Le Capital raconté par… mon pot de miel

Quels liens entre notre caddie et leurs profits ? Quelle part de notre porte-monnaie va dans la poche de l’actionnaire ou de l’intérimaire ? Les petits objets du marché de proximité racontent les grands marchés mondialisés. Fakir remonte la filière de la production et de l’exploitation.

Publié le 15 octobre 2024

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Happy-culteurs ?

L’apiculture est en crise. La faute au réchauffement climatique, à la disparition des pollinisateurs (exposées à une température de 42°C pendant quelques heures, les abeilles expulsent d’elles-mêmes leur abdomen), aux monocultures, aux pesticides comme les néonicotinoïdes… En outre, selon Christophe Brusset, ex-négociant pour l’industrie alimentaire, les tarifs qu’imposent la grande distribution et les centrales d’achat empêchent les apiculteurs d’écouler leur production. On estime ainsi à 20 000 tonnes les invendus de miel bloqués dans les fermes de notre pays ! Pour beaucoup de professionnels du secteur, impossible de s’en sortir sans exercer un second métier à côté.
Mais pour les apiculteurs qui ont investi, les dettes restent à rembourser, même si les stocks ne s’écoulent plus. Les voilà ouvriers dans l’agro-alimentaire, chauffeurs pour abeilles (pour amener les ruches dans les rares champs aux espèces de fleurs encore diversifiées), soignants (pour des colonies d’abeilles en mauvaise santé, atteintes par les bactéries ou les parasites).

Devant un miel toujours plus difficile à produire faute d’abeilles, les faussaires y ajoutent des produits glucidiques, mélangeant des miels bas de gamme d’importation (notamment chinois, remplis de sucre de maïs et de riz) à leur propre production. Reste aux experts en packaging (très présents sur les marchés traditionnels) à habiller les pots d’une jolie étiquette sépia où l’origine frelatée sera à peine visible.

Le miel et les robots abeilles

Surréaliste : les abeilles étant désormais en nombre insuffisant pour assurer le travail de pollinisation, des entreprises se sont lancées dans la commercialisation de flottes de drones, capables de polliniser 16 hectares à l’heure, de jour comme de nuit. L’unique manière, pour l’heure, de disposer de fleurs de cerisiers, d’amandiers, à butiner. En Chine, pas de drones : ce sont des « hommes-abeilles » qui font le travail des insectes à l’aide de cotons-tiges pour 80 yuans (9 €) la journée.

Mieux, ou pire, encore ? Les inséminateurs qui, pour remédier à la disparition des populations, commandent des abeilles reines issues d’élevages artificiels par la Poste, avec quelques bonbons pour supporter le trajet. Elles seront ensuite estourbies au dioxyde de carbone pour leur injecter du sperme de bourdon…

À force de tirer sur la corde du profit, l’homme fini ainsi par détruire même ce qui est pourtant hautement rentable pour lui : la pollinisation assurée par les abeilles aurait une valeur économique d’environ 153 milliards d’euros chaque année. Et pour tous ceux qui ont observé au moins une fois cet insecte butiner, elle est inestimable…

Vol en cercle vicieux

Il faut le savoir : il n’existe pas de statut défini de la profession. N’importe qui peut se déclarer apiculteur, quitte à ne posséder aucune ruche. Si bien que, le comble : certains d’entre eux ne sont plus qu’importateurs ! Et voyez le cercle vicieux : face à la concurrence mondiale incontrôlée (les miels frelatés importés de l’étranger, notamment d’Ukraine et de Chine, le sont à des prix souvent inférieurs à 2 € le kilo), ceux qui travaillent encore dans les règles de l’art sont souvent contraints de frauder en coupant, eux aussi, leur produit.

Alors que les négociants des grandes enseignes accordent toujours la priorité au moins-disant et s’approvisionnent en Chine à prix ridicules, Muriel Pascal, elle-même apicultrice et porte-parole de la Confédération paysanne, réclame un prix plancher sur le marché français pour les produits de la filière apicole pour éviter la vente à perte. Le constat révèle en tout cas toute l’absurdité d’une course au profit, qui amène à importer du faux miel de l’étranger, et conduit ceux qui le récoltent ici à dénaturer le leur pour essayer de vivre de leur activité.

Du sucre sur le dos

Dans le domaine du miel, même le label AB n’est d’aucune utilité : il est tout à fait légal de certifier biologiques des produits de la ruche issus d’aires de butinage arrosées de pesticides (par ailleurs très difficiles à tracer comme le Fipronil, le Penconazole, le Carboryl, l’Endosulfan…). Autrement dit : la réglementation autorise à certifier bio un produit qui ne diffère en rien d’un produit conventionnel. Dans leur essai Le miel : le nouvel or jaune, les journalistes François Roche et Béatrice Mathieu invitent à abandonner l’image idéalisée que nous en avons, un aliment naturel qui soignerait et paré de toutes les vertus. Et on ne vous parle même pas du miel sans miel, ces sirops coupés avec de l’eau, des colorants et quelques antibiotiques. Selon le rapport « From the hives » (De la ruche), paru en 2023, près de la moitié des miels importés en Europe sont coupés au sucre. Et pour le labo officiel de la Commission européenne, 46 % sont de faux miels provenant de Chine et de Turquie. D’après Foodwatch, le territoire européen est une passoire : des milliers de tonnes de miels frauduleux sont vendues dans les supermarchés, et ruinent les producteurs locaux.

Pour couronner le tout, selon une étude de 60 millions de consommateurs, tous les miels contiendraient aujourd’hui des micro-plastiques, cette pollution insidieuse et généralisée. Et pourtant : mélangés, pasteurisés (ce qui leur fait perdre leurs nutriments, sans plus de valeur que du sucre), le miel s’échange toutefois sur le marché mondial par baril de 300 kilos, énième objet de spéculation.

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