L’autre France insoumise

France insoumise Saint-Maurice (Amiens), mardi 11 octobre. Karine vote Front national. Contre les Arabes ? Non, contre les patrons !

Publié le 17 janvier 2017

Ce soir, dans ce quartier popu, la projection de Merci Patron ! n’attire pas les foules. La conseillère départementale, Dolorès Esteban, apparentée coco, a pourtant glissé des tracts dans pas mal de boîtes aux lettres. Mais seules deux femmes viennent. C’est le record : deux !
J’ai le moral en vrille. Avec Loïc, on a bloqué notre soirée, transporté le matos, installé le rétroprojecteur, la sono, l’écran, tout ça pour deux spectatrices.
Alors que je pourrais me faire applaudir, en ce moment, au festival du film de Vancouver.
Mon côté missionnaire vire au masochisme. Pendant la projo, on se réfugie au kebab du coin :  » Je les ai rencontrées à la permanence, nous raconte Dolorès. Elles ont plein de soucis, de logement, d’emploi, de justice, etc. J’essaie de démêler leurs dettes, qu’elles aient au moins du chauffage pour l’hiver.  »
On revient pour le générique.
 » Ça vous a plu ? je me renseigne.
Ah ouais, c’est exactement ça. C’est la réalité qui est montrée.  »
Comme débat, ça me suffit pour ce soir. On empile les chaises, range les tables, avec leur aide.
 » Alors, vous allez voter, Madame L. ? lance Dolorès.
Ah oui oui, ma grand-mère s’est battue pour ça, moi je vote toujours.  »
Dolorès semble à la fois surprise et contente : une électrice ! Peut-être une militante bientôt…
 » Depuis mes 18 ans, je vote Front national « , poursuit, fièrement, la dame.
Là, Dolorès titube.


 » Y a que Marine qu’on n’a pas essayée !  » Second coup au plexus. Moi je me marre, discrètement. Dolorès se redresse, part dans une démonstration sur
les votes du FN au Département, les propos contre l’avortement de la conseillère, contre le planning familial, contre la pilule dans les lycées, etc.
 » C’est contre les Arabes ? je m’informe de mon côté.
Non, non, ça se passe bien avec eux, m’explique Madame F. Ce qu’il y a, c’est qu’on trouve qu’on n’a pas assez d’aides.
Et vous croyez que c’est le FN qui va renforcer les aides ?  »
De fil en aiguille, et comme c’est mon métier, elle me livre son histoire :  » J’ai fait maçon, j’ai fait peintre‑décoratrice, mais après, pendant douze ans, je travaillais comme coursier dans le médical. Je prenais les comptes-rendus d’analyse dans les labos et j’allais les porter. On était toutes les deux là-bas. Et puis, sans nous le dire, ils nous ont fait passer en auto‑entrepreneurs. On ne le savait pas. Ils ont imité nos signatures, faux et usage de faux. Mais la justice n’a pas retenu notre plainte, et ça nous a mis dans des galères… On a tout perdu.
— C’est vos chefs qui ont fait ça ?
— Oui. Depuis, j’ai retrouvé un travail, où je fais de tout, du ménage, du rangement, de la logistique… Mais avec mes ennuis médicaux, une hernie discale, je ne peux plus bouger. C’est terrible pour une manuelle. Parce que moi, c’était
“travail, travail, travail”.
— Et vous n’avez pas le droit à une allocation handicapée ?
— Non, je ne suis qu’à 50 %. Il faut 75 %.
 »


Sans servir une leçon, m’enfin, quand même, ça me chatouille d’en revenir à la politique :
 » Mais quand vous me racontez ça, votre adversaire c’est qui ? Les
Arabes ou votre patron ?
— Le patron. Comme dans votre film, ceux qui ont les moyens. Pour eux on est
des pions.

Si vous me disiez : ‘‘Nous, on est contre les Arabes, on les voit en djellabas, ma voiture a brûlé, je me suis fait agresser… »
Non, elle m’interrompt, moi je me suis faite agresser une fois, quand j’étais en scooter, c’était un Français, un drogué.
Bref, si vous me disiez : ‘‘Je me suis fait agresser par des Arabes”, je vous dirais : “Je ne suis pas d’accord, mais c’est cohérent ». Tandis que là, au vu de votre
récit, voter FN, c’est pas cohérent du tout. Je sais pas, la Sécurité sociale, vous êtes contente de l’avoir, non ?
— Bah ça oui.
— Et les congés payés ?
— Oui.
— Mais tout est venu par la gauche ! Rien, jamais, par l’extrême droite ! Dans le programme du FN, y a pas une seule fois le mot
‘‘égalité »…  »
Le débat se prolonge comme ça, à quatre voix, dans la salle, et puis dehors sur le trottoir, et puis on a convenu de se revoir.
Finalement, je suis heureux de ma soirée :  » C’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de discuter comme ça, franchement, avec des électeurs FN. Souvent, ils ont
un peu honte…
— Moi pas du tout,
me rembarre Karine (parce qu’à la fin, c’est devenu Karine) Toutes nos familles elles votent Front national ! « 

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