Le démon de la justice

Anne a débarqué chez moi, pleine de colère et de peur. Je l’ai classée dans ma tête : une « Michel Kohlhaas ». Ce brave bourgeois qui, au XVIème siècle, se mua en justicier brigand et ravagea l’Allemagne.

Publié le 4 février 2015

Anne est entrée chez moi avec des airs de panique. La peur, la colère se lisaient sur son visage. Elle me racontait son histoire, sans cohérence, avec le débit d'un fleuve en crue qui fait sauter un barrage. Elle s'était fait agresser. Par des policiers. Ils l'avaient jugée saoule, rudoyée, menottée, touchée les seins, emmenée en cellule. Mais non, elle n'avait pas bu. Ca puait la merde en garde à vue. Elle pleurait. Elle a eu froid. Elle avait écrit au procureur, au président de la République, et cette République, d'ailleurs, il faudrait la balourder. Sa vie avait basculé, elle, la bonne étudiante en STAPS, du jour au lendemain, elle n'avait plus confiance en personne, en rien, sauf en moi pourquoi pas, pour dénoncer ce cauchemar affreux et pourtant bien réel. " Mais c'était quand ? je l'interrompais. – Il y a un an et demi. – Il y a un an et demi ! " Ca datait de la veille, je croyais, moi, vu la chaleur de son récit. On ne l'avait pas tuée, après tout, pas blessée, pas violée. J'hasardais un conseil : " Tu devrais passer à autre chose. " Comment j'osais ? J'étais complice, alors, avec les flics, avec le procureur, avec le président, tous à flinguer, tous ligués pour " nier ses droits ", et elle entendait bien les faire respecter, " ses droits ", avec ou sans moi. Je l'avais classée, dans ma tête : " une Michel Kohlhaas ". J'en avais croisés, déjà, des fonctionnaires exemplaires, des salariés dociles, des élèves studieux, et d'un c

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