Que ça reste entre nous :
Depuis l’été, des syndicalistes, des cocos, des copains, des écolos, des insoumis, des citoyens, quelques élus même, m’ont sondé : » Si on te soutient, est-ce que tu serais candidat aux législatives ? «
Pourquoi pas, j’ai répondu.
Pourquoi pas, à condition (et quelle condition !) que la gauche s’unisse.
Rien de concret, donc, pour l’instant.
Rien d’officiel, encore moins.
Mais avant de plonger dans ce combat, avec ses coups bas, ses alliances troquées, ses négos d’égos, je voudrais prendre le temps, durant quelques heures, quelques jours, de clarifier mes raisons. Autant pour moi que pour vous.
Il y a des motifs directement politiques, bien sûr.
Ils sont évidents.
Le Front national, d’abord. Dans le Fakir de cet hiver, après les régionales, j’écrivais ceci :
‘‘A Oisemont, hier, y avait des centaines de personnes pour accueillir Marine Le Pen… »
Ce récit m’a frappé.
La leader du FN parvenait à soulever les masses, comme ça, les cambrousses, à Condé-Folie, à Soissons, à la ‘‘fête du haricot », et des colleurs se dressaient à sa suite, jusque Daours, Bussy, Querrieu…
Un peuple des campagnes sortait de terre, se mêlait des affaires publiques.
C’était beau, presque.
On aurait applaudi.
C’est ce qu’on souhaitait.
Malheureusement, c’était pour Le Pen, pour le pire, les immigrés comme boucs émissaires, pour des fascistes modernes, dans tous ces coins qui, avant, votaient cocos et socialos, bien à gauche.
Le Parti socialiste, justement, ensuite.
Que dire lorsque » la gauche » est représentée par ça ?
Comment mieux en écœurer les électeurs ?
Inutile d’insister sur le cas Hollande : » Mon adversaire, mon véritable adversaire, c’est la Finance ! « déclarait-il alors candidat. Lui président, il a capitulé, et sans la moindre bataille. Mais si François Hollande a pu virer sa cuti, c’est parce que des députés l’ont soutenu. Parce qu’ils ont renoncé à leurs propres engagements de campagne. Parce qu’ils n’ont pas fait tomber le gouvernement.
Chez nous, cet abandon prend la figure, assez quelconque à vrai dire, de Pascale Boistard : une pro de la politique, attachée parlementaire, membre de cabinet ministériel, passée par tous les courants du PS, avant d’être parachutée dans la Somme. Qui a voté » oui » à tout, au traité Sarkozy – Merkel, au CICE, au Pacte de responsabilité, etc., sauf à l’Ani. Qui s’est vue récompenser de sa soumission : elle fut promue » secrétaire d’Etat en charge des personnes âgées « , et du haut de ce strapontin ministériel elle sermonnait les opposants à la loi El Khomri.
Si la gauche est incarnée par ça, quels citoyens iraient y placer leur colère et leurs espoirs ? Comment ne pas y voir un repoussoir ?
Dans l’ancienne circonscription de Maxime Gremetz !
Parfois élu dès le premier tour.
Quasiment que PC depuis 1962.
Rouge de chez rouge…
Et Boistard, maintenant, ce PS pâlichon !
Et le FN en tête, 35 %, aux dernières régionales sur la circo.
Contre 6,5 % pour la liste communiste.
Plus 5 % pour les écolos.
Quelle misère !
Contre cet » effet tenaille « , entre fausse gauche et vraie droite, ce printemps nous avons lancé notre manif, » Le réveil des betteraves « , comme on tire un signal. Tout en nous interrogeant :
Mais après ?
Après, il faut élargir, se réimplanter, trouver des relais, dans les quartiers, dans les campagnes, chez les écœurés, les résignés, les betteraves doivent prendre racine.
ça ne se fait pas en un jour.
Ni en un mois.
Un an : je m’engage, moi, sur un an, un an à tenter, à nous efforcer, pour voir si, dans notre département, on rallume une flamme ou non, si elle s’étend.
Mais comment ?
Nous amènerons Merci Patron ! dans toutes les salles municipales, et une projection à Querrieu sera plus importante qu’à Cannes ou à Berlin. Peut-être qu’au début on ne sera qu’une dizaine dans la médiathèque de Ailly, mais une dizaine de motivés, sur un bourg, c’est énorme, et à l’arrivée, nous aussi, nous serons trois cents, quatre cents, cinq cents à Oisemont.
