Mariage d’amour. 5 septembre, Val-de-Nièvre.
« Mariage pluvieux, mariage heureux » : il avait dû faire beau, ce jour là…
Ce samedi matin, dans le Val de Nièvre, on boîtait mon journal de député. Une mamie, sur son pas de porte, dans une cité portugaise.
« Ça s’est bien passé, le confinement ?
— Oui, de toute façon, je suis plutôt une femme de maison. Le seul souci, c’était mon fils handicapé, qui est resté ici tout le temps… (Elle souffle, secoue la main.) Ça chauffait…
— C’est mental, son handicap ?
— C’était physique, mais ça monte à la tête. Il faisait trop de sport, déjà tout jeune les médecins lui disaient, et à l’armée, ça lui a fait un souci à la colonne vertébrale. Sauf que l’opération a raté, sa jambe ne bouge plus, et depuis, il ne s’en remet pas. Il est toujours en colère.
— Ça le révolte ?
— Voilà, c’est ça. Il prend plein de médicaments pour se calmer, mais ça l’abat parfois, ça lui fait des crises… On dirait son père, et il voit qu’à ce moment là il ressemble à son père, et ça il essaie de résister, et ça l’énerve encore plus.
— Mais vous l’avez choisi, votre mari ?
— Non, c’est mes parents. C’était horrible.
— Et vous avez passé combien d’années avec lui ?
— Vingt cinq années. Heureusement, là, il est mort.
— Et vous diriez que les vingt cinq années étaient horribles ?
— Ah oui, horribles. Il criait, il me volait tout mon argent, il me surveillait, il me tapait… Et c’était une époque, on ne pouvait pas se plaindre. Je n’ai trouvé aucune aide. Les voisins étaient pas contents, parce que ça faisait du bruit. Il fallait déménager. Quand je suis allée au commissariat, les policiers m’ont répondu : “Vous êtes mariés, on ne peut rien faire.” Ensuite, je me suis séparée, j’ai abandonné mon métier, j’ai quitté Paris pour venir ici, mais il me poursuivait encore ! Il m’attrapait ! Ça faisait des scènes ! Et maintenant le fils… Heureusement, lui, il me tape pas. »
Hubert intervient : « J’ai repeint toutes les maisons de la cité, ici… Catherine Thierry a dû venir, ici, aussi, vous savez, la bonne sœur, parce que les Portugais, vous êtes catholiques…
— Ah oui, catholiques, on est catholiques, des bons catholiques… On tient pour Dieu. » Puis, se tournant vers le ciel, souriante, sarcastique : « Mais Dieu, on se demande s’il tient pour nous… »
J’aurais dû parler de Sarkozy. 11 septembre, Mégacité, Amiens.
Quand l’Histoire officielle (et les marcheurs) veulent oublier les AVS, à nous de les pousser sur le devant de la scène.
« On vous a apporté des cartes postales, vous voyez “Gros câlin”, avec le chat, c’est gentil, pour que vous les transmettiez aux ministres. Et même des chocolats de chez Trogneux… »
C’était la rentrée des députés Marcheurs, à Amiens, ce vendredi. L’occasion, avec Annie, Véronique, Martine, Assia, de rendre visible leur travail invisible, d’auxiliaires de vie sociale, d’accompagnantes d’enfants en situation de handicap.
On arrive.
Les micros (sous cellophane) se tendent, les caméras se figent.
Je fais mon numéro : « Ce printemps, le président Macron déclarait que “le pays tout entier repose sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal.” Quelques mois plus tard, qu’est ce qu’il y a pour elles dans le plan de relance ? Des milliards pour Amazon, oui, pour Procter et Gamble… mais pour Annie, pas un euro ! Pas un euro pour Véronique ! Pas un euro pour Martine ! Pas un euro pour Assia ! »
J’ai fini.
« Monsieur Ruffin, est ce que vous auriez une réaction aux propos de Nicolas Sarkozy qui…
— Ah non non non, je suis là pour elles. Je ne veux pas polluer mon message avec des polémiques… »
Les médias ont fini, micros et caméras au repos.
« Mais elles sont là, elles ! j’insiste. Vous pouvez les interroger, elles ! »
Alors, par politesse, micros et caméras reprennent du service.
« Euh, Mesdames, pourquoi vous êtes là…
— Moi, je viens défendre mes collègues qui s’occupent des enfants handicapés dans les écoles. On ne reçoit aucune formation, donc on s’auto-forme, le soir, chez nous, sur Internet, en regardant l’autisme qu’est ce que c’est, la dyslexie, en préparant des cours adaptés… Mais tout ça pour combien ? 800 euros », etc.
C’est une bataille, toujours, de les imposer sur la photo.
