Terre, Notaires et coup de poker

Après quinze ans de labeur, Bastien se voit dépossédé de sa terre bio. Mais son équipe de choc va renverser le pacte secret des notaires…

Publié le 15 octobre 2020

« Je suis arrivé la fleur au fusil, je suis ressorti à poil ! Ils m’ont pris pour un gueux qu’il fallait virer. Heureusement, les gens se sont mobilisés… »
Il se marre, Bastien : on jurerait qu’il n’y croit toujours pas. C’est qu’en quelques mois, il a failli tout perdre, ce terrain sur lequel il se pétait le dos depuis quinze ans : la ferme du Guerniec, à Daoulas, tout au bout du Finistère.

En 2004, à 25 ans, il revient sur ces terres familiales, qui appartiennent un peu à tous ses grands-oncles, tantes et compagnie : 30 hectares en pente, entre littoral et autoroute quatre voies, zones humides et bois non cultivables. Et des ronces, beaucoup de ronces. Des sols qui ne valent pas grand-chose, donc. Dix ans plus tôt, ses parents, qui se séparaient, les avaient laissés en friche.
Bastien, qui s’est formé entre-temps à la restauration bio, « passionné par le bien manger », y revient avec des rêves de permaculture plein les bottes. « Paysan-pêcheur professionnel », il tient sa terre à bout de bras en pêchant huîtres et palourdes le matin, en aménageant le terrain l’après-midi. Année après année, ça prend forme, même si « personne ne s’intéressait à ce que je faisais ».
Sauf que les membres de la famille n’avaient jamais réussi à se mettre d’accord sur le devenir des parcelles. Conformément à la loi, le notaire prend alors les choses en main pour les vendre aux enchères. Bastien s’en va donc les acheter, confiant. Et c’est là que tout se complique…

Faut dire que, peu avant, il s’était mis à dos les notaires du coin en empêchant la construction d’un supermarché en haut du village. Aussi, quand la succession doit être réglée, il s’agit d’envoyer ailleurs l’empêcheur de bétonner en rond. Dans le cabinet du notaire, « je pensais être le seul acquéreur mais mes voisins, trois gros producteurs céréaliers et porcins, qui touchent beaucoup de subventions mais en voulaient encore plus, étaient là. Des gens que je croisais tous les jours ! Il y avait aussi un cabinet d’affaires en droit européen, venu de Paris. Je n’y comprenais rien ». Alors qu’il pense avoir « compté large » avec un chèque de 45 000 euros, les différents lots de « sa » terre partent à plus de 100 000 : les pseudo-acquéreurs ont sans cesse relancé pour le mettre hors-jeu. « Ils m’ont fait la peau, quoi… »

« Avec Léna, ma compagne, en sortant, on était verts… Mais on s’est dit qu’on ne pouvait pas se laisser faire. On a organisé une réunion publique dans la salle communale du village la semaine suivante. On s’est retrouvés à deux cents ! Ça nous a permis de monter une équipe de choc : le frère d’un pote, notaire à la retraite, un entrepreneur, un syndicaliste… » Première décision de cette Agence tous risques de l’agit prop’ : « Ne pas attaquer en justice, ça aurait pris trop de temps, trop d’argent. Ce qui a été décisif, la grande clé de cette affaire, c’est qu’on a réussi à entraîner tout le monde derrière nous. Moi, je suis militant, je peux être con, clivant, tu vois… Mais l’entrepreneur m’a dit ‘‘Non, faut qu’on soit tous ensemble, toutes les forces’’. » Le bouche à oreille fonctionne, les courriers pleuvent chez le maire, le député, les conseillers départementaux, qui se joignent à la cause. « Ça a fait boule de neige. » Une pétition en ligne atteint les 80 000 signatures. Le notaire retraité débarque parfois en pleine nuit après avoir repéré une faille chez la partie adverse…

La mobilisation joue son rôle : la Safer du coin (les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, chargées de veiller au bon aménagement des campagnes) préempte le terrain et autorise son rachat. « Bon, il aura fallu la forcer un peu… Mais le poids des gens ou les articles dans la presse ont été décisifs. Sans ça, on m’aurait laissé mourir dans mon coin. » Un groupement foncier est créé, un appel à participation lancé : des milliers de personnes payent 5, 10 euros pour racheter une once de terre et voir Bastien s’y installer. « On reçoit des cartes postales de toute la France : ‘‘Tenez, mon argent est mieux là qu’à la banque !’’ Comme quoi on peut soutenir l’agriculture bio sans être paysan. »
Et à la fin, c’est nous qu’on va gagner… du terrain !

Articles associés

Pour ne rien rater, inscrivez-vous à la

NIOUZLAITEUR

Les plus lus

Les plus lus

Retour en haut