Coeur de braqueur

C’est aux Antilles que le chef de l’état a croisé un ex-braqueur. Nous, en moins exotique, c’était en banlieue. Et on n’a pas forcé sur le selfie…

Publié le 10 octobre 2019

Le Président :  » Il faut du travail pour faire les travaux, pour reconstruire. Des jeunes comme toi, en plus t’es musclé comme tout… Il faut que tu travailles là-dedans. Il faut pas rester comme ça. Faut pas refaire des bêtises. « 
Le jeune :  » Hmm, je sais. « 
Le Président :  » Les braquages, c’est fini. «  (Jeu de regards, avec l’index et le majeur.) Tu me l’as dit. On est d’accord ? Ta mère, elle mérite mieux que ça. « 
La mère, prenant Macron dans ses bras :  » Merci beaucoup. « 

Ça m’a fait cogiter, cette scène.
Qu’un président plonge, comme ça, dans les bas-fonds des Antilles, qu’il se frotte aux gens, physiquement, directement, ça me plaisait un peu. » Devait-il causer avec un ex-braqueur ? « , se sont demandé médias et commentateurs. Evidemment. Evidemment que oui. Evidemment qu’il doit causer avec tout son peuple, des start-upers pourquoi pas aux délinquants, aux chômeurs, aux paysans, aux infirmières, aux ouvriers, pour le sentir, son peuple, pour le comprendre.
Mais justement, a-t-il causé, vraiment, avec cet ex-braqueur ? A-t-il échangé, pour de bon, humainement, avec lui, sur son parcours, son entrée dans la délinquance, la case prison, ses espérances, etc. ? En fait, non. Le président débarque avec caméras et micros, tâte les muscles du Noir costaud (avec d’évidents relents coloniaux), prend un selfie, délivre sa petite leçon de morale, roi thaumaturge, au verbe magique, qui ferait basculer les destins en trois mots, et il repart. Qu’aura-t-il appris, lui ? Que saura-t-il de plus sur la vie, sur la vie des pauvres, sur les forces obscures ou lumineuses qui les meuvent ? Rien. Peut-être que je rêve à un président reporter, un président sociologue qui, à l’occasion, comme Henri IV, se grimerait, revêtirait sa capuche, descendrait incognito à la taverne, pour écouter les hommes.

La semaine suivante, j’ai passé deux journées en Seine-Saint-Denis. C’est une amie qui m’a proposé ce périple, de m’ouvrir son carnet d’adresses, et j’ai accepté parce que, en vérité, ce monde-là, au-delà du périph’, je le connais peu et mal. Le rural ouvrier, les villes de province, leurs quartiers populaires, ça va, j’ai des intuitions là-dessus, pas comme un poisson dans l’eau, pas toujours, m’enfin, je me débrouille, un instinct. La banlieue parisienne, pas trop, et pourtant il faut : c’est le pays, aussi. C’en est même un cœur névralgique, du pays, par sa jeunesse, par sa misère et sa richesse, par le flux du Capital.
On s’est baladés, donc, d’un ascenseur en panne à un club de foot, d’une mairie à une mosquée, de parents d’élèves inquiets en architectes novateurs. Avec des soucis plus aigus ici : la drogue, la prostitution des mineurs, une tension avec les policiers. Avec, aussi, surtout, des soucis qu’on retrouve ailleurs : de logement, d’emploi, d’éducation.
Et au milieu de ça, dans un bistrot de Bondy, on a croisé, nous aussi, un ex-braqueur. L’occasion d’échanger, pour de bon, humainement, avec lui, sur son parcours, son entrée dans la délinquance, la case prison, ses espérances. Sur le grand banditisme, sans l’aura des sagas.

