une forme de mobilité aient débouché sur une augmentation réelle et tangible de notre bien-être. Mais ces améliorations fondamentales et qualitatives ne peuvent avoir lieu qu’une fois. La simple accumulation indifférenciée de biens matériels ne saurait suffire à elle seule à augmenter notre sentiment de bien-être. »
Ce n’est plus ça, le « progrès », ni la 5G ni bientôt les « frigos connectés ». Et sans avoir lu Dominique Bourg, les gens le sentent, éprouvent cette usure.
Les gens, oui.
Mais pas nos dirigeants.
Ou ils font semblant.
Ils continuent comme avant.

C’est la solution de facilité, pour eux : « Au lieu de réguler l’industrie alimentaire pour qu’elle produise de la nourriture saine, nous offrons aux gens des fourchettes intelligentes », ironise le chercheur américain Evgeny Morozov. Qui nomme cela le « solutionnisme » : « Refondre toutes les solutions sociales complexes en problèmes précis ou en un processus transparent optimisable avec des algorithmes adéquats ». On veut limiter le transport aérien, par des lois, par de la politique ? La majorité En Marche ! répond par de la technique : « Ce secteur s’est lui aussi lancé dans les innovations technologiques : biokérosène, biocarburants… N’oublions pas Solar Impulse, qui a parcouru 40 000 kilomètres sans carburant en volant jour et nuit ! C’est un exploit ! Ayons confiance en la science. »
Dans les années 60, Jacques Ellul écrivait : « L’homme ne pouvant vivre sans sacré, il reporte son sens du sacré sur ce qui a désacralisé la nature : la technique. Dans le monde où nous sommes, c’est la technique qui est devenue le mystère essentiel. On « croit » en elle, parce qu’au moins ses miracles sont visibles et en progression. »
Ce temps, me semble-t-il, est révolu. Le sacré revient dans la nature. La technique inquiète, ou lasse, plus qu’elle n’enthousiasme. Jules Verne appartient au passé. Le mythe de Prométhée s’est inversé…

La Convention citoyenne sur le climat en témoigne : « Instaurer un moratoire sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de l’évaluation de la 5G sur la santé et le climat ». C’est l’une des 150 conclusions des 150 Français réunis, une proposition adoptée à 98 %. Une technologie « sans réelle utilité », ont-ils même osé.
Aussitôt, dans les ministères, c’est le branle-bas de combat : va-t-on appliquer cette recommandation « sans filtre », comme le promettait le président ? Bloquer la 5G ? Dans la foulée, Élisabeth Borne, à l’Écologie, et Olivier Véran, à la Santé, se fendent d’un courrier au Premier ministre pour lui demander « d’attendre l’évaluation de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) avant le déploiement de la 5G ». On peut se douter que « l’évaluation » de l’Anses, déjà peu pointilleuse, ne sera pas trop sévère avec les ondes. Mais le délai permettra au moins d’endormir un peu les passions. De gagner du temps.
Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’État à l’industrie, elle, bondit : « Faisons attention à ne pas prendre du retard et à ne pas se retrouver dans la situation qu’on a déjà vécue plusieurs fois en France où on veut être plus intelligents que tout le monde et à la fin on est plutôt en retard sur le reste de la compétition… » Mais comme cet appel à « donner aux entreprises de la compétitivité additionnelle » ne fait pas franchement tripper, elle ose : « La 5G, ça a été un élément assez important de la Chine pour lutter contre le Covid. » La 5G, c’est bon pour la santé !


La bataille de la 5G aura-t-elle lieu ?
Il semble bien.
Même parmi les dirigeants, on ne fait plus bloc, des failles apparaissent. En mai, des députés Les Républicains ont demandé une « commission d’enquête sur le déploiement de la 5G », pointant « l’absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels dans les bandes de fréquences considérées ».
Et même Bouygues, Martin Bouygues, opérateur historique du sans fil, s’interroge : « Loin d’être mature », la 5G « suscite plus de méfiance et de scepticisme que d’engouement et d’enthousiasme ». Et le grand patron estime qu’ « escamoter le débat public serait une grave erreur ». Il enjoint du coup le gouvernement à « repousser de quelques mois supplémentaires l’attribution des fréquences 5G ». Des enchères prévues en septembre, pour un lancement du programme en décembre.

La bataille, démocratique, de la 5G doit avoir lieu.
Pas seulement en maniant la peur, l’inquiétude pour la santé, pour l’environnement. Mais plus profondément, en porteur d’espérance : est-ce là notre priorité ? Le sens du progrès ?
Voilà qui me ramène à notre entretien, il y a quelques années, avec Jean Birnbaum, auteur de Un Silence religieux :


Fakir : Je partirais d’un truc tout bête : la sortie de l’iPhone 7. « Il arrive », j’ai entendu à la radio. Tous les médias en frémissaient. C’était comme la descente du Saint-Esprit sur les apôtres au moment de la Pentecôte… « C’est ça, je me suis dit, notre nouvelle espérance ? »