Comment s’écrit l’Histoire ? Le Grand siècle, c’est Louis XIV et sa cour, Versailles et les cacas du roi qui effacent entièrement les millions de paysans ou d’artisans.
Il en est de même, aujourd’hui, avec l’actualité, réduite aux joutes entre les dieux de l’Olympe politique, Macron, Castex, Mélenchon, etc., et même moi, parfois. Mais nulle pour ces femmes et ces hommes qui tiennent le pays tout entier.
« Est ce qu’on fait Ruffin par acquit de conscience ? » se demande à mi voix le journaliste de TF1.
Il hésite. Interroge sa collègue de BFM.
« C’est intéressant, ce qu’il raconte ?
— Non. »
J’aurais dû parler de Sarkozy…
Une alternance pour Sabrina ? 12 septembre, Flixecourt.
Elle a du courage et des qualités à revendre, Sabrina. Mais pas assez pour un petit contrat en alternance…
« J’ai arrêté de travailler quand on a découvert une maladie génétique à ma fille, Sabrina… » Au Café du Centre, à Flixecourt, Christelle est venue en famille, juste comme ça, pour se donner des nouvelles depuis le temps du rond point et du Gilet jaune. « Elle a subi deux opérations du crâne, et elle devait en avoir une troisième à ses dix huit ans, mais le professeur Duvauchelle préfère repousser à ses vingt ans. Même s’il sera à la retraite, il reviendra pour elle. C’est un peu sa chouchoute… »
Je me tourne vers la gamine, « et toi, tu fais quoi, alors ? », timide comme une gamine, en retrait derrière ses lunettes.
« Je cherche une alternance. J’ai une place à la Maison Rurale, pour un BTS management, mais il me manque l’entreprise. »
Christelle reprend : « Elle a obtenu son bac avec mention, mention bien. Jamais elle n’a voulu se reposer sur son handicap, elle l’effaçait plutôt. Par exemple, jamais elle n’a dit qu’elle était sourde, on ne le savait pas. Pendant des années, elle lisait sur les lèvres, elle se débrouillait toute seule. Jusqu’à faire un malaise, un jour, et alors nous, ses professeurs, on a compris. Elle est maintenant appareillée des deux côtés. »
Un coup d’œil, ça ne se voit pas, les oreilles cachées par sa longue chevelure brune.
« Elle a son projet : c’est le BTS management, et ensuite, de partir un an en Espagne, à Tenerife, pour compléter avec une formation en commerce international. Elle a déjà fait un stage là bas, ça lui a énormément plu, des gens sont prêts à l’accueillir… Mais là, c’est la galère, y a aucune entreprise pour la prendre.
— Tu fais beaucoup de démarches ? je lui demande.
— Ah oui ! Ce printemps, avant le confinement, j’étais allée chez Jennyfer, chez H&M, pour me proposer comme vendeuse en alternance. C’était plutôt d’accord, ils m’avaient dit : “Reviens après ton bac.” Mais là, j’ai rappelé, et tous les magasins, c’est : “On attend, avec ce qui se passe…” J’appelle des entreprises toutes les semaines, j’ai envoyé au moins cinquante CV, partout c’est : “On attend.” Mais pour moi, si ça ne se débloque pas avant décembre, je perds ma place en formation. Dans toute ma classe, y en a qu’une seule qui a trouvé une alternance, et c’est en partant dans le Sud.
— Et tu veux pas faire un BTS normal, sans alternance ?
— Non, je n’aime pas trop les cours.
— Et elle veut gagner des sous, ajoute Christelle, elle veut quitter ses parents, habiter du côté d’Abbeville avec son copain, passer le permis… Et pour elle, c’est la galère, parce qu’elle n’a droit à rien, là, ni à une bourse ni à la garantie jeune…
— Et tu ne veux pas être reconnue adulte handicapée ? »
Sabrina secoue la tête.
« Non, elle ne veut pas. Elle ne veut pas faire le dossier. Je lui ai proposé, mais elle refuse. Comme elle est majeure, c’est à elle de décider. »
Et on sent bien, quand même, chez la mère, une fierté de ce refus.
On a causé de la pauvreté chez les jeunes, de l’envie d’avoir envie, de la crise en cours, etc. Je lui ai dit, aussi, combien j’étais confiant pour elle : elle a trouvé le courage, durant des années, de surmonter sa maladie, son handicap, elle s’est forgée une force qui ne va pas la quitter, et de cette épreuve nouvelle, de cette attente, je suis convaincu qu’elle saura faire une chance pour découvrir – je l’espère – d’autres horizons.
Mais bon, laissons tomber la petite philo, passons plutôt une petite annonce : y aurait pas, dans la Somme, entre Amiens et Abbeville, une boutique pour permettre une alternance à Sabrina ? Pour qu’elle poursuive son parcours hors norme ?
Envoyez-nous un message, on transmettra…