Bougez avec le bus !

Elle paniquait, en tremblait, la vieille dame. Mais quoi de mieux que le collectif pour faire barrage à l’injustice ?

Publié le 15 octobre 2024

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« Je sais bien que ce n’est pas votre faute…
— Ben non, c’est de la faute à Pécresse, pour les Jeux olympiques ! »

À Sucy-en-Brie, je montais dans le bus, pour filer à l’entraînement de judo. Une dame d’un certain âge me propose de passer devant elle : elle doit acheter un billet au chauffeur. Elle lui glisse les 2,5 € réglementaires. Avant les J.O., du moins… à l’occasion de la grand-messe sportive, tous les prix des tickets ont doublé, au moins, en île-de-France.
« C’est 5 €, maintenant », la prévient le chauffeur. Je m’étrangle, et elle aussi ! 5 € pour un trajet en bus, quelques arrêts en zone 4… La vieille dame râle, à peine, mais y a de quoi.
Puis finit par s’excuser de sortir un billet de 20 €… sauf que le chauffeur n’a pas de quoi lui rendre la monnaie. « Je ne peux pas monter toute la côte à pied, je suis obligée de prendre le bus », elle se désole.
« Bon ben… allez-y, montez sans ticket » l’autorise le chauffeur, sympa. La vieille dame en tremble, presque.
« Et s’il y a des contrôleurs ? »
— Je leur dirai que je n’avais pas la monnaie, ne vous inquiétez pas. »

Elle avance péniblement jusqu’au milieu du bus, commence spontanément à discuter avec un autre passager, et « 5 € le ticket c’est complètement fou – ah bah on leur finance les Jeux ! – Au début, ils avaient dit que les transports seraient gratuits et là c’est 5 € le ticket… ».
Je prête l’oreille : ça m’intéresse tout ça.

Jusqu’à ce que ce qui devait arriver arrive, forcément : à l’arrêt suivant, deux contrôleurs attendent sous l’abribus. La dame les aperçoit, commence à paniquer… L’un d’eux rentre par la porte du milieu, nous demande nos titres de transport, bipe ma carte. La veille dame, la voix tremblante, lui explique qu’elle n’a pas de ticket, parce que pas de monnaie, que le chauffeur l’a autorisée à monter… Le voilà qui monte, direct, sur ses grands chevaux.

« Un ticket, vous aviez la possibilité d’en prendre un en gare madame.
— Je ne pouvais pas… j’aurais loupé le bus…
— Vous en auriez pris un autre.
— Je ne pouvais pas, j’ai un rendez-vous médical important…
— Donc vous faites comme vous voulez, c’est ça ? »

Ça me démange, et pas que moi : alors, avec l’autre gars, on monte au créneau.
« Le chauffeur lui a dit qu’elle pouvait monter sans ticket », je rappelle.
« Elle avait la monnaie sur 2,5 €, elle ne savait pas que le ticket avait augmenté », précise l’autre passager.
Le contrôleur pouffe : « Ça fait trois mois et elle ne sait pas que ça a augmenté ?
— En l’occurrence, ça fait deux mois. Et si elle paye ses tickets dans le bus, c’est qu’elle ne doit pas le prendre souvent… »

Le contrôleur le sent : il perd du terrain ! Et encore plus lorsqu’il voit sa collègue lui faire un signe de tête : elle a parlé au chauffeur, qui confirme.
Mais il ne semble pas prêt à lâcher. Le voilà qui part en boucle seul pendant qu’il contrôle le reste des passagers. « Ah bah si on fait comme on veut maintenant… Moi je m’en fous, hein, c’est vous qui payez pour ça… » Sauf que là, petit miracle : un troisième gars qui restait silencieux prend la parole, sermonne le contrôleur pour son comportement envers la vieille dame. « Ça va vous augmenter votre prime, ou quoi ? » Et je renchéris, du coup : « à 5 € le ticket, les chauffeurs pourraient tout de même avoir de la monnaie sur 20 € ! » Sous les critiques, et visiblement toujours énervé, le contrôleur sort finalement du bus avec sa collègue !

Dans le bus, tout le monde se regarde, un peu interloqué, presque surpris.
La vieille dame rompt le silence : « Merci, vraiment merci… » Je me sens obligé de conclure à la cantonnade, d’en tirer une leçon, presque, en bon Fakirien. « Vous avez vu la force du collectif ? Il était dans l’optique de vous verbaliser. Il a suffi qu’on soit deux, trois à réagir, et il a changé d’attitude ! » C’est ça, qui me frappe, sur le coup : la bascule. La bascule dans l’attitude du contrôleur, qui passe d’un ton serein et autoritaire à une situation où il se sent bien moins légitime à faire appliquer ses règles. Une bascule possible uniquement grâce à un sursaut des gens, sursaut face à une injustice. Elle est là, la clé : refaire collectif face aux petites injustices de la vie de tous les jours, pour appuyer la volonté d’être respecté, de ne pas se faire prendre de haut…
La dame est sortie à l’arrêt d’après, alors que je philosophais encore. 5 € pour cinq minutes de bus…

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