Jean Birnbaum : C’est l’horizon qui est vendu aux jeunes, en tout cas, dans les pubs, sur Internet, à longueur de télé. Mais si tu ne veux pas te laisser écraser par tout ça, étouffer par l’argent, les gadgets, la consommation, il faut autre chose.
« Autre chose », ça me rappelle une anecdote. Y avait un journal, révolutionnaire, dans les années 90, qui s’appelait justement Autre chose. Les contributeurs devaient voter pour trouver le titre, y avait toute une série de noms, L’Avant-garde, etc., et les gens cochaient tous la dernière case : « autre chose », parce qu’aucun nom ne leur plaisait. Et donc le plus de voix, c’était « autre chose ». « Bah, pourquoi on ne choisirait pas Autre chose ? » ils ont conclu. Il me semble que c’était un super titre. Si tu n’arrives pas à imposer un autre horizon que l’argent, un « autre chose »

Je suis convaincu de cela : que dans Nuit debout, que chez les Gilets jaunes, que dans les Jeunes pour le Climat, que chez les BlackLivesMatters, que tous les mouvements récents sont hantés par ça, par ce désir d’« autre chose ». Par l’horizon étroit, désespérant, qui nous est offert. Par un au-delà de l’iPhone 11 et de la 6 G…
Autre chose, un autre « progrès » : non plus technique, pour demain, mais humain, dans les liens et non plus dans les biens…
La 5G, c’est un choix de civilisation : la continuation, ou une bifurcation.
La « compétitivité additionnelle » comme Graal, ou « autre chose ».
Il nous faut maintenant plus qu’un « moratoire » : une victoire. Un « stop ».


Les grands prêtres de l’iPhone

Critiquer, à peine, le smartphone, c’est plus qu’une atteinte à l’économie reine, pour les médias : c’est un blasphème.

« Changer de portable tous les six mois ou deux ans, comme nous y incitent tous les trucs de leasing d’Apple et compagnie, ça ne va pas. D’autant qu’un petit machin comme ça, c’est 70 kilos de matières premières, avec des métaux très rares, en France deux millions de tonnes de déchets par an, et un vaste non-recyclage. »
Le 21 novembre dernier, au petit matin, j’étais face à Jean-Jacques Bourdin, sur BFM.
Et je commettais un blasphème en direct, je touchais au veau d’or…
Dans la foulée, en effet, dès 11h59, BFM réagissait sur son site.
Raphaël Grably, journaliste « chef du service BFM Tech », montait au créneau, sous couvert de « fact-checking » (c’est le truc à la mode…) :

« François Ruffin est en colère contre Apple et Samsung. Le député de la Somme a vivement critiqué les deux entreprises, qui poussent selon lui les Français à la consommation. […] François Ruffin commet une erreur en évoquant une absence de recyclage des smartphones. De leur côté, Apple comme Samsung proposent des offres de reprise pour l’intégralité de leurs mobiles, afin que ces derniers soient recyclés. ‘‘Nous gérons 500 000 téléphones par an, en impliquant les acteurs de l’économie sociale pour donner une seconde vie aux smartphones ou à défaut les recycler dans le respect des normes environnementales’’, explique Guillaume Duparay, directeur de la collecte chez ecosystem, à BFM Tech. Parallèlement plus de deux millions de smartphones reconditionnés (notamment vendus par Apple) ont été vendus en France en 2018, alors que 22 millions d’appareils neufs ont été écoulés sur la même période dans l’Hexagone. »

Sur Twitter, Raphaël Grably se faisait plus enragé, plus engagé : « Ce que dit Ruffin est totalement faux. Ce n’est pas à Apple qu’il faut s’attaquer en priorité : Apple propose le recyclage de tous les iPhone, les cycles de vie des mobiles sont en train de s’allonger. Et tout cela est très normé, comme dans le bio ».
Ses suiveurs acquiesçaient : « polémique à tout prix », « logique communiste », « démagogie », « désinformation », « huile sur le feu »

On en viendra au « fact-checking » de leur « fact-checking » (voir encadré).
Mais avant cela, et au-delà, l’au-delà justement :
Avec Apple et son i-Phone, il ne s’agit plus d’un objet : c’est une religion, la religion moderne. « Les nouveaux horizons », titre ainsi Le Monde. Et oui, c’est bien l’horizon qui nous est offert : « i-Phone 11 : il arrive ! », entendait-on l’automne dernier sur radios et télés, « il arrive ! », comme on attendait jadis le retour du Messie, ou le grand soir. « Il arrive ! » C’est la célébration, bien sûr, du capitalisme technophile. Mais c’est le témoignage, aussi, d’un vide, d’un immense vide à l’âme : ils n’ont donc que ça, que cette chose, que cette pauvre chose, à nous vanter en guise de progrès, la 5G et le nouvel i-Phone ? Voilà le sens de leur histoire. Que proposent-ils, sinon ? Plus de rêve, plus d’espérance, plus de République, plus d’Égalité, plus de Justice, c’est le néant des temps présents. L’iPhone, c’est leur valeur refuge. C’est la feuille de vigne qui masque leur nudité, leur nullité.
Alors, Raphaël Grably et ses collègues célèbrent-ils l’iPhone par intérêt ? Parce qu’Apple est un annonceur ? Parce qu’on ne mord pas la main qui vous nourrit ? Je ne crois pas, même pas, malheureusement pas. On est au-delà, toujours. Ils sont sincères. Ils sont fascinés. Ils se sentent associés à cette aventure humaine, contemporaine, le nouvel iPhone, symptôme d’une époque tellement creuse, et ils en tirent une fierté. Ils sont invités, à coup sûr, aux grand-messes qui préparent l’Événement. Peut-être ont-ils même, la gloire, un selfie avec Steve Jobs. De cette religion, ils sont les gardiens du temple, récitant les prières, chassant les impies.

