Nos lecteurs sont les meilleurs ! (n° 114)

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Publié le 15 octobre 2024

Mon père, l’amiante et Delon

De Cédrik, De Rouen, par courrier.

Cher Fakir,
dans un de tes précédents numéros, j’ai lu un article qui évoquait les victimes de l’amiante et me suis senti concerné sachant que mon père allongerait bientôt la liste des morts du travail.
Jean-Michel est né en 1953 d’un père ouvrier menuisier et d’une mère au foyer qui éleva six enfants dans une maison HLM en banlieue de Rouen. Famille modeste et banale.
Il commence à travailler à 14 ans, passe un CAP de serrurier et après deux ou trois employeurs fera toute sa carrière dans les ascenseurs Otis puis Soretex, qui deviendra Thyssen.
Installer les ascenseurs dans les immeubles en construction : amiante. Pendant des années.
Mariage à en 1972. Il a 20 ans, elle en a 19.
J’arrive en 1973.

Ma mère est née d’un père maçon, alcoolique et violent avec sa femme et ses enfants. Mon père et son mariage sont des échappatoires. Ma mère étant l’ainée, elle prend rapidement ses frangins sous son aile qui viennent vivre à la maison l’un après l’autre et partagent ma chambre et mon lit deux places jusqu’à mes 16 ans environ. Dès que l’un fait sa vie, le suivant arrive.
Mon père a sacrifié une partie de sa vie d’homme, de sa jeunesse, pour héberger nourrir blanchir tout ce petit monde. Ajoutons l’arrière-grand-mère veuve qui vient finir sa vie dans le salon (on ne laisse pas les vieux dans des mouroirs, et c’est trop cher de toute façon), et moi qui me pointe avec un bec de lièvre qui nécessite des opérations, de l’orthophonie et autant d’inquiétudes pour les jeunes parents.
Quinze ans plus tard tout le monde est sauvé, j’ai bien grandi, on peut se poser un peu.

Mais Jean-Michel a le dos cassé. Interdiction désormais de porter des lourdes charges.
57 ans : retraite anticipée, pour cause de maladie professionnelle, amiante.
Ma mère aura droit à une préretraite (en fait plan de sauvegarde de l’emploi…) presque en même temps après une carrière à l’usine.
Jean-Michel est mort cet été, a 71 ans à cause du travail.
Josiane se retrouve toute seule, un peu perdue,
mais ça va aller, il faudra.
Quelques jours après, Alain Delon est mort. Autant dire que le traitement médiatique de sa disparition m’a semblé décalé a côté de ce que je vivais. Mon père n’était pas connu, pas un intellectuel, une star, un homme politique… Il n’avait pas fait d’études, mais il avait quelque chose de précieux : la générosité, la curiosité, et la gentillesse. Et aussi une chose : le savoir-faire de ses mains. Parce qu’un fils d’ouvrier a vu faire ses parents, ses frangins, les cousins, les collègues. Le bois, le métal, la plomberie, la peinture, l’électricité : il savait tout faire de ses mains avec le sens du détail et de la finition. L’intelligence du manuel : le savoir-faire qui n’a rien à voir avec le savoir de l’intellectuel qui parle bien mais « ne sait pas changer une ampoule », comme il disait en rigolant.
Des histoires comme celle-ci, il y en a des milliers,
des millions ?
C’est pour ça que je te lis, Fakir.
Parce que dans tes pages, on parle de ces vies.
Ça fait du bien de savoir qu’on est pas seuls à venir de ce monde d’ouvriers, qu’il y circule encore des valeurs, de l’espoir et de la révolte.
Le responsable de ces destins cassés n’est pas le pauvre d’en face mais bien la politique ultralibérale qui méprise les hommes au profit d’une poignée de riches assistés.
Face à cela, Fakir, je te remercie de mener ton action : faire savoir.

