« C’est un film d’amour, je crois »

Dans la vie des peuples, il est des saisons magiques. Soudain, des Corinne, des Carine, des Khaled, des Rémi, des Denis, des Cindy, des Marie, d’habitude résignés, longtemps abattus, se redressent, se dressent contre l’éternité d’une fatalité. Ils se lient et se liguent, leurs hontes privées, accumulées, se font colère publique, et à leurs seigneurs, à leurs maîtres, aux pouvoirs, ils opposent leurs corps, leurs barricades, leurs cabanes. Leurs voix, surtout : la parole se libère, déchaînée, pour réclamer une part de bonheur. C’est un éclair, alors, qui déchire la nuit noire de l’histoire. Un éclair, un éclair jaune, fluorescent même, qui ne dure qu’un instant, un instant seulement, mais se grave dans les mémoires. Derrière, le tonnerre fait résonner ce mot : espoir. Comme en une hasardeuse chasse aux papillons, Gilles Perret et François Ruffin sont partis pour un road-movie dans la France d’aujourd’hui. En guise de filet, une caméra, pour capturer cet instant, magique, pour saisir sur le vif les visages et les voix des Corinne, des Carine, des Khaled, des Rémi, des Denis, des Cindy, des Marie.
gilles et françois

Publié le 16 janvier 2019

Fakir : Comment ça a démarré, votre projet de film ?

Gilles Perret : Par une coïncidence. Je traînais autour de l'Assemblée, j'avais un entretien dans le coin, et là je croise François qui me dit : « Tu viens bouffer au self avec nous ? » Avec son équipe, entre les carottes râpées et l'île flottante, ils étaient en train de machiner une traversée de la France.

François Ruffin : Ouais. Je savais que le pays vivait un instant magique, incertain, et donc, j'avais bloqué une semaine, mi-décembre, pour naviguer sur les routes, pour respirer pleinement ce moment. Pour nourrir un bouquin.

G.P. : Ces « Gilets jaunes » me titillaient moi aussi, j'éprouvais de la sympathie plutôt. Sans doute parce qu'on est de province tous les deux, l'un de Savoie, l'autre du Nord, on n'a pas le jugement parisien, un peu hautain. J'étais passé sur des ronds-points, le 17 novembre, et j'avais découvert des visages que, d'habitude, dans les manifs, on ne voit jamais. Je me souviens d'un couple, au péage d'Annecy, avec la banane, une joie que tu ne vois pas souvent dans les manifs. Ils n'étaient jamais sortis, et là ils existent ! Et donc, pendant le repas, je propose à François de le suivre avec une caméra : il me répond « non », ce con !

F.R. : Bah oui, d'abord j'en ai marre d'avoir toujours des caméras et des micros au cul, je me sens surveillé, je me surveille. Je préférais le côté « lonesome cow-boy »...

G.P. : Mais j'ai

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