D’ailleurs, Apple ne dépense « que » deux milliards d’euros en publicité – contre quatre fois plus, neuf milliards, pour Samsung. Pourquoi ? Parce que les journalistes assurent une publicité gratuite, « communication » sous couvert d’ « information » : « Comment passer d’un mobile Android à un iPhone ? », « Quels sont les jeux et applis les plus téléchargés sur iPhone ? », « L’iPhone va-t-il passer au stylet ? Apple lève le voile ce soir sur son nouveau téléphone. Pour la première fois de son histoire, l’iPhone pourrait se piloter non plus seulement avec les doigts mais aussi avec un petit crayon », etc. Les grands prêtres du produit nous évangélisent, plongent les ouailles dans la « culture geek » (BFM). C’est un paradis merveilleux que nous dessinent ces « chroniques high tech », rien que dans leurs noms : « Nouveau Monde » (France Info), « On n’arrête pas le progrès » (RTL), « Net plus ultra » (France Inter)…

Ce culte appartient à notre paysage médiatique, à tel point qu’on ne le remarque plus, comme une toile de fond.
Entre janvier et novembre 2019, Le Monde a cité 336 fois le mot Apple dans ses colonnes*, une fois par jour, en moyenne. Et 69 fois le mot iPhone.
Le Figaro ? 527 « Apple », 186 « iPhone ».
Les Échos ? 608 « Apple », 166 « iPhone ».
Le Parisien ? 239 « Apple », 107 « iPhone », etc.
Quand, dans Le Monde, par exemple, les « auxiliaires de vie » n’apparaissent que 11 fois, les « accidents du travail » 16 fois, les « fermetures d’usine » 11 fois. Et même un terme d’actualité, comme le « Ceta », le traité avec le Canada, fait moins bien qu’Apple : 66 fois.
C’est une propagande tranquille.
Les smartphones ont tout envahi, désormais, dans la presse. Les pages économie. Les pages politique. Les pages culture. Les pages high tech. Et bientôt les pages écologie : les nouvelles montres Apple vont utiliser « 100 % d’aluminium recyclé » ? Une page. Les derniers iPhones qui contiennent « 35 % de plastique recyclé » ? Une chronique dédiée, malgré l’évident greenwashing. Avec moult superlatifs, toujours : un « vecteur » d’« applications élégantes » et « sophistiquées », de « raffinements technologiques », de « photos impressionnantes », de « résultat superbe, avec des lignes de fuite qui se concentrent sur le centre de l’image et une légère distorsion sur les côtés, transformant un cliché banal en photo artistique »


Ça m’a fait bizarre. Je me suis retrouvé avec, entre les mains, un papier écrit pour Casseurs de pub / La Décroissance il y a quinze ans maintenant. C’était un copié-collé, quasiment, de mon papier d’aujourd’hui. Le sentiment de radoter :


« En l’an 2000, le Figaro annonçait la naissance du dernier-né des téléphones portables comme une heureuse nouvelle. Le Wap sera « un Minitel de poche » qui « vous met le web à l’oreille » (30/6/2000), dont « les services vont se multiplier » dans un « grand big-bang de la convergence ». Bref, ce téléphone est un « eldorado prometteur » (20/5/2000). Le Monde, de son côté, félicitait les heureux parents, ces « grands des Télécoms qui inventent l’Homo mobilus », tant le mobile est devenu « un outil indispensable à l’homme moderne ». Le reporter de TF1, lui, prévenait tous les ringards : « Difficile de rester branché cette année sans avoir un téléphone Wap qui permet de se connecter sur Internet » (22/10/2000). A tel point que, en Grande-Bretagne, un chroniqueur du Guardian ironisait : « A lire la presse, on va finir par croire que le Wap peut servir à tout, y compris à guérir du cancer… »
Malgré toutes ces bonnes volontés médiatiques, le fœtus sans fil allait avorter. Fin 2000, le « grand Big-bang » se muait en gros bide et Le Parisien titrait sur « le flop du téléphone Wap ».

J’écrivais encore :


« Le plus souvent, le journaliste sert l’ordre marchant en toute bonne inconscience, par amour de la Technique, pour ne pas être « en retard ». C’est devenu une habitude, pour les médias, de s’adresser moins à des citoyens qu’à des consommateurs. […] Comme si, le communisme naufragé, il n’existait plus, pour les dominés du Nord, d’autres utopie que l’accumulation indéfinies de babioles. Comme si l’on devait croire que la seule transformation du monde possible, souhaitable, le seul « vrai changement » (France Inter, 10/11/2004) réside dans un machin à consulter de loin les prévisions météo qui nous apportera le « confort »…
[…] Ce trou que les journalistes ont à l’âme, un vide d’espérance, immense, en l’homme, en l’histoire, en l’avenir, ils le projettent en chacun de nous, masse de clients soucieux de frimer à moindre coût avec les derniers produits en vogue. Malgré les efforts de ces conglomérats des télécommunications, industriels et médias confondus, et qui souvent se confondent, il faut faire le pari inverse : que l’espérance n’est pas morte, en chacun de nous. »

Mais je vois une différence énorme, néanmoins, à quinze années d’écart : nous sommes moins seuls. Certes, les queues infinies devant les AppleStores signalent une dépendance, nous sommes accros au portable. Et pourtant, l’enthousiasme technophile a vécu. Les 148 Français qui, sur 150, à 98 %, ont réclamé un moratoire sur la 5 G marquent un bouleversement.

