Fakir : Comment ça a démarré, votre projet de film ?
Gilles Perret : Par une coïncidence. Je traînais autour de l'Assemblée, j'avais un entretien dans le coin, et là je croise François qui me dit : « Tu viens bouffer au self avec nous ? » Avec son équipe, entre les carottes râpées et l'île flottante, ils étaient en train de machiner une traversée de la France.
François Ruffin : Ouais. Je savais que le pays vivait un instant magique, incertain, et donc, j'avais bloqué une semaine, mi-décembre, pour naviguer sur les routes, pour respirer pleinement ce moment. Pour nourrir un bouquin.
G.P. : Ces « Gilets jaunes » me titillaient moi aussi, j'éprouvais de la sympathie plutôt. Sans doute parce qu'on est de province tous les deux, l'un de Savoie, l'autre du Nord, on n'a pas le jugement parisien, un peu hautain. J'étais passé sur des ronds-points, le 17 novembre, et j'avais découvert des visages que, d'habitude, dans les manifs, on ne voit jamais. Je me souviens d'un couple, au péage d'Annecy, avec la banane, une joie que tu ne vois pas souvent dans les manifs. Ils n'étaient jamais sortis, et là ils existent ! Et donc, pendant le repas, je propose à François de le suivre avec une caméra : il me répond « non », ce con !
F.R. : Bah oui, d'abord j'en ai marre d'avoir toujours des caméras et des micros au cul, je me sens surveillé, je me surveille. Je préférais le côté « lonesome cow-boy »...
G.P. : Mais j'ai