Nous avons amené Merci Patron ! à Ailly, à Flixecourt, à Saint-Ouen, à La Chaussée-Tirancourt, à Camon, etc., nous avons commencé à nous réimplanter, à trouver des relais, dans les quartiers, dans les campagnes.
Mais un film n’est pas tout : que faire, ensuite, passé le moment de joie, de combat virtuel, par écran interposé ?
Alors, candidat, pourquoi pas, une suite possible.
La voie est étroite, la pente bien rude.
A cause de ces 11,5 % : on part de là, de bien bas. Le lien est rompu, le divorce consommé, entre la gauche et les classes populaires, quelques mois d’efforts ne suffiront pas à le réparer.
Il y a mes propres faiblesses, enfin, voire mes failles.
Les luttes intestines, qui me prennent aux intestins. Autant vous m’offrez un bel adversaire, bien dodu, bien croustillant en face, du Jean-Charles Naouri, du Bernard Arnault, et je rayonne, radieux, mon énergie est décuplée, les idées me viennent au lever. Autant un conflit surgit en interne, et me voilà abattu, impuissant, déprimé.
La sociabilité, aussi. « Je fais don de mon foie à la France ! me raconte Fabien Roussel (chef de file des cocos dans le Nord, et déjà parti en campagne). Je passe mes journées de bistro en bistro. « J’ai lu Votez tous pour moi ! Les campagnes électorales de Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon (oui, parce que je bosse, je m’informe, je me prépare mentalement), et c’est pareil, il tourne de mairies en cafés, inlassablement. Est-ce que je saurai faire ça ? Moi qui apprécie la solitude, moi qui préfère une soirée lecture à une bière entre copains, moi qui déteste les polis bavardages, est-ce que j’aurai la patience d’aller montrer ma trombine dans les maisons de retraite, aux fêtes des écoles, aux réunions des associations de pêcheurs ?
Et pourtant, si j’y vais, ce sera pour relever le gant : pour gagner.
Nous avons ouvert l’année sur cette citation de Victor Hugo : » Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps-à-corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête : voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise « , eh bien, ne nous arrêtons pas en chemin : il faut renverser la table.
Dans cette bataille qui débute peut-être, je vais vous dire qui sera mon adversaire, mon véritable adversaire : l’indifférence, ce poison qui a rongé les âmes. Et nous irons le combattre, village après village, porte après porte, chez les gens de gauche d’abord, les socialistes, les communistes, les sympathisants des uns, des autres, qu’on la remette debout, cette gauche résignée, qu’on rouvre pour les nôtres un chemin à l’espérance, ici puis ailleurs.
Car je vais hasarder un parallèle. En regardant Merci Patron !, quand le commissaire énonce » Ce sont les minorités qui font tout ! « , les spectateurs ne se sont pas dit : » Tiens, c’est une affaire qui concerne Forest-en-Cambrésis. » Non, de cette histoire particulière, j’en faisais le pari, les gens ont tiré des leçons universelles : sur les inégalités, le rapport de force, etc., des leçons qui, bien souvent, leur ont redonné courage à eux-mêmes.
De même, maintenant : si nous l’emportions, en juin prochain, dans la première circonscription de la Somme, on ne se dirait pas : » Tiens, c’est une affaire qui concerne Ailly, Flixecourt, Saint-Ouen, La Chaussée-Tirancourt, Camon. « Non, on en tirerait des leçons, sinon universelles, du moins pour la gauche française : qu’elle peut se relever sans se macroniser, se vallsiser, se banquaffairiser, se bruxelliser, s’embourgeoiser, mais au contraire, en retrouvant une assise populaire.
Voici notre pari, voici notre conviction.
Tels sont mes » motifs directement politiques « .
Mais ce choix d’engagement, plus direct, ici et maintenant, répond aussi à des aspirations personnelles, moins politiques, ou plus indirectement, et que je ne voudrais pas masquer, ni à vous ni à moi-même.
Que devenir après Merci Patron ! ?