Info ou Intox ? « Apple propose le recyclage de tous les iPhone »

Faux.
Selon Commown (une coopérative pour une électronique plus responsable) : « Le recyclage des smartphones aujourd’hui est inopérant. » Et de citer la très sérieuse Ademe, l’Agence pour le développement et la maîtrise de l’énergie : « Seuls 15 % des téléphones en fin de vie sont collectés pour être recyclés. » On l’entend peu, cela.
On voit plutôt « Daisy, le robot d’Apple qui désosse 200 iPhone à l’heure » (BFM), « Voici comment Apple compte fabriquer des iPhone 100 % recyclés », « Apple veut devenir un fabricant en boucle fermée »
Deux machines de désassemblage sont installées, l’une aux États-Unis, l’autre aux Pays-Bas. Qui ont traité, au total, l’an dernier, un million d’appareils… contre 209 millions produits ! Soit 0,5 %, environ, des iPhone !
Et les métaux rares, l’indium, le gallium, le germanium, sont eux recyclés à moins de 1 %…
On pourrait citer, encore, plein de rapports, des Amis de la Terre, comme quoi Apple « utilise des vis propriétaires » et « colle dorénavant ses composants internes », empêchant la réparation, comme quoi « Apple change régulièrement de connectiques (chargeurs, enceintes) pour ses nouvelles gammes », rendant les anciens obsolètes. Comme quoi « Apple reste l’une des dernières marques à ne pas avoir adopté le chargeur universel », etc.
On pourrait citer, à nouveau, l’Ademe : « Les Français changent en moyenne de téléphone tous les deux ans alors que, dans 88 % des cas, leur téléphone portable fonctionne encore »
On pourrait citer, aussi, l’Unicef : pour extraire le cobalt ou le tantale, qui proviennent à 80 % de la République démocratique du Congo, « 40 000 enfants travaillent dans les zones minières ».
On pourrait citer Cash Investigation. En Chine, Dja-Dja témoignait : « J’ai 13 ans. Je travaille 13 heures par jour à l’usine. On produit des écrans et moi je les nettoie. Je dois en nettoyer cent par heure. »
On pourrait ajouter que les smartphones nous arrivent par porte-conteneurs et par avion, que 90 % de leur empreinte écologique est concentrée dans la fabrication et le transport, que ces produits parcourent l’équivalent de quatre fois le tour de la Terre avant d’arriver dans nos rayons.
On pourrait rappeler que cette empreinte écologique augmente d’année en année.

Mais les docteurs Pangloss des médias répèteraient sans doute que grâce à Apple, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible… (Merci Joseph pour la doc !)


Les réseaux de la colère

La 5G : un monde nouveau, sans fil, sans délais. Et sans débat démocratique. Mais avec de sérieuses craintes sur la santé, l’environnement, la consommation énergétique…

« Oui, nous allons lancer les enchères de la 5G. Oui, nous avons pris nos responsabilités sanitaires, environnementales. » Ah bon ? Et les risques sanitaires, environnementaux, justement, évoqués par la CCC ? « Cette évaluation environnementale et sanitaire, nous l’avons, nous la faisons. »
Dans l’Hémicycle, Agnès Pannier-Runacher le jurait : tout va bien rayon 5G, les études on les a, y a pas de risques, pas de soucis, ne vous inquiétez pas et dormez tranquilles.
La secrétaire d’État à l’Industrie répondait, ou plutôt écartait, une question du député rédac’ chef : les enchères pour les fréquences de la 5G, prévues en septembre prochain, seraient bien annulées, n’est-ce pas ?

C’est que, jusque là, aucune étude sanitaire, environnementale ou énergétique sur le sujet n’était parue. Même l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui regrettait quelques jours plus tôt de ne pas avoir assez de données pour se prononcer sur le sujet, ne rendra ses premières conclusions qu’à la fin du printemps 2021.
Mais pas d’inquiétude : Agnès Pannier-Runacher, elle, les avait, ces données.

Bon.
C’est pas qu’on ne lui faisait pas confiance, mais tout de même, une question simple : cette « évaluation environnementale et sanitaire » dont jure disposer la secrétaire d’État, où est-elle ? Dans quel placard s’est-elle perdue ? Pourquoi n’est-elle pas rendue publique ?

On le sait, de fait, les études, il n’y en a pas. Pas encore, en tout cas.
Ils le savent, mais l’enjeu, pour eux, est ailleurs.
Pas de débat possible : la 5G doit passer, coûte que coûte, et aussi vite que possible.
C’est que l’étau se resserre.
Ils le savent, ils le sentent, de plus en plus clairement : cette technologie et son monde, toujours plus, plus vite, plus loin, les Français n’en veulent pas. Ou souhaitent, a minima, en débattre.
Alors, contre le scepticisme qui monte, il faut appuyer sur l’accélérateur. Passer en force. Et tant pis pour la démocratie, elle n’est plus à ça près, la démocratie.