Fakir au féminin

De Gipsy (Aubagne, 13), le 23 septembre.
Bonjour les Fakiriens,
mon idée : vous voir créer une rubrique « Fakir femmes » (ou autre titre), un espace pour et par des femmes qui pourraient prendre la parole, s’exprimer, traiter de différents sujets / problèmes sociaux (donc politiques), linguistiques, familiaux… vus sous l’angle de femmes. Pour apporter, à travers Fakir, une pierre à l’évolution collective. Car, en plus du système capitaliste, nous avons, nous les femmes, à subir ce système patriarcal. Je suis à votre disposition pour vous transmettre différents projets d’articles personnels, peut-être utiles pour créer un dialogue avec d’autres lectrices de Fakir !

Le bon et le mauvais patron

De Julien (33 ans), de Paris, par email.

Je suis patron (mot que je n’aime pas beaucoup) d’une brasserie, bar à cocktails situé à deux pas du Louvre. C’était une entreprise familiale en perte totale de vitesse que j’ai reprise en 2019. Je viens d’une famille modeste. De la France des beaufs ou de la campagne, comme on dit dans la capitale. Je me considère comme un patron 2.0. Un humaniste sûrement un peu trop utopiste mais qui se sent mal dans cette société. Je ne crois pas à la main invisible du marché ou au capitalisme mondialisé. étrange pour un patron. Chez moi, pas de smicards. Les serveurs font 39 h sans coupure sur cinq jours, ils gagnent entre 2500 et 3000 € net. J’ai une trentaine de salariés. Moi par contre je bosse comme un chien. Criblé de dettes et avec toujours des trous de planning à boucher. Je suis un habitué du 7/7. Mais je ne viens pas pour faire pleurer.

Je dis souvent qu’il y a deux types de dirigeants, de patrons. Il y a celui qui, au loin sur son cheval, regarde la bataille en donnant des ordres dans son beau costume et il y a comme moi Mel Gibson dans Braveheart qui court en première ligne, les mains sales. Pourquoi je dis « patrons » ? L’amalgame est trop souvent fait. Ils ne jouent pas avec leur argent. Demain, si je me crashe, je ne pars pas avec un parachute doré. Je perds tout et je n’ai droit à rien. Comment puis-je regarder dans les yeux tous les jours mes gars quand je mange avec eux si je gagne 200 fois leur salaire et qu’ils galèrent ? C’est humainement impossible.

La Palme du fayot

Le jury du grand prix de la Lèche a dû se montrer sévère sur vos candidatures, ce mois-ci. Mais Philippe, de Nîmes, a tout de même fait chavirer son cœur : « Ce qui me touche c’est l’humanité, l’humilité, le courage, le travail qui apparaît dans chaque article, chez chacun-e d’entre vous. Vous êtes, à mon avis, exceptionnels dans la presse. » On en était tout émus, vraiment. François, lui, est arrivé avec ses gros sabots, désignant Fakir comme son « journal préféré, [sa] piqûre de rappel contre toute la propagande » et attend le journal pour se dire « qu’il peut y avoir un autre monde, qu’il y a des luttes qui payent. Merci pour votre antidote. ». Et de conclure, confiant : « Bon, si avec cela, je ne passe pas dans le Fayot du mois, je ne vois pas ce que je peux faire. »

Eh bien on va te le dire : imiter Jean-Louis, de Vollore-Montagne (63), qui préfère les actes aux paroles : « Avec le n°113 et la proposition de réabonnement j’ai découvert deux enveloppes prépayées. Imaginez mon désarroi… Allais-je vous laisser vous enfoncer financièrement en n’utilisant qu’une enveloppe? Mon sang n’a fait qu’un tour, et j’ai abonné un être humain que j’aime. Mais je soupçonne la multinationale Fakir de l’avoir fait intentionnellement. Qu’importe, je vous aime et vous lis avec délice. »
Profite avec délice de notre distinction suprême, Jean-Louis : la Palme du Fayot, la seule, la vraie !

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