« On a fait venir des salariés de Cherbourg, Chambéry, Toulouse, Montpellier, Grenoble, Marseille, et Paris évidemment… On a installé le barbecue. C’était vraiment la CGT, avec les merguez et tout. Y avait même un concert.
Les journalistes ont envahi notre installation : on n’avait jamais vu ça ! Thierry, notre secrétaire, a donné une dizaine d’interviews… »
Le 18 mai dernier, c’était l’Assemblé générale des actionnaires de Capgemini. Et des salariés s’y sont pointés aussi.
» L’augmentation qu’il nous proposait, on a calculé, ça équivalait à deux pizzas et un café par an. Et dans le même temps, le PDG s’augmente de 800 000 euros ! Et une partie des bénéfices part dans le rachat d’actions pour faire monter les cours. »
Malgré ça, Corinne et ses copains de la CGT peinent, d’habitude, à rameuter les troupes : » Dans la boîte y a 80% de cadres, c’est pas des gars qui dirigent, mais c’est des ingénieurs, des techniciens. C’est pas des gens habitués à faire grève. Mais petit à petit ça vient. Ils commencent à avoir les mêmes problèmes que nous. »
Faut dire que, désormais, le » numéro 1 du service informatique en France » emploie deux fois plus de personnes en Inde qu’ici. Ça fait penser à la conclusion du livre Le grand bond en arrière, de Serge Halimi :
» La même logique [de délocalisation] menaçant de s’étendre prochainement à des professions de plus en plus spécialisées (y compris de conseil juridique, médical, éditorial), les effets positifs du libre échange pourraient bien ne plus seulement être mis en doute par des ouvriers populistes mal dégrossis. Si des ingénieurs, des diplômés de troisième cycle, des polyglottes entrent dans la danse de la contestation, l’ordre libéral va devoir trouver autre chose comme réponse à l’inquiétude générale que le rabâchage des théories de Ricardo. «

» Et pourtant, poursuit Corinne, Paul Hermelin, c’est un patron qui se dit socialiste, c’est un ami de Hollande, et ancien directeur de cabinet de DSK. Il était même sur une liste PS à Avignon. Du coup, on s’est dit qu’il fallait qu’on l’attaque sur son image. »
Avec leur banderole » A gauche, bordel ! « , ils interpellent leur PDG : » Dans l’équipe y a pas mal de fans de Merci Patron ! Alors, on s’est un peu inspiré de vous, on s’est fait des tee-shirts ‘Merci Paulo !’. A un moment, on était encore en train d’installer notre campement, quand on voit arriver un homme pas très grand avec une canne, costume-cravate. Il me serre la main. La plupart d’entre nous ne l’ont pas reconnu. Je regarde le tee-shirt d’un copain, et là je percute, c’était Paulo, Paul Hermelin, avec ses deux gardes du corps.
– Qu’est-ce qu’il vous a dit ?
– Y avait de la curiosité, je crois. En fait, il voulait prendre son tee-shirt ! Tu vois, c’est des gars, ils aiment bien la notoriété. Avec cette action, on l’a fait entrer dans la liste des patrons connus, comme Bernard Arnault et tout. »
La réaction des actionnaires est plus mitigée : » C’est incroyable ce qu’on a pris dans la tête pendant qu’on leur distribuait les tracts : ‘La CGT, on va vous supprimer !’, ‘C’est grâce aux Indiens que vous avez encore du travail, vous devriez les remercier !’ »
A l’intérieur, devant les dirigeants et les actionnaires, Claude lit les revendications : » Nous vous demandons de rouvrir les négociations annuelles, et d’octroyer une augmentation de mille euros annuels par salarié pour cette année de résultats exceptionnels. »
Hilarité générale dans la salle.
Pas d’éclat de rire, par contre, quand Paul Hermelin demande une augmentation de 18%, votée à la quasi-unanimité. Comme celle des dividendes, qui grimpent de 12,5%. Rien d’extravagant, sûrement, dans cet accord gagnant-gagnant.
Et pour les salariés ?
» Ça nous a regonflés à bloc. Les salariés nous disent ‘bravo’.
L’objectif maintenant, c’est de mettre une dimension internationale. On est en relation avec des syndicats en Italie, en Espagne, etc. L’année prochaine on fait monter toute l’Europe ! »
Et l’Inde, même ?