Sur la 5G, il n’y a, au mieux, que des opinions. Ou alors des extrapolations, tirées du recul qu’on commence à avoir sur la 3G et la 4G, ses grandes (et petites) sœurs. Et ce n’est pas encourageant…

***

« Tiens, cadeau du boss. »
Sylvain entre dans le bureau, me balance un lourd dossier noir sur la table.
« La 5G ?
– Ouais, c’est Damien Carême, l’eurodéputé écolo, qui a remis ça à Ruffin y a deux jours, il s’est dit que ça t’intéresserait… »

Je dépiaute : des rapports d’auditions ou de témoignages, des comptes-rendus d’études scientifiques menés à Bruxelles, par le Parlement européen.
Le « Comité scientifique sur la santé, l’environnement et les risques émergents » a rendu un rapport, en décembre 2018, sur les nouveaux problèmes en santé et environnement.
Dès la page 14, il y est noté qu’alors que « la controverse se poursuit sur les nuisances des actuelles technologies sans fil 2, 3 et 4G, les effets sur l’homme et l’environnement des technologies 5G sont encore moins étudiés que les précédentes ». D’où un léger souci : « les problèmes de santé et de sécurité restent inconnus ». Puis, plus loin : « Le manque de preuves claires sur le développement de l’exposition à la technologie 5G ouvre la possibilité de conséquences biologiques imprévues. »
Rien que ça…

Les études indépendantes, en effet, dans leur quasi-totalité, ont détecté sur les organismes vivants, plantes, insectes et animaux, des effets néfastes.
Martin Pall, professeur émérite en biochimie à l’université de Washington, spécialiste des ondes électromagnétiques à basse fréquence : « Le problème de ces ondes pulsées, c’est qu’elles sont sur le plan biologique beaucoup plus actives que les ondes continues classiques. Et que la 5G impliquera beaucoup plus d’ondes pulsées que les réseaux actuels, car c’est le seul moyen de transporter autant d’informations qu’ils prévoient de le faire. L’industrie affirme que les champs électromagnétiques sont limités aux premiers centimètres du corps ? Mais on sait aujourd’hui que c’est faux ! Les études montrent qu’il y a des effets profonds sur le cerveau, le cœur et les systèmes hormonaux… Même les fœtus chez les vaches sont touchés. »
Martin Pall a mis en lumière une dizaine d’effets secondaires des ondes sur les organismes vivants, dont une baisse de la fertilité, un stress oxydatif, des cancers, des atteintes à l’ADN et des effets neurologiques pouvant aller jusqu’à la maladie d’Alzheimer – on s’arrête là, mais la liste est longue. Le 1er octobre dernier, il était à la tribune, à Bruxelles, reçu par une délégation de parlementaires européens inquiets du tour que prennent les choses. Et il ne se montrait guère rassurant. « La 5G nécessite des ondes particulièrement puissantes, qui vont produire une pénétration accrue des champs électromagnétiques. Car leur idée, c’est d’utiliser beaucoup plus d’antennes qu’avant, pour mieux tout couvrir et tout pénétrer, les murs par exemple. Bref, les fonctionnaires de la Commission sont prêts à installer des dizaines de millions d’antennes 5G qui vont affecter tout le monde dans l’Union, et ce sans un seul véritable test biologique, alors qu’on pourrait l’effectuer rapidement, et à bas coût ! Enfin, pour ça, il faudrait une volonté politique… »


Voilà pour les études indépendantes.
Mais du coup, l’Union Européenne préfère se baser, pour guider sa réflexion et ses investissements, sur les tests de l’industrie elle-même. Qui concluent soit à l’innocuité des ondes, soit qu’on ne peut rien prouver, qu’on ne sait pas trop, que tout est relatif, et inversement.
Des études qui étaient déjà bidonnées pour les portables : les industriels testent les téléphones à quelques centimètres de l’oreille, comme si l’utilisateur ne collait pas l’appareil à son tympan… Et bonne surprise, alors : les normes sont respectées. Mais dès qu’on rapproche le téléphone, les normes explosent.
Mais qu’importe : pour leurs contrôles, les autorités sanitaires ont suivi à la lettre les recommandations des industriels, telles L’Afsse (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail).
La vérité a peiné à se faire jour : « Suite à des tests réalisés par l’Agence nationale des fréquences (ANFR) sur plusieurs centaines de téléphones portables entre 2012 et 2016, on sait que les débits d’absorption spécifique de ces téléphones sont bien supérieurs aux limites réglementaires, parfois quatre fois au-dessus des seuils autorisés, pour 89 % d’entre eux », explique Marc Arazi, un Français, physicien et président de l’ONG Phone Gate Alert. En d’autres termes, ils sont nocifs. Qu’on se rassure : aucun de ces modèles n’a fait l’objet d’un rappel de la part des fabricants. L’affaire a même mis des mois à être rendue publique.
« C’est une tromperie généralisée, avérée, des consommateurs, une tromperie qui génère depuis plus de vingt ans une surexposition de centaines de millions d’utilisateurs », poursuit Marc Arazi. Et les « normes » sont fixées à des niveaux de tolérance tellement élevés… « C’est un peu comme si je vous disais qu’il faut éviter de rouler à 800 km/h sur l’autoroute : on sera toujours en-dessous de la norme », image Etienne Cendrier, fondateur de l’association Robin des Toits.
Inutile en tout cas d’espérer aller plus loin, sur ce terrain : la loi sur le secret des Affaires, en France, et la directive 2014/53/UE article 5, au niveau européen, garantissent à peu près la même chose aux industriels : confidentialité totale sur leurs produits. Même les tests de l’ANFR durent être arrachés du placard par les associations, au bout de trois ans de bataille judiciaire.
Et encore, tout n’a pas encore été publié. Circulez, parce qu’il y a trop à voir…