Que je laisse faire l’inertie et, je le devine, je peux passer mon temps à présenter mon film de New-York à Vancouver, à battre les estrades, de tribunes en meetings, de plateaux télé en clubs de réflexion, avec mille discussions de Grenoble à Toulouse, à Paris surtout, sur » Reconstruire une alternative « , fréquentant Philippe Martinez, Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain, et autres Pierre Laurent, intégré au gotha de gauche avec badge VIP. C’est la pente naturelle, dans ma trajectoire de petite vedette, de vaine gloriole, qui m’assure des applaudissements et des honneurs à peu de frais.
A l’occasion, pourquoi pas.
Mais j’y perdrais mon âme, à la longue.
Car qu’est-ce qui fait ma valeur ?
Ce sont les Klur.
C’est Marie-Hélène.
Ce sont mes matches de foot le dimanche.
C’est mon attachement au réel.
Et je redoute comme un décollage, de vivre dans une apesanteur sociale. Et bizarrement, mais oui : je brigue la députation pour ne pas virer apparatchik !
Je pourrais, bien sûr, revêtir l’habit austère du curé laïc (que je suis un peu), revenir à Amiens simplement, reprendre Fakir en modeste reporter picard comme un bâton de pèlerin, entre visites aux usines et fouilles dans les archives. Comme si, ce printemps, il ne s’était rien passé. Comme si Merci Patron ! et Nuit debout n’étaient pas advenus. Comme si ça n’avait pas changé ma stature, modifié le regard que les autres portent sur moi, sur mon travail. Comme si, surtout, ce changement de stature, je ne l’avais pas souhaité, désiré, construit.
Et je choisirais, désormais, de rentrer dans l’ombre ?
Avec une fausse humilité ?
Car croyez bien qu’elle serait fausse.
Les législatives offrent un dépassement de cette contradiction : je retourne à mon terrain, près de chez moi, à la rencontre, toujours, des agriculteurs, des petits patrons, des chômeurs, des chasseurs, des aides à domicile, des retraités, mais couvert d’une autre casquette, pour une autre mission. C’est mon décor ordinaire que je vais revisiter.
Aussi : pourquoi faut-il que les hommes s’ennuient ?
La mélancolie rôde, elle me guette.
Contre elle, il faut s’inventer des aventures. J’aurais pu, c’est vrai, mener des enquêtes en Afrique, en Islande, au Pérou, on m’offrait des billets d’avion et des cachets de production pour ça. Mais depuis dix-sept ans que je mène Fakir, j’ai toujours préféré l’aventure de proximité, que l’inédit surgisse à Forest-en-Cambrésis.
Cette candidature s’avérera peut-être, qui sait, un gros plantage, avec à l’arrivée un score minable, avec des galères infernales, avec des trahisons et des coups de poignards, avec de la fatigue et des coups de blues, mais à coup sûr, en chemin, nous vivrons une aventure.
» Nous « , car il y a cette quête, enfouie, en dessous, celle du » nous « .
Qui ne l’éprouve pas, la solitude ?
Vous répondrez pour vous, je le ferai pour moi : depuis la jeunesse, je me sens comme séparé du monde, et au fond je lutte pour le rejoindre. J’envie Maurice Kriegel-Valrimont, je perçois sa joie nostalgique, lorsque, député communiste, il logeait chez le militant : » J’étais l’élu des mineurs et des sidérurgistes de Lorraine. Je me suis battu avec eux contre le Comité des forges. C’était une satisfaction permanente. Je mangeais chez eux, je dormais chez eux quelquefois. Nous étions une force motrice de la réalité quotidienne, et c’était beau. « Alors, le temps d’une bataille, former un groupe, le souder, au coude à coude dans la tourmente, de la camaraderie, pour un moment, un moment seulement.
Ca nous arrive parfois, à Fakir, ces moments d’union, presque de communion, et si je peux me lancer dans cette nouvelle bataille, c’est parce qu’il y a déjà du » nous « , parce que m’entourent Johanna, Dolorès, Baptiste, Sylvain, Vincent, Ludo, Loïc, Frédéric et plein d’autres, un petit » nous « , un » nous » d’entre nous, mais que j’aspire à étendre et qu’il devienne » Peuple « .
Ça en fait, de la métaphysique pour une candidature…
Et si nous gagnons, qu’en fera-t-on ?
A l’évidence, le combat m’intéresse plus que la fonction.
