Les petites mains : la révolution se fera le ventre vide

Un esprit sain dans un corps sain ? Traduction du boss : « travailler plus pour manger moins »…

Publié le 15 octobre 2020

« Ah, ça fait du bien. Franchement, ça fait du bien… »
C’était pendant notre grand séminaire, début juillet, dans la campagne picarde. Cyril était tout heureux, comme une renaissance : au menu, des légumes, en gratin même, quelques fruits, un repas normal quoi.
« Mais t’as pas mangé depuis combien de temps ?
– Ben, trois jours, il calcule, la bouche pleine. Trois jours de bouclage, donc trois jours bouclé au canard, sans sortir.
– Mais y avait rien dans le frigo ? »

Scrontch.
« Y avait un truc mais c’était trop moisi pour que je devine ce que c’était. Alors j’ai trouvé une grosse boîte pâté Picard, super bon, mais matin, midi et soir, on s’en lasse.
– Mais y avait rien d’autre ? »

Scrontch.
« Ah, si : la compote de pommes.
– Mais elle est périmée depuis un bail ! J’osais même plus toucher la boîte !
– ça me dérange pas. Ça m’a fait un dessert.
– Mais tu pouvais pas aller te faire des courses ? »

Scrontch.
« Pas le temps : on avait trop de boulot, on a fini à une heure du mat’ tous les soirs… Après, j’étais crevé, je me jetais direct sur le clic-clac, celui avec les lattes qui te rentrent dans le dos… »

Puisqu’on était en séminaire d’équipe, premier du nom, c’est venu sur le tapis.
On ne pourrait pas veiller à la santé physique, et donc mentale, des salariés ? Des tickets resto, ou un truc comme ça ? Un forfait bouffe pour les Petites mains du week-end ? On pourrait pas budgétiser tout ça ?
Le boss a fermé les yeux, s’est pincé le haut du nez entre le pouce et l’index, et a fourni une première forme de réponse, pour clore le débat.
« Vous connaissez Howard Bloom ?
– C’est un cuisinier ? un chef étoilé ?
– Nan, nan… C’est un auteur américain, scientifique et spécialiste des civilisations anciennes, aussi, un gars un peu foutraque, mais qui a écrit un truc intéressant, un jour… »

Il a toujours le chic pour nous sortir une citation qui endort le débat, et notre colère, comme le barrage ralentit le débit du fleuve.
« Il a écrit, donc, dans un de ses bouquins : ‘‘La stratégie athénienne grimpe au sommet lorsque les choses se passent bien. Mais la mentalité spartiate s’empare du trône lorsque le monde tourne mal.”
– Et donc ? On va occuper le Parthénon pour revendiquer des tickets resto ?
– C’est pour dire, les enfants, qu’on en est là, au moment où le monde
‘‘tourne mal’’ ! La crise sanitaire, la nature qui s’effondre, l’économie qui se casse la gueule, des chômeurs par millions, et vous, dans tout ça, vous voulez quoi ? Des tickets resto ? Si on veut prendre notre part dans le grand mouvement qui va remettre l’histoire sur ses rails, vous pensez vraiment qu’on peut s’attarder à table, bâfrer à plus n’en pouvoir, café et digestif, avant de retourner à la lutte ? Non : c’est l’heure des spartiates. »
Quand même : la culture antique, ça ne remplit pas l’estomac…
« Mais tu te rends pas compte… Si on perd en force physique, le mental ne peut pas suivre ! Tu vas te retrouver avec toute une équipe de fantômes… On n’arrivera plus à bosser !
– L’esprit commande au corps ! ‘‘De fortes convictions sont le secret de la survie ; on peut avoir l’esprit plein, même si on a le ventre vide.’’
– Encore un auteur inconnu ?
– C’est de Nelson Mandela. »

C’est pas gagné, le plateau repas – champagne dans le jacuzzi…

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