En revanche, quand les structures indépendantes se penchent sur la question, elles tranchent. Le National Toxicology Program, sans lien avec l’industrie, coordonne depuis dix les travaux en toxicologie de plusieurs agences d’État aux États-Unis. Elle estime qu’il existe des « preuves évidentes » de l’apparition de tumeurs et cancers chez les rats soumis aux ondes. Des observations qui recoupent celles de l’institut Ramazzini, près de Bologne, en Italie, centre de recherche mondialement reconnu qui parle de « potentiel cancérogène des radiofréquences chez l’homme ». Même conclusion, dès 2011, au sein de l’IARC, l’Agence internationale de recherche contre le cancer, structure de l’OMS, qui estime dès 2011 les ondes « potentiellement cancérigènes pour l’homme ».
Ces données sont sues, connues, depuis des lustres, donc. En 2017, 180 scientifiques de 37 pays appelaient d’ailleurs à un moratoire sur la 5G. Bis repetita, avec plus d’ampleur encore, quelques mois plus tard. Leur angoisse : une exposition « 24h/24 et 365 jours pas an, sans sortie de secours », qui n’épargnera rien ni personne sur la planète.

Mais rien n’y fait, pour ses hérauts : « la 5G, c’est l’avenir », bulldozer du progrès.
« Être en retard sur la 5G n’est pas une option », tranche Sébastien Soriano, le directeur de l’Arcep, le gendarme des Télécoms.
« Faisons attention à ne pas prendre du retard et à ne pas se retrouver dans la situation qu’on a déjà vécue plusieurs fois en France où on veut être plus intelligents que tout le monde et à la fin on est plutôt en retard sur le reste de la compétition. » C’est du Agnès Pannier-Runacher, sous secrétaire d’État à l’Industrie. Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d’État au numérique, en appelait lui à la « mobilisation de tous les acteurs privés et publics pour multiplier les projets pilote partout sur le territoire », pour « faire de la 5G une priorité pour la France ». Des expérimentations grandeur nature se mènent d’ailleurs déjà, depuis 2019, à Nantes, Bordeaux, Lyon, Toulouse, Paris, Le Havre… Alors même que les effets sanitaires n’ont pas été évalués, et que les habitants n’en ont jamais été informés.

« Allô bonjour monsieur j’appelle pour vous dire qu’on va passer vous poser le nouveau compteur Linky on voit que vous ne l’avez pas encore quand est‑ce que vous seriez disponible ?
— Non, mais… si je l’ai pas, c’est parce que j’ai déjà refusé. Vous savez qu’il pose plein de problèmes, ce compteur, et que vous pouvez pas m’obliger… »

Ce jour‑là, en fin de confinement, le gars au bout du fil ne me laissait pas d’alternative.
Il y a trois ans, déjà, tout juste, un jeune employé d’Enedis était passé, avait tenté sa chance, avant d’abdiquer, s’excusant, presque (voir Fakir n° 83). Là, au téléphone, le ton est de suite moins cordial. Menaçant, presque.
« Si, on peut vous obliger. Vous n’avez pas le choix.
— Ben, non, j’en veux toujours pas.

— Alors, je vous préviens : vous allez avoir des pénalités. Vous allez devoir payer des choses, on va vous envoyer des courriers… »

J’étais en train de lire le bouquin de Nicolas Bérard, 5G mon amour*, où il était justement question, entre autres, de Linky, ce nouveau compteur électrique « communiquant », mais qui fiche toutes vos consommations, émet des ondes à la toque et, de temps à autre, accessoirement, prend feu. L’auteur racontait les consignes passées par Enedis aux installateurs pour (im)poser, de gré ou de force, les nouveaux compteurs, jusqu’à casser les cadenas installés par les usagers récalcitrants. Quel était l’enjeu ? Linky n’était que la première pierre, le premier pas vers ce nouveau monde : le « smart world » de la 5G. « Tous les engins, les appareils, les machines et les dispositifs vont être équipés de capteurs qui vont relier chaque objet à chaque individu, en un vaste réseau numérique neural qui se déploiera dans l’ensemble de l’économie mondiale, s’enthousiasme le chantre de la croissance verte, et technologique, Jérémy Rifkin. On a calculé que, d’ici à 2030, il y aura près de 100 billions [100 000 milliards !] de capteurs qui mailleront l’environnement humain et naturel pour former un environnement intelligent mondial distribué. » Lui murmure à l’oreille des politiques, et de la Commission européenne en particulier.

Le principe, donc : un monde qui brassera des milliards de données à la seconde, partout, tout le temps. Les panneaux publicitaires s’adapteront instantanément à vos goûts en fonction du contenu connecté de votre téléphone, comme le vendeur du magasin dans lequel vous entrerez. Votre frigo enverra pour vous la liste des courses à l’hypermarché du coin, qui n’aura plus qu’à livrer. Votre Home box gérera votre intérieur, votre agenda. On estime, pour 2025, à 75 milliards le nombre d’objets connectés dans le monde. Mais il reste une porte à ouvrir : la 5G. Un nouveau réseau d’ondes, qui viendra s’ajouter aux précédentes, et non les remplacer, 4G, 3G and co. Avec huit fois plus d’antennes relais à installer pour cette seule 5G, et même 32 fois plus en milieu urbain. Mais qu’on comprenne bien : ça n’est pas un gadget technologique. C’est la chance de survie pour la société de consommation. Les autos ne se vendent plus ? La voiture autonome, connectée, offre un nouvel horizon. 5G. Le nucléaire n’a plus la cote ? Avec la 5G, la multiplication des antennes et flux, c’est déjà 2 % de consommation d’électricité en plus en Chine. Et dans le BTP ? Des bâtiments connectés, des habitations intelligentes, tout à refaire. L’agriculture ? À la mécanique, à la chimie, on va ajouter la 5G. L’école et ses douze millions d’élèves en France ? Un marché énorme, à condition de disposer du très haut débit dans tous les établissements, et dans les maisons pour « l’enseignement à distance ». Sans compter que tous nos objets seront à racheter. Des « besoins » renouvelés…