Je me revois dans le hall du ministère du Travail, ce printemps. Pour une série » Merci Myriam ! « , je squattais l’accueil, devant les hôtesses. J’avais juste une petite question, minuscule, sur la loi El Khomri : » Qu’y a-t-il, dedans, pour lutter contre les délocalisations ? Contre ça, une autre loi est-elle en cours ? « C’était pas compliqué, il me semblait. J’attendais donc une réponse, d’à peu près n’importe qui, d’un conseiller, d’un membre du cabinet, même d’un vigile j’aurais pris. Mais personne pour causer. Des heures s’écoulent, personne. Dehors la nuit tombe, et personne.
Prévenus par Facebook, une poignée de soutiens passaient, gentiment, pour un coucou. Johanna m’apportait un sac de couchage. J’allais devoir taper un scandale, squatter l’entrée. Je le déguisais, avec des sourires et des blagues, mais je me sentais pathétique au fond. Pas légitime, surtout : au nom de qui j’emmerdais le monde comme ça ?
Là, oui, elle me manquait l’écharpe tricolore. Si elle m’avait ceint, c’est certain, je me serais senti plus fort, plus légitime, incarnant une portion de France, cent mille électeurs qui parlent à travers moi. Et à coup sûr, on m’aurait dépêché bien plus rapidement un porte-parole, offert un rendez-vous, sans cette comédie.
Je compte faire ça, donc, en cas d’élection : ce que je fais déjà, mais avec un mandat.
Interpeller.
Leur botter le cul.
Avec des commissions d’enquête.
Avec des PDG, des hauts fonctionnaires, qui sont livrés à l’Assemblée sur un plateau, inutile de les poursuivre à leur AG ou leur QG.
La » fonction tribunitienne « , ça s’appelle.
Etre une voix des gens, du peuple, d’en bas.
Ça, je crois que je saurais faire. Le travail législatif, les amendements, franchement, je suis moins sûr…
Et si nous perdons ?
Si nous perdons, il faudra éviter l’amertume.
En 1848, la Seconde République instaurée, pour la première fois une élection va se dérouler au suffrage universel. Pleins d’espérance, les intellectuels d’alors, Sand, Hugo, Vigny, Baudelaire, Flaubert, s’engagent. Lamartine, Vigny, Leconte de Lisle présentent leur candidature. Cependant, comme le raconte Paul Lidsky :
Ils allaient souvent transporter dans l’arène politique leur idéalisme, croyant qu’il suffit d’aller aux masses et de leur dire la vérité pour que celle-ci apparaisse lumineuse et que règne un gouvernement du Beau, du Vrai et du Juste.
Cette confrontation avec les masses et l’action est pleine de déceptions. Leconte de Lisle, lors d’une de ses conférences à Dinan, est presque lapidé par la foule et doit se dérober en sautant par les fenêtres.
La réaction ne se fait pas attendre : ‘‘Que l’Humanité est une sale et dégoûtante engeance ! Que le peuple est stupide ! C’est une éternelle race d’esclaves qui ne peut vivre sans bât et sans joug. Aussi ne sera-ce pas pour lui que nous combattrons encore, mais pour notre idéal sacré. Qu’il crève donc de faim et de froid, ce peuple facile à tromper qui va bientôt se mettre à massacrer ses vrais amis ! »
Un siècle et demi de république nous a fait perdre cette naïveté, cette touchante candeur. Mais un peu de cet idéalisme nous habite encore, et se sentant rejeté, nul n’est à l’abri des affres de la déception. Il ne faudrait pas que, suite à un score minable, notre » populisme de gauche » vire à l’élitisme de droite…
Si nous perdons, donc, il y aura toujours des gains sur le chemin.
De l’expérience, à coup sûr, car nous partons en novices : du savoir-faire accumulé pour d’autres campagnes, des erreurs qu’on ne refera plus, des jeunes qui mûrissent, des figures qui émergent. Peut-être la gauche locale, si déchirée, qu’on aura remise en ordre de bataille, à qui sera revenu le goût du combat (et pas du combat entre soi !). Et aussi, mille rencontres, des amitiés naissantes, des amours qui sait, une vie en accéléré…
Au pire du pire, on aura toujours vécu ça, une aventure.
Nous aurons vécu tout court. Et c’est déjà beaucoup.
Mais au conditionnel, tout ça : l’unité de la gauche, et quelle condition par les temps de déchirements qui courent. Si j’y parviens, s’ouvre à moi une carrière de médiateur au Proche-Orient…