À la sortie d’un débat avec Solidaires, dans la Somme, Pascal nous alpague : » Et avec Fakir, vous bousillez encore des forêts ? C’est imprimé sur papier recyclé, au moins ? »
Franchement, on n’en savait rien.
Alors, à la sortie du dernier numéro, on a demandé à notre imprimeur, IPS, à Fouilloy – quinze kilomètres d’Amiens : » 100% recyclé « , nous a répondu Bruno, le chef d’atelier. Et plus précisément : » C’est du papier de marque UPM, fabriqué à Rouen à partir des vieux papiers de la région parisienne, acheminé par bateau jusqu’à Rouen « . Et de nous montrer les bobines en stock, certifiées » recyclé « . Les Figaro du seizième, une fois dans les poubelles, deviendraient donc du Fakir…
Le directeur de l’imprimerie, Benoist Velay, nous récite tout le dépliant promotionnel : » Non seulement c’est du papier recyclé, mais ici aussi on recycle tout « . Déchets, encres, tri sélectif dans l’usine. » La seule chose qui va dans les égouts, c’est l’eau des douches, promet-il. On utilise soit du papier recyclé, soit du papier issu de pépinières gérées durablement en Scandinavie et certifié PEFC « . Et de conclure : » L’industrie papetière est une des moins polluantes qui soit, qui a le plus tôt intégré la question environnementale. »
Y avait tout un tas de labels au mur, dans l’entrée : Imprim’Vert, PEFC, ISO 14 001. Mais bon, ces logos, c’est pas non plus une garantie de sainteté écolo.

PEFC, d’abord. Ce » Programme de Reconnaissance des Certifications Forestières » a été créé en 1999 par les professionnels… qui s’accordent ce diplôme de bonne conduite à eux-mêmes. L’autorégulation rêvée.
» Forêts gérées durablement en Scandinavie « . Erik Hoffner, journaliste scientifique anglais, a mené l’enquête en Suède : » L’agence forestière suédoise (SFA) est censée tout piloter mais elle n’a pas assez d’employés, donc les compagnies forestières et les propriétaires de terrain prennent leurs décisions seuls. » Et il ajoute : » Environ 45% de la surface forestière suédoise (10 sur 23 millions d’hectares) sont certifiés comme étant gérés durablement. Mais comme je l’ai découvert, il en est autrement sur le terrain : coupes à blanc qui enlèvent 95% des arbres, traces de pneus profondes « .

ISO 14 001. Cette norme européenne » repose sur le principe d’amélioration continue de la performance environnementale par la maîtrise des impacts liés à l’activité de l’entreprise. »
Quoi d’autre ? » Elle n’énonce pas d’exigences pour la performance environnementale, mais trace un cadre qu’une entreprise ou une organisation peuvent appliquer pour mettre sur pied un système efficace. » En gros, l’entreprise peut polluer mais elle » fait le nécessaire pour tenter d’atteindre les objectifs qu’elle s’est elle-même fixée dans son plan d’action « . Ambitieux…

IMPRIM VERT. À pour devise : « Imprimer c’est laisser une trace sur une surface, pas sur l’environnement ! » Là encore, c’est un label créé par les industriels et les chambres de commerce. Mais, cette fois, le cahier des charges s’avère beaucoup plus strict : » élimination des déchets nuisant à l’environnement, sécurisation des liquides dangereux, non utilisation de produit dits “toxiques”, sensibilisation à l’environnement dans l’entreprise, suivi mensuel des consommations énergétiques « .

Et les salariés ?
L’entreprise qui produit notre papier c’est UPM. Un groupe finlandais, l’un des plus grands papetiers de la planète. Et en août 2011, cette entreprise a annoncé 1100 licenciements en France, en Allemagne et en Finlande.
Notre usine à nous, à Rouen, n’est pas encore sur la sellette. Celle de Stracel, près de Strabourg, en revanche, si : » Le site est viable, les résultats d’exploitation sont positifs, d’après le délégué CGT Patrick Bertin. Nous avons même terminé d’amortir les nouvelles machines. Mais près de 250 emplois sont menacés « .
L’explication des patrons ? » L’industrie du papier doit faire face à des défis très importants à cause du coût élevé des matières premières, de l’énergie et de la logistique et de fortes surcapacités. » Et surtout, » le groupe vise un niveau de profitabilité de l’ordre de 9% sur chacune de ses divisions » selon un rapport du cabinet de conseil Secafi. Nettement plus que la moyenne de l’industrie. » Les fermetures prévues sont dramatiques pour les salariés concernés, s’émeut la com’ du groupe, mais la restructuration est le seul moyen pour améliorer radicalement la compétitivité de notre activité papier. »
L’enjeu, en fait, c’est un partage du marché européen – sur un secteur pas franchement en plein boom : » UPM se recentre sur le papier à écrire et ferme Stracel, son usine de papiers spéciaux à Strasbourg, analysait ainsi Eric Lardeur, le délégué CGC d’une autre boîte, M-Real. » Stora Enso ferme une cartonnerie en Allemagne et se recentre sur les papiers spéciaux. M-Real ferme la papeterie d’Alizay, qui alimente une partie de la France et de l’Europe en ramettes A4 et A3, pour se consacrer à la cartonnerie. La boucle est bouclée. Chacun arrange le copain et continue à gagner de l’argent. » Et tout ça, à cause des » accords de sauna « , le pendant scandinave des négos pousse-café, pour » réduire les capacités de production européenne et maintenir les prix « .
À Stracel, la grève est déjà là. À Rouen, et maintenant dans une autre usine du groupe, à Corbehem (Pas-de-Calais), on s’y prépare. Du coup, vous étonnez pas si prochainement vous ne recevez pas votre Fakir, c’est pas qu’on se la coule douce dans notre jacuzzi. Juste qu’on n’aura plus de papier.
Les papelards
du journal
Origine du papier :100% recyclé.
Tirage :30 000 exemplaires.
Pertes au tirage :10 à 12 % par tirage.
Les pertes sont recyclées.
Pertes dans les ventes :15 000 exemplaires au pilon.
Les pertes sont recyclées.
Encre : minérale. Entreprise :Huber (Suisse)
Film Plastique pour abonnements :polypropylène bio-dégradable.
Entreprise :Alembal (Rhône)
Les voyages
d’un Fakir
Papier : Gennevilliers – Rouen (200 km par voie fluviale),
Rouen – Fouilloy (140 km en camion).
Distribution : Fouilloy – Paris : (150 km) puis La Poste.
Encre : Altendorf (Suisse) – Fouilloy (700 km)