Cocotte-minute pour les insectes

Martin Pall le rappelait l’automne dernier, à Bruxelles, invité par des députés européens : la 5G prendra des airs de cocotte-minute pour les plus petites bestioles. Alors que, le 19 mars, le ministère de la Transition écologique publiait son étude sur la biomasse des insectes volants, et la disparition de 75 % d’entre eux depuis trente ans à cause de « la charge massive des pesticides », les ondes risquent de venir ajouter une deuxième lame pour les abeilles.
« Le rayonnement 5G sera principalement absorbé par les 1 ou 2 mm extérieurs du corps – le secteur des télécommunications lui-même le dit. Ces effets de surface auront un effet particulièrement fort sur certains organismes. Les insectes, par exemple, seront beaucoup plus touchés que nous, c’est sûr. Mais aussi les arthropodes, les oiseaux, les petits mammifères, les amphibiens… » En résumé, plus les organismes seront petits, et plus les dégâts seront importants. Et moins d’insectes, c’est moins d’oiseaux (qui ne peuvent plus se nourrir), moins de pollinisation, moins de végétation…)

***

Les politiques sont conquis d’avance.
Au premier rang d’entre eux, Édouard Philippe, l’ex‑Premier ministre (et ancien lobbyiste du nucléaire chez Areva) : il signait en octobre 2019, prévoyant, un courrier demandant à EDF de prévoir la construction de six nouveaux EPR dans les quinze prochaines années.

Derrière eux, une armée est en ordre de bataille, pour nous faire accéder plus vite au bonheur : la liste de pantouflages politiques ou d’« experts » rémunérés par l’industrie est longue comme un bottin souvent mondain. Parmi ceux de l’Afsse (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail) qui travaillent sur la question des ondes, on retrouve par exemple Bernard Veyret (qui travaille aussi à l’ICNIRP, l’organisme international chargé de fixer les normes), qui émarge également… au conseil scientifique de Bouygues. Ou encore René de Sèze, ou Isabelle Lagroye (tous deux à l’ICNIRP également), dont les labos sont financés par Bouygues, Alcatel et France Telecom, à l’époque. Ce qui poussait Guy Paillotin, alors président du Conseil d’administration de l’Afsse, à déclarer devant le Sénat que les études de son propre organisme sur le téléphone mobile ne valent rien : « L’expertise sur la téléphonie mobile n’a jamais suivi ni de près ni de loin les règles que l’Afsse s’est fixée à elle‑même. Donc c’est une expertise que je considère, en tant que président du conseil d’administration, comme n’existant pas. » Les 24 centres investigateurs, sans réels moyens, créés par Roselyne Bachelot et l’étude lancée sur le sujet à l’époque n’a toujours pas été publiée, dix ans plus tard. Il faut dire qu’elle a été confiée à André Aurengo… administrateur d’EDF et membre du conseil scientifique de Bouygues.

Une armée est en ordre de bataille, oui.
Elle a trouvé son prolongement dans l’actuel gouvernement. On pourrait évoquer aussi la taxe TA‑IFER, payée depuis 2011 par les opérateurs en fonction de leur nombre d’antennes, et qui rapportait chaque année deux millions d’euros pour la recherche sur les effets des ondes… mais supprimée par le gouvernement en 2018. Un coup de poignard dans le dos de la recherche publique.
Et si depuis 2012 et une décision du Conseil d’État, les maires avaient interdiction de faire jouer le principe de précaution en empêchant l’installation d’une antenne sur leur sol, les marcheurs sont allés plus loin : depuis juin 2018, les opérateurs n’ont même plus à prévenir le maire, ne serait‑ce que pour qu’il informe ses administrés. Et il ne faudra pas trop compter sur les principaux médias pour faire entendre un son de cloche différent ‑ on l’a évoqué, déjà, dans les pages précèdentes. Par vide idéologique, perte de sens, par dogmatisme, oui, François l’a dit. Par pragmatisme, aussi, quand Xavier Niel, patron de Free, détient le Monde, Télérama, Courrier International, la Vie, quand Patrick Drahi (SFR) a mis la main sur Libé, l’Express, BFM TV et RMC… Tous, à leur échelle, jouent une carte essentielle : la 5G, c’est la piqûre qui prolongera, un peu, la survie de leur monde à l’agonie.


Fronde sur les ondes

Les partisans de la 5G sont nombreux, et déjà organisés, donc.
Il faut dire, aussi : des centaines de milliards, qui y résisterait ?