J’étais d’une famille nombreuse, très pauvre. On n’avait pas d’argent, donc pas de vacances. On montait aux arbres. Et puis, je suis tombé sur un animateur, très, très bien. Avec ses collègues, ils venaient nous chercher dans la rue. Ils nous ont sortis, j’ai même repris goût à l’école. Il m’a initié à la boxe, aussi. Ensuite, j’ai fait trente combats, je suis devenu champion d’Île-de-France. Mais sans accompagnement, sans encadrement. C’est là que je suis tombé sous la coupe des vrais méchants. Le vrai méchant, c’est pas celui qui tape, celui qui insulte : c’est celui qui utilise son cerveau. Il repère les bons éléments, comment je peux les exploiter ? Moi, j’étais costaud, solide, et je ne trahirais pas face à la police.
– Pourquoi t’as basculé là-dedans ?
– Les animateurs, on ne les voyait plus, ils s’enfermaient dans leur bureau, ils étaient recrutés au copinage. Ils n’étaient plus là pour me guider, pour m’offrir un autre chemin. J’ai pris celui qu’on m’offrait, qui me valorisait. Parce que j’avais des aptitudes à la délinquance, je suis passé du petit trafic à l’international. On me disait : ‘‘Va là-bas. Va là-bas ! » J’étais un champion, utilisé pour mes compétences.
– T’étais fier ?
– Oui. Je ne vais pas mentir. Mais j’étais obligé de me cacher, de cacher qui j’étais, en permanence, à mes proches. A mon père, je répondais que j’étais chez un copain, alors que trois heures auparavant je participais à un braquage. J’étais perdu. Je vivais dans la clandestinité, une double vie. C’est en prison que j’en ai pris conscience. En détention, ils m’ont fait passer des tests d’intelligence, j’étais supérieur à la moyenne… mais je ne savais pas faire une division ! Je me suis rendu à l’école, mais c’était un brouhaha pas possible. Les détenus allaient là-dedans juste comme une échappatoire à la prison. C’est là-dedans que, enfin, je me suis retrouvé confronté à la société…
– C’est-à-dire ?
– Eh bien, des gens normaux. Les surveillants, les profs… C’est grâce à eux que j’ai repris goût. C’est l’homme qui donne conscience. J’ai réappris les divisions, j’ai poussé la porte de l’institution, et on m’a demandé : ‘‘Tu veux faire une formation ? » J’ai choisi jardinier. Le souci, c’est que le petit potager, il se trouvait à côté du mur d’enceinte. J’étais trop dangereux, j’étais réputé, ils ne voulaient pas me laisser accéder au jardin, ils craignaient que je trafique, ou que je prenne la fuite. Un gradé m’a dit, finalement : ‘‘Je vais parler de toi à la direction. » A ce moment, à ce stade, dans ma vie, j’ai trouvé l’Homme. Les Services d’insertion, les psychologues, les aumôniers même, ils m’ont ouvert une autre voie. Je n’avais plus cette addiction à la valorisation.
– Et l’addiction à l’adrénaline, aussi ?
– C’est faux, ça. C’est du n’importe quoi, du cinéma. Sur un braquage, tu as des maux de ventre, tu as envie de te faire pipi dessus. C’est ça, l’adrénaline? Qui veut ça ?
– Et maintenant, alors ?
– Je travaille. Mais tu sais, la confiance avec l’entourage, elle est brisée, peut-être à tout jamais. Ma femme ne me croit pas, elle se méfie. Et je viens d’avoir ma mère au téléphone, elle est au pays, en Algérie. Je lui ai dit : ‘‘Je suis allé dans le Sud, pour le boulot.’‘ Elle me répond quoi ? ‘‘Menteur ! Arrête de me raconter des salades… »  »

Il se renfrogne, comme un rictus de douleur, blessé. Son passé ne s’effacera jamais, il peut juste l’assumer, vivre avec.
Quelles leçons en tirer, de ça ?
Je ne sais pas trop, à vous de voir. Des réflexions, quand même, sur le rôle de l’éducation, de l’éducation hors de l’école, aussi, dans la rue, l’importance de l’estime de soi, trouver une place, être valorisé, exister pour les autres, et la fonction également des sanctions, du retrait imposé, de la confiance, de l’humanité, toutes ces forces obscures et lumineuses qui nous meuvent.
Et en plus, quant à nous, la primauté de l’enquête.
Comprendre d’abord.
Ecouter.
En toutes circonstances.

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