La cantinière et le DRH

Une collectivité territoriale qui cherche à se débarrasser d’une cantinière : l’affaire semble jouée d’avance. Sauf quand la peur change de camp…

Publié le 9 octobre 2019

Elle ne demandait pas la lune, Nadine : juste à rester près des gamins.  » C’est ce que j’aime, être avec eux, les aider… «  Nadine était cantinière à l’école élémentaire Pierre-et-Marie-Curie de Portet-sur-Garonne, à la lisière de Toulouse. D’accord, l’ambiance avait changé, depuis qu’elle et ses collègues étaient gérées par l’agglo.  » Les enfants étaient considérés comme des clients. Si l’un d’eux n’était pas inscrit, on ne prévoyait jamais une part supplémentaire : il ne mangeait rien. Moi, je décongelais un plat en réserve pour lui donner, je pouvais pas laisser faire. «  Mais dans l’ensemble, ça passait encore. Jusqu’à ce que ses mains ne lâchent.  » J’ai longtemps surmonté la douleur, je me disais que ça irait mieux… J’ai présumé de mes forces. «  A porter et briquer des tonnes d’assiettes tous les jours, ses os s’effritent comme du sable.  » Ils étaient complètement émiettés, du pouce au scaphoïde. «  En 2008, donc, direction la table d’opération. Elle subira huit interventions en tout, plus  » des prothèses, des broches « . Les médecins la déclarent en maladie professionnelle. La voilà handicapée, et confinée à la maison.

C’est pas la joie, déjà. Mais ça ne suffit pas.
Son employeur, la Cam, « Communauté d’agglo du Muretain », essaie de se débarrasser d’elle, de sa maladie pro, pour ne plus lui verser de salaire, pour ne plus lui payer médecin et médicaments :  » Du jour au lendemain, la CAM m’apprend que je suis mise à la retraite d’office depuis 2016. Trois jours après, je reçois une injonction pour rembourser 34 000 € de salaire ! «  Un licenciement déguisé, et rétroactif !
Le DRH la convoque le vendredi soir, après la fermeture des bureaux :
 » Moi, les maladies qui durent et perdurent, j’en veux pas. Je suis ici pour faire des bénéfices.
– Mais ce n’est même pas l’agglo qui paye, c’est la Sécu… « 
ose Nadine.
 » Vous êtes pas de la compta, c’est pas votre problème. Mais on peut s’arranger sur certains points, si vous me signez cette lettre, là, qui dit que vous êtes partie à la retraite de votre plein gré. Et je vous préviens : je gagne toujours… « 

Après des décennies à la plonge, c’est Nadine et son moral qui plongent :  » C’était ‘‘la balayeuse contre le DRH », fallait pas rêver… «  La voilà sans salaire, et criblée de dettes.  » J’en étais déprimée, malade. Les gens du village me disaient ‘‘mais comment tu vas rembourser tout ça ?’‘, alors que je ne devais rien, je ne suis pas une voleuse. «  Sa sœur et ses frères la soutiennent financièrement.  » C’est pour eux que je me suis dit qu’il fallait se battre. Parce qu’ils avaient aussi des enfants à élever. Et puis, j’ai pas un caractère à me laisser faire. «  Les soutiens arrivent. C’est que Nadine, qui travaille là depuis 1991, en a vu passer, des générations de gamins devenus grands…

Tony, militant de la France insoumise, interpelle le maire. Deux mille tracts sont distribués dans la ville. Les élus font la sourde oreille ? Une manif est organisée devant leurs bureaux.  » On peut pas en arriver là, vous vous rendez compte ? « , paniquent les maires. Au bout des négociations, malgré des primes et congés sucrés, les salaires sont restitués, les dettes effacées.  » Ils ont joué le pourrissement mais ont eu peur de la médiatisation, assure Jonathan, le neveu de Nadine. Mais pour celles qui sont seules, comment ça se passe ? Elles se font avoir en silence ?  » D’ailleurs, le DRH l’a prévenue :  » On a fait une exception avec vous, mais surtout n’allez pas l’ébruiter. «  Nadine en rigole encore :  » Lui, il n’a vraiment rien compris de qui je suis ! «  Et c’est comme ça qu’à la fin, ça se retrouve dans Fakir ! Pour que d’autres puissent gagner…

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