Ce jour-là, après 48 heures après les conclusions de la Convention citoyenne sur le climat, Agnès Pannier-Runacher relevait le drapeau du progrès, sorte de Jean-d’Arc croisée du numérique et de la « compétitivité » réunis. « Oui, nous allons lancer les enchères de la 5G. Et nous lançons, pour être tout à fait sûr que nous sommes aussi responsables que les autres Etats qui sont en train de lancer cette technologie, qui est essentielle à la compétitivité de notre pays, une mission pour nous assurer que nous sommes bien au meilleur standard des pratiques environnementales en sanitaires. Nous le faisons pour le pays, nous le faisons pour notre industrie, nous le faisons pour les Français. » Alléluia !

A Bruxelles, la même frénésie règne, balayant d’un revers de main les avertissements du Comité scientifique de l’UE. La Commission pousse tout autant que la France : elle a investi, en 2013, 700 millions dans un partenariat public – privé pour faire avancer le projet, pour lever les contraintes. Dans son plan d’action de 2016, elle appelle les Etats à « supprimer les obstacles au déploiement des cellules de petite taille », déplorant en particulier la « variété des limites spécifiques relatives à l’émission de champs électromagnétiques ».
Et de sortir les arguments massues, en or massif : selon un document intitulé «Connectivité pour un marché unique numérique compétitif – Vers une société européenne du gigabit», d’après la Commission, « les recettes produites par la 5G dans le monde devraient représenter l’équivalent de 225 milliards d’euros en 2025 ».


Des centaines de milliards, qui y résisterait, donc ?

Eh bien voilà que des olibrius y résistent.
Pas seulement les ONG, Robin des Toits, Priartem, Le Criirem et autres, qui jusque là prêchaient dans le désert. Mais des partis politiques, qui s’interrogent, voire exigent eux également un moratoire. Martin Bouygues, lui-même, qui (sans doute poussé par des problèmes de trésorerie, mais allons-y, faisons feu de tout bois) juge préférable de reporter les enchères.

La CCC aussi, la Convention Citoyenne sur le Climat, au sortir du confinement, rendait ses conclusions, en ces derniers jours du mois de juin : des propositions à reprendre « sans filtre », avait assuré Emmanuel Macron.

Et la CCC, justement, dans sa proposition « Accompagner l’évolution du numérique pour réduire ses impacts environnementaux », jugeait essentiel « d’évaluer les avantages et les inconvénients de la 5G par rapport à la fibre avant et non après avoir accordé les licences pour son développement ». Et donc, logiquement : d’« instaurer un moratoire sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de l’évaluation de la 5G sur la santé et le climat ».
Le propos était clair.
Il était d’ailleurs repris, dans la foulée, par Elisabeth Borne, qui déclarait dans le JDD à propos de la 5G que « les citoyens demandent une évaluation des impacts en matière de santé et d’environnement. Il serait utile d’avoir l’évaluation de l’Anses, qui est attendue pour la fin du premier trimestre 2021. Avec Olivier Véran, nous venons de saisir le Premier ministre pour demander d’attendre cette évaluation avant le déploiement ».

Pourtant, pas un mot, dans le discours devant la Convention, pas une phrase d’Emmanuel Macron sur la 5G, ce lundi 29 juin. Il s’offrait trois « jokers », pas question de taxer les dividendes pour aider le climat par exemple, mais rien sur la 5G. Tacitement, donc, le moratoire était accepté… mais ça va mieux en le disant.

Résumons-nous, donc :
La CCC demande des rapports sanitaires et environnementaux avant d’accorder les licences pour la 5G.
Le Président lui-même dit implicitement accepter cette proposition.
La ministre de l’Ecologie, et le ministre de la Santé, demandent au Premier ministre d’attendre les évaluations prévues au printemps 2021 avant d’envisager tout déploiement de la 5G.
L’Anses déplore de ne pas avoir de données suffisantes sur le sujet.

Même pour lors des Municipales, le sujet est arrivé sur la table : pour décrocher la mairie, à Nantes, à Bordeaux, à Tours et ailleurs, les candidats se sont engagés en faveur d’un moratoire sur la 5G.
La bataille est déjà lancée, oui, et plus encore chez nos voisins que chez nous… « En Belgique, en Suisse, en Italie, en attendant d’éventuelles études d’impact sanitaire et environnementale sur ce nouveau risque de pollution électromagnétique, des villes ont pris les devants et décidé de geler le déploiement de la 5G sur leur territoire », raconte Maurizio Martucci, président de la Stop 5G Alliance, une alliance européenne fondée en 2019, et dont la branche italienne dépose déjà des plaintes dans la Péninsule. En Suisse, un moratoire a été décrété à Neuchâtel, comme dans d’autres endroits, et le canton de Vaud a voté le gel d’installation des antennes 5G dans ses communes. En Belgique, la ministre de l’environnement de la région Bruxelles-Capitale jugeait l’an passé « impensable pour [elle] de permettre l’arrivée de cette technologie si [elle ne peut] pas assurer le respect des normes protégeant les citoyens. Les Bruxellois ne sont pas des souris de laboratoire dont je peux vendre la santé au prix du profit ».
Les Bruxellois, non.
Les Français, oui, apparemment.

Qu’on se le dise : la bataille ne fait que commencer.

Merci à Nicolas Bérard, et aussi à Alexandre, Renaud, Antoine, Maïmouna (notre «groupe 5G»), à Damien Carême, et enfin Julie Briand (pour les objets à la con !).

Articles associés

Pour ne rien rater, inscrivez-vous à la

NIOUZLAITEUR

Les plus lus

Les plus lus